Face au risque terroriste, les enseignants seront bien en première ligne à la rentrée. Dans une « instruction » commune, les ministères de l’Intérieur et de l’Education nationale envoient des consignes claires pour garantir la sécurité des écoles et des établissements scolaires à la rentrée. Formation le jour de la pré-rentrée, exercices dans l’année, signalement des élèves et des membres du personnel, ces mesures engagent les enseignants contre le terrorisme. Si ces mesures semblent de bon sens, leur efficacité est déjà débattue.
« Il est donc une obligation de combattre et de tuer, de toutes les manières légiférées, ces ennemis d’Allah. Cela vaut pour les professeurs qui enseignent la laïcité aux enfants ». Les menaces lancées par Daesh contre l’école en décembre dernier et la vague d’attentats de ces dernières semaines amènent les ministères de l’éducation nationale et de l’Intérieur à envoyer une nouvelle instruction aux préfets et aux recteurs pour la rentrée. Ces nouvelles mesures complètent les décisions prises fin 2015.
L’essentiel du texte concerne l’éducation nationale et ses personnels. La part de l’Intérieur semble moins importante. Enfin les deux ministres ont écrit aux présidents des associations d’élus locaux pour les inviter à sécuriser les établissements.
Exercices de sécurité à répétition
C’est dès la pré-rentrée que les enseignants seront confrontés à ces nouvelles mesures anti-terrorisme. Les directeurs d’école et les chefs d’établissement devront s’assurer que les enseignants connaissent le contenu du Plan particulier de mise en sureté (PPMS) de l’établissement. Ce plan précise les mesures à prendre pour la mise en sureté des élèves : reconnaissance des signaux, déplacements des élèves, emplacement de l’espace de sécurité choisi dans les locaux scolaires en fonction du type de risque.
Ces instructions, qui devraient être suivies d’une note officielle publiée probablement au BO fin août, imposent trois exercices de sécurité dans l’année dont un avant les vacances de la Toussaint. Un exercice concernera spécialement le risque d’intrusion.
Une circulaire publiée au BO du 26 novembre 2015 imposait déjà la rédaction et la connaissance du PPMS et deux exercices à organiser en temps restreint. Le renouvellement de la consigne montre que, si elle est nécessaire, elle n’est pas aussi facile que cela à mettre en place.
La nouvelle instruction demande aussi un exercice départemental organisé par le préfet pour vérifier la collaboration entre éducation nationale et forces de police. Elle exige la nomination dans chaque académie d’un référent sécurité dont la mission devrait être aussi de conseiller pour la rédaction des PPMS et d’aider les collectivités locales à sécuriser les locaux scolaires.
Eviter les regroupements aux abords des établissements
L’instruction demande de veiller à la sécurité aux abords des établissements scolaires. La mesure devrait d’abord concerner les forces de police mais le texte ne l’établit pas clairement. Il pose la question des regroupements aux entrées des établissements scolaires. On sait que c’est une question difficile. Les proviseurs sont ainsi pris entre l’interdiction de fumer dans les lycées et la nécessité d’empêcher les sorties aux intercours. En avril dernier, la ministre avait du rappeler l’interdiction de fumer après avoir publié une circulaire ambigüe fin 2015. Ce nouveau texte laisse les proviseurs face à cette contradiction.
Il invite les directeurs d’école à réunir les parents pour leur présenter les mesures de sureté et les sensibiliser aux entrées et sorties de l’école. Les chefs d’établissement devront de leur coté seulement « informer » parents et élèves des mesures prises.
Former les élèves aux premiers secours
Le texte annonce aussi un effort de formation « à la résilience » des établissements. D’un coté, le nombre de personnels de direction formés à la gestion de crise devrait augmenter. De l’autre, « la sensibilisation aux gestes qui sauvent » devrait être généralisée à tous les élèves de 3ème, sans qu’on sache comment. Les élèves délégués devraient être formés aux premier secours.
