« Il faut changer de modèle scolaire… car trop d’élèves y échouent, y apprennent mal ou peu, parce que l’école est trop inégalitaire et parce que son projet éducatif lui-même semble s’effacer devant la rigueur des mécanismes de la machine à sélectionner et à décourager les élèves et de l’angoisse qu’elle inspire à beaucoup ». François Dubet et Marie Duru-Bellat ne se contentent pas de ce constat. Dans un petit livre , ces sociologues de l’école apportent un message d’espoir et des propositions pour changer vraiment le modèle plutôt que le rafistoler. Il s’agit bien de changer d’école en s’attaquant à ses finalités comme à son organisation, au statut des enseignants comme au diplôme.
« Si un certain nombre des changements amorcés dans la période récente vont dans le bon sens, nous restons convaincus qu’un peu d’imagination sociologique ne peut pas nuire à la fois pour analyser les leviers de transformation et les résistances et pour développer les arguments susceptibles d’emporter l’adhésion des enseignants, des élèves et de leurs parents, de tous les citoyens sans lesquels toute réforme restera lettre morte ». En effet, ce petit ouvrage ne manque pas d’imagination, mais une imagination fondée sur une trentaine d’années de travail sociologique sur l’école et une parfaite connaissance de la sociologie de l’école et de l’institution scolaire en France et dans les pays développés. Ce parcours permet aux auteurs de s’élever au dessus des débats franco français sur l’école pour revenir aux questions fondamentales sur l’école. Les 10 propositions tournent autour de 3 de ces questions.
L’école de la vie
L’école doit « préparer à la vie » affirment les auteurs. C’est dire qu’elle ne doit pas être qu’une machine à délivrer des diplômes. M Duru-Bellat a déjà dénoncé lé frénésie diplomante et le livre veut « combattre l’hégémonie du diplôme ». Le livre en dénonce les conséquences sociales. Ce que développent les auteurs c’est l’idée que l’école doit d’abord apprendre à vivre en société. Au delà du découpage disciplinaire, elle doit apprendre la santé, le bien être, la défense de l’environnement, la consommation. L’école doit être éducatrice. Elle doit donc aussi être communautaire et devenir « l’affaire de tous ». Des dimensions qui paraissent naturelles dans de nombreux pays mais qui sont contraires à la tradition scolaire française.
Réformer le métier enseignant
C’est dire que le second axe c’ets la réforme du métier d’enseignant et de l’organisation de la machine scolaire. Pour les auteurs, le métier enseignant doit se caler sur le métier réel et non sur un statut dépassé. L’école communautaire doit gérer la carrière de ses enseignants. « En France tout se passe come si on avait eu l’ambition de transformer radicalement l’école par la massification sans jamais rien changer à un métier d’enseignant fixé dans une sorte de perfection immuable », écrivent les auteurs. « Le prix de cette contradiction est payée par les enseignants qui doivent sans cesse s’adapter et réduire les tensions entre l’idéal professionnel et les expériences du métier ». Le livre opère cette rupture avec la nostalgie scolaire et invite à réinventer le métier enseignant et l’institution scolaire autour des idées d’autonomie et d’équipes.
L’école de tous
Le dernier axe du livre veut apporter des réponses au problème majeur d el’école française les inégalités. Quatre chapitres y sont consacrés. Les auteurs prennent position contre l’éducation prioritaire à la française. « Soit on traite sur place les effets de la ségrégation telle qu’elle est, soit on fait tout pour la diluer et créer davantage d’hétérogénéité. La première voie est celle de l’éducation prioritaire », écrivent ils. Ils se déclarent pour une carte scolaire plus impérative. Mais la clé réside dans l’offre scolaire qu’il faut rendre plus égale alors que la labellisation induit pour eux des effets pervers d’inégalité de l’offre.
Mais lutter contre les inégalités à l’école c’est aussi agir pour une école qui fabrique des citoyens par des pratiques de vivre ensemble. Les auteurs ont des mots durs sur le leçons d’enseignement moral et civique et une laïcité d’exclusion.
Publié au moment où le ministère met en place de nombreuses réformes, ce petit livre enlevé ouvre d’autres fenêtres sur la transformation de l’école. Il pose indirectement la question du moteur d’un renouveau de l’école. Pour les auteurs, et c’est la bonne nouvelle du lire, il est déjà à l’oeuvre dans de nombreux établissements. Changer d’école serait possible ?
François Jarraud
François Dubet, Marie Duru-Bellat, 10 propositions pour changer d’école, Seuil, ISBN 978.2.02.128025.8. 14.5€. En librairie le 26 août.
