« Vampirisée la réforme des rythmes pendant 18 mois, écrasée par la réforme du collège, la priorité au primaire a glissé dans l’ombre. On ne veut pas d’une éclipse durable ». Le 24 août, Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, a accusé le ministère de l’éducation nationale d’oublier la priorité au primaire promise par la Refondation. La question salariale est revenue avec plus de vigueur sur la table. Le Snuipp annonce une grève du zèle des directeurs d’école dès la rentrée.
Il n’y a pas d’amour. Seulement des preuves d’amour. Ce sont elles que réclame Sébastien Sihr, secrétaire général du premier syndicat de l’enseignement primaire, le Snuipp Fsu, pour cette rentrée. Le Snuipp, qui publie à cette occasion un gros dossier sur l’état de l’enseignement primaire, énumère les oublis du ministère. « Considération et soutien » ont été promis lors de la loi de refondation de 2013 qui a fait de la « priorité au primaire » son premier objectif. Depuis, pour le Snuipp, le bilan est amer. « La priorité au primaire est reléguée au second plan », se plaint le syndicat, qui apporte des preuves matérielles de ce désamour.
L’enseignement primaire c’est près de 6 millions d’élèves (5 910 600) dont 2,2 millions en maternelle, encadrés par 341 631 enseignants. Pour le public, on compte 312 287 emplois dont 85 036 en maternelle à cette rentrée.
Le salaire revient au premier plan
C’est d’abord la question salariale que le Snuipp met en avant. Le salaire net d’un enseignant du primaire au bout de 15 ans de carrière est de 2204 €. Une rémunération qui est nettement en dessous des standards européen (4032 € en Allemagne, 2683 en Angleterre, 2530 dans l’OCDE). Elle est aussi en dessous de celle des enseignants du second degré : salaire moyen mensuel 2216 € au primaire, 2565 au secondaire. L’écart entre les deux vient pour beaucoup des primes : le primaire perçoit l’ISAE, une prime annuelle de 400 € et le secondaire l’ISOE, une prime de 1200 €. Le syndicat demande l’alignement des deux primes. D’autres inégalités existent : l’accès à la hors classe est plus rare au primaire, les heures supplémentaires sont 3 fois plus importantes dans le second degré. S’ajoute au tableau le mensuel vécu des professeurs : ouvrir sa fiche de paie pour constater son érosion régulière en euros nets du fait de la hausse des charges et du blocage du point Fonction publique depuis 5 ans. Le Snuipp souligne l’urgence à traiter cette question salariale.
Un poste pour 55 nouveaux élèves
Seconde preuve de désamour pour le Snuipp, les postes. La rentrée 2015 voit la création de 2 511 postes. Mais il y a 25 400 élèves supplémentaires. Il pourrait y en avoir nettement plus si les objectifs de scolarisation des moins de trois ans étaient atteints. Il y a aussi toutes les politiques ministérielles à alimenter. 770 postes sont consommés par la nouvelle politique d’éducation prioritaire. 456 vont aux enseignants en sureffectifs des « plus de maitres que de classes ». 331 emplois de remplaçants sont créés. 111 postes sont réservés à l’accueil des moins de trois ans. 63 postes seulement sont créés en Rased. 316 postes compensent les nouvelles décharges des directeurs ou alimentent l’enseignement spécialisé. Au final il reste 464 enseignants pour accueillir les 25 400 élèves supplémentaire : un pour 55 enfants ! Pour le Snuipp, le compte n’y est pas. Il souligne aussi qu’à deux rentrées de la fin du quinquennat, le ministère n’a créé que 9 000 postes dans le primaire sur les 20 000 promis. « Le gouvernement doit passer à la cadence supérieure » demande S Sihr.
Des nouveaux programmes sans formation ?
Troisième point mis en vedette par le Snuipp, la formation des enseignants. La question est prioritaire du fait des nouveaux programmes : EMC et maternelle à cette rentrée , nouveaux programmes de l’école à la rentrée 2016. « La formation continue sa traversée du désert » estime le Snuipp. Les nouveaux programmes de maternelle sont mis en place mais les enseignants n’ont toujours pas de documents d’accompagnement alors que les programmes engagent de nouvelles pratiques pédagogiques. En 2014-2015 seulement 4% des enseignants concernés ont bénéficié d’une formation, selon le Snuipp. L’offre de formation cette année est tout aussi insuffisante. Le Snuipp a enquêté pour la pointer département par département. Ainsi en Essonne pour 7 167 professeurs du 1er degré dont 2000 en maternelle, il y a 2 stages de 72 heures pour 40 enseignants, un stage de 15 heures , un de 24 heures et un de 6 heures pour la maternelle. C’est pas mieux pour l’EMC : 2 stages de 12 heures pour 7 000 professeurs… Dans l’Aude pour 1703 enseignants dont 417 en maternelle, on compte 3 jours de stage pour 10 professeurs sur le sprogrammes de maternelle. Dans l’Eure, 3 stages d’une journée pour 20 enseignants de maternelle sur 924, deux stages plus courts pour 20 autres. Pour l’EMC il n’y a rien de prévu.
Pour les nouveaux programmes de l’élémentaire rien ne semble anticipé par le ministère selon le Snuipp. « Ce n’est pas avec M@gister », le dispositif de formation à distance, « qu’on va changer l’Ecole », prévient S Sihr. « Depuis deux ans on a des alertes sur la formation continue. Le retard à l’allumage est inquiétant », ajoute-il.
Grève du zèle pour les directeurs
Dernier point de tension : le soutien aux directeurs d’école. Si le syndicat reconnait des améliorations dans les décharges qui leur sont accordées, il constate que la promesse de simplification administrative n’est pas tenue. 19 académies ont élaboré un projet pour diminuer la pression administrative sur les directeurs. Mais aucun de ces projets n’est encore publié. Lille, Versailles, Amiens , Bordeaux, Reims, Toulouse n’ont toujours pas finalisé leur projet. Partout où le protocole n’est pas finalisé, le Snuipp appelle les directeurs à la grève du zèle. « Il se concentrent sur la relation avec les familles et les élèves et traitent en second plan les demandes administratives », explique le Snuipp.
« Beaucoup reste à faire si on ne veut pas que la priorité au primaire devienne une imposture dans deux ans », conclus S Sihr. Déjà un autre candidat à la présidentielle a promis d’augmenter les salaires des enseignants du primaire. Si la gauche ne tient pas sa promesse, la « priorité du primaire » pourrait ouvrir la voie à la droite. « Les salaires restent un vrai problème », souligne S Sihr…
François Jarraud