Quelles sont les conséquences du développement du numérique et des nouveaux types de lecture ? Comment s’articulent les différents modes de lecture à l’école et à la maison ? Quel doit être le rôle de l’école en matière de lecture ? 12 ans après la conférence de 2003, le Cnesco organise les 16 et 17 mars à Lyon une nouvelle conférence de consensus sur la lecture. Le Cnesco lance un appel auprès des enseignants et parents pour participer au jury de consensus qui arrêtera des recommandations. Olivier Dezutter, président de la conférence répond aux questions du Café pédagogique.
En 2003, il s’agissait surtout de faire le point sur l’apprentissage de la lecture. Douze ans plus tard , la conférence organisée par le Cnesco et l’Ifé vise la totalité de l’école obligatoire. Elle s’intéresse eux nouveaux types de lecture qui sont apparus avec le développement du numérique et à leurs impacts sur les jeunes.
« La maîtrise de la lecture est une composante essentielle de la réussite scolaire, un facteur d’intégration dans la société et un atout majeur pour approfondir sa connaissance du monde, des autres et de soi », écrit le Cnesco. « Cette conférence visera à faire le point sur les savoirs autour du développement continu de la compétence de lecture aux différentes étapes de la scolarité obligatoire, en tenant compte des types et genres de textes à lire dans les différentes matières mais aussi de l’évolution et de la diversification des environnements et des supports de lecture à l’ère numérique. La conférence s’appuiera sur un bilan des connaissances relatives au développement et à l’enseignement des habiletés permettant aux élèves de comprendre et d’apprendre à partir de leurs lectures afin de dégager les pratiques à privilégier par les personnes enseignantes, les parents, les documentalistes et les autres intervenants du milieu culturel. La conférence combinera des éléments de bilans et des questions plus prospectives à partir des études et des témoignages d’experts ».
Olivier Dezutter : Dans le contexte numérique, l’école a un rôle essentiel à jouer
Spécialiste de la didactique du français, ancien professeur du secondaire, professeur à l’Université de Sherbrooke, Olivier Dezutter présidera la conférence de consensus. Il explique pourquoi cette conférence s’intéresse à la lecture au collège , quelles rapports elle entretient avec l’oral et en quoi le passage au numérique a changé les compétences en lecture.
Ce début d’année scolaire a vu la publication de riches études sur l’apprentissage de la lecture, par exemple celle pilotée par R Goigoux. Pourquoi une conférence de consensus sur ce sujet ?
Les enquêtes internationales comme PISA nous permettent d’avoir une idée assez large du niveau de compétence des élèves en lecture. Au niveau national, l’enquête réalisée par l’équipe de Roland Goigoux apporte de nouvelles données sur l’apprentissage en contexte scolaire, dont le rôle fondamental des pratiques enseignantes en CP. Mais au-delà de ce que cette nouvelle recherche nous apprend sur ce qui se passe réellement dans les classes du cours préparatoire et sur les effets des pratiques enseignantes sur les apprentissages des élèves, il est apparu nécessaire d’élargir la perspective et de faire le point sur ce qui permet de fonder une didactique de la lecture aux différents niveaux de la scolarité obligatoire, sachant que la compétence en lecture est une composante essentielle de la réussite scolaire, un facteur d’intégration dans la société et un atout majeur pour approfondir sa connaissance du monde, des autres et de soi. Après la conférence de consensus organisée en 2003, centrée sur les premiers apprentissages de la lecture, cette nouvelle conférence vise aussi à soutenir la réflexion sur la manière de prendre en compte l’évolution et la diversification des environnements et des supports de lecture à l’ère numérique
Comment va être organisée cette conférence de consensus ? Qui peut prétendre faire partie du jury ?
La thématique de l’apprentissage et l’enseignement continus de la lecture sera abordée à travers une conférence de consensus. Le jury a une place centrale dans ces conférences. Il auditionne des experts, reconnus pour leurs compétences dans le champ de la lecture, afin de rédiger des recommandations. Le jury est composé d’acteurs de terrain, aux profils très variés. Pour le jury de cette conférence, nous souhaitons pouvoir réunir des enseignants, mais aussi des parents d’élèves, des élèves, des chefs d’établissement, des représentants des inspections, des documentalistes et des représentants des milieux culturels, etc. L’appel à candidature pour intégrer le jury est ouvert à tous, jusqu’au 4 janvier à 8h.