Signaler les élèves et enseignants « radicalisés »
La dernière partie de l’instruction du 29 juillet concerne la radicalisation. Elle invite les directeurs académiques (Dasen) et les préfets à un échange d’information sur les élèves et les membres du personnel radicalisés ou en cours de radicalisation. Le texte évoque les signalements mais traite surtout de la transmission des préfets vers les autorités académiques des suites qui leur sont données. Les Dasen informeront les directeurs d’école et les chefs d’établissement des « mesures appropriées » prises.
Le refus du populisme
« Ce sont les mesures qui ne sont pas prises qui me frappent le plus », nous a dit Eric Debarbieux, ancien délégué ministériel à la prévention de la violence scolaire. Sous la présidence de N Sarkozy, puis sous celle de F Hollande, il a réussi à faire entendre les conclusions des chercheurs contre les mesures populistes en matière de sécurité. Il relève que le nouveau texte n’évoque ni les portiques de sécurité ni la vidéo surveillance. « On s’appuie sur l’humain et c’est ce qui est positif », a-t-il dit au Café pédagogique. « La recherche montre que trop de mesures affile mais que pas assez inquiète. L’école ne doit pas être ouverte à tous les vents et elle ne l’est pas. Mais elle doit préserver le lien avec son environnement. On a besoin d’une école du quartier et non dans le quartier ». Des idées qu’il devrait détailler dans deux ouvrages attendus en septembre et en octobre.
Les collaborations mises à l’épreuve
Trois lettres adressées aux présidents de l’association des régions de France (ARF), des départements (ADF) et des maires (AMF) complètent cette instruction. Les ministres précisent que la sécurité des établissements scolaires est l’affaire de tous et les invitent à entrer en contact avec les référents sécurité des académies pour envisager les travaux nécessaires. On touche là à une limite de ce texte. L’Etat ne peut que solliciter l’aide des collectivités territoriales seules responsables des locaux.
Dans un communiqué publié le 10 août, Indépendance et Direction, le syndicat FO des personnels de direction, s’interroge sur la portée de cet appel. « Que dire, par ailleurs, de la collaboration, souvent inexistante, entre les collectivités territoriales, les mairies et les établissements », relève ce syndicat.
Il souligne aussi les dysfonctionnements entre les services de l’Etat. « Il est demandé aux chefs d’établissement de prendre diverses dispositions… or les services de la préfecture, de la gendarmerie, de la police, les pompiers affirment que ce sont eux qui préciseront les directives à suivre ». C’est ce qui amène ID Fo à demander la présence des élus locaux et des forces de sécurité dans des « commissions sécurité risque attentat » au sein de chaque EPLE qui seraient pilotées par les chefs d’établissement.
La question de l’alerte
L’instruction du 29 juillet demande aux autorités académiques de veiller à ce que le répertoire téléphonique d’alerte des directeurs d’école et des chefs d’établissement soit à jour pour que les alertes puissent être transmises.
Or, en mars dernier, l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement a attiré l’attention du ministère sur les failles de ce dispositif. « Les résultats de l’enquête montrent que le traitement des alertes, de l’émission des préfectures jusqu’aux établissements, fait l’objet de pratiques très diverses selon les départements », disait le rapport. « La principale difficulté révélée par l’enquête concerne les écoles, où les messages d’alerte ne peuvent être reçus instantanément, faute de personnel disponible pour assurer une permanence de réception des mails et appels téléphoniques. L’utilisation du téléphone mobile peut s’avérer difficile (mauvaise couverture réseau, saturation, directeurs non dotés). La messagerie électronique pose aussi problème car il s’agit d’un outil d’information mais pas d’alerte puisque non veillé en permanence. Nous constatons que les établissements privés ne sont pas systématiquement informés ». Si dans certaines académies des incidents ont montré que l’alerte fonctionne bien, il n’est pas certain que ce soit le cas partout à la rentrée.
François Jarraud
Enseigner après les attentats (DOSSIER)
La circulaire du 26 novembre 2015