François Dubet : Le rôle de l’Etat n’est pas de dire comment faire classe mais de s’assurer que les résultats sont atteints
Votre livre repose la question des finalités de l’école et de ses valeurs ?
On ne part pas sur une philosophie générale de l’école. Mais sur l’idée qu’il faut poser un certain nombre de problèmes et voir comment on peut reconstruire le système éducatif en déclinant des thèmes de façon pragmatique.
Pour vous l’école doit d’abord apprendre à vivre en société ?
Il ne s’agit pas d’insertion professionnelle mais du vivre ensemble. C’est une question qui nous a beaucoup préoccupé. Il y a un désenchantement autour de l’école, des problèmes de violence, de décrochage. Tout le mond ejoue en faveur des inégalités scolaires. Il faut don dire ce que l’école peut ouvrir de commun. Ce vivre ensemble doit se constituer autour des établissements et des équipes plutôt que par des appels aux grands principes comme la laïcité ou la nation.
Il y a des établissements qui marchent bien car les enseignants sont très présents, il s’occupent des élèves, sont sensibles au climat scolaire, parlent aux familles, donnent aux élèves confiance en eux. Ce n’est pas une utopie mais ce que font déjà beaucoup d’établissements. Ce qui est désolant c’est que ça repose sur des logiques d’équipes et non des exigences du système.
Il faudrait quoi pour sortir du hasard des équipes ?
Il y a un gros enjeu de formation. Il faut former les enseignants à un métier d’éducateur. Il faut des modes ‘affectation qui permettent à des équipes de se réaliser. Il faut donner aux équipes enseignantes les moyens de fonctionner comme des équipes. Il faut donc changer le statut des enseignants pour que leur travail réel corresponde au travail prescrit. Il faut changer le mode d’affectation pour que les équipes se choisissent. Beaucoup de pays le font. Plutôt que recruter 60 000 postes on aurait mieux fait de créer ce nouveau statut pour les nouveaux enseignants.
Mais peut on avoir une éducation nationale et une école communautaire ?
Il faut une école d’Etat qui ait un système de péréquation des moyens, des programmes définis par l’Etat. Mais les équipes doivent avoir de l’autonomie. Il faudrait un Etat plus puissant mais qui édicte moins de normes. Aujourd’hui l’Etat édicte des règles mais a peu de moyens d’action sur les pratiques scolaires. Le role de l’Etat n’est pas de dire comment faire classe mais de s’assurer que les résultats sont atteints. Or on fait le contraire…
Ne risque t-on pas de renforcer les inégalités ?
Notre système très centralisé est très inégalitaire. Le centralisme n’a pas été un vecteur de lutte contre les inégalités. Si on accroit la qualité de l’offre scolaire on augmentera l’égalité.
Cela passe par les valeurs républicaines. Vous dites moins d’idées plus de faits…
Personne ne débat des valeurs républicaines. Tout le monde est d’accord là dessus. La question c’est comment on apprend le vivre ensemble. Certains disent qu’il faut un modèle homogène qu’on apprend à tous. Je pense que ça ne marchera pas car les gens vont résister et les enseignants eux mêmes ne sont pas d’accord entre eux là dessus. La fabrication du citoyen ne passe plus par des leçons et des affirmations de principes. Mais par l’apprentissage de la vie collective. La démocratie ne s’apprend pas dans le silence d’une leçon mais en vivant des expériences démocratiques à l’école. De tas d’enseignants le font déjà.
Vous remettez aussi en cause ce qui couronne l’édifice scolaire : les diplômes
Il faut des diplômes. Mais plus ils jouent un rôle important plus les inégalités scolaires croissent. Il faut garder le diplôme mais faire en sorte qu’il y ait d’autres accès au travail.
Aujourd’hui on a l’impression que toute réforme de l’école est impossible. Ca peut bouger encore ?
Il y a un fait nouveau : plus personne de raisonnable pense qu’on n’a pas un problème scolaire. Seulement il ya le poids de la nostalgie scolaire, du « c’était mieux avant » et l’absence de durée des ministres de l’éducation nationale. Il faut de la durée pour changer les choses.
Mais le sociologue sait qu’il a aussi des intérêts en jeu. Qui veut vraiment changer l’école en France ? Pas ceux qui en profitent…
Tout le monde sait que les inégalités à l’école posent problème. Mais toute une partie d ela population est bénéficiaire de cette situation. On le voit quand on touche aux classes européennes, au latin ou aux classes préparatoires. C’ets le rôle du politique de dire qu’on peut améliorer l’école sans que les catégories qui bénéficient du système éducatif se retrouvent marginalisées. Il faut du courage.
Propos recueillis par François Jarraud