Il semble que les problèmes d’acquisition soient principalement posés à l’école. Est-il pertinent de travailler sur le collège ?
Le contexte familial et les premiers apprentissages scolaires jouent bien sûr un rôle déterminant dans l’acquisition des mécanismes de base de la lecture, mais ces dernières années, de nombreuses recherches ont montré que la maîtrise de la lecture comme celle de l’écriture sont à considérer comme des apprentissages continus tout au long de la formation scolaire. C’est dans cette orientation que s’inscriront résolument les journées de consensus. Des experts qui effectuent des recherches sur les élèves lecteurs du primaire et du secondaire viendront montrer entre autres l’importance de soutenir le développement de compétences de lecture et la maîtrise de stratégies de compréhension adaptées à la diversité et à la complexité des textes qui sont donnés à lire dans les différentes matières scolaires.
Les professeurs de collège et de lycée sont aussi de plus en plus fréquemment amenés à travailler au sein des classes avec certains élèves qui présentent des difficultés particulières en lecture. Il est de notre devoir de leur faire connaître les stratégies les plus efficaces à adopter pour ce type de public.
Pour développer plaisir et intelligence du texte, quels dispositifs mettre en place susceptibles de renouveler la « lecture analytique », exercice quelque peu figé dans ses traditions dans le secondaire ?
Les recherches dans le domaine de la didactique de la lecture littéraire se sont grandement développées depuis une vingtaine d’années. Elles ont justement pour objectif de démontrer la pertinence d’un certain nombre de dispositifs (cercle de lecture, carnet de lecture, exercices de transposition dans d’autres médias…) qui visent à trouver l’équilibre dans l’activité de lecture, entre « droits du texte et les droits du lecteur » pour reprendre une célèbre formule de Umberto Eco, et amènent les élèves, de l’entrée au primaire à la fin du lycée, à mieux se connaître en tant que sujets lecteurs et à être capables de manier différents critères d’appréciation d’un texte à lire.
En quoi l’écriture et l’oralisation renforcent-elles les compétences de lecture ?
Pendant longtemps, à l’école, on a dissocié l’apprentissage des différentes compétences travaillées dans le cadre des cours de français : lecture, écriture, communication orale. À l’heure actuelle, on sait que l’interaction entre ces compétences sert davantage les apprentissages des élèves. Il faut rappeler par exemple l’importance de la lecture à voix haute comme voie d’entrée dans la lecture. La recherche a démontré que l’enfant qui a bénéficié d’une telle pratique dans son contexte familial engrange à la fois un bagage lexical et des structures du récit qui l’amèneront à une maîtrise plus rapide des mécanismes de base de la compréhension des textes. Les effets bénéfiques d’activités de pré-écriture sur l’apprentissage de la lecture ont aussi été démontrés.
Comment aider à la prise de conscience que les objectifs se sont élargis : développer non plus la seule capacité à comprendre et analyser le texte littéraire mais de réelles compétences en translittératie ?
Depuis quelque temps, l’écrit se présente à nous de plus en plus sous des modalités mixtes qui combinent du texte, de l’image, du son, de la vidéo…. Qu’on pense, par exemple, à la manière dont l’écrit a envahi l’écran de télévision, de plus en plus décomposé en plusieurs parties distinctes dont une réservée, dans les chaînes d’information continue, au défilement d’informations écrites. De nombreux jeux vidéo comprennent des portions importantes de textes écrits à côté des images animées. Dans ces contextes, les jeunes lecteurs développent très vite des pratiques de lecture multimodale et hypertextuelle.
Question liée à la précédente : en quoi, dans le passage du livre au numérique, notre façon de lire a-t-elle changé ? Quelles conséquences sur les pratiques scolaires ?
Les nouveaux modes de lecture se caractérisent par un traitement très rapide de l’information transmise sous des formats le plus souvent très brefs (qu’on pense aux messages en 140 caractères de twitter). Dans ce contexte, l’école a un rôle de plus en plus essentiel à jouer pour soutenir la capacité à lire des textes longs qu’il s’agisse de textes informatifs ou argumentatifs qui donnent à voir le développement d’une pensée complexe, ou de textes littéraires sous la forme d’œuvres complètes.
Propos recueillis par François Jarraud et Jean-Michel Lebaut
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