Par François Jarraud
L’expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » à l’issue de la 3ème est-elle un leurre ou une véritable mutation de l’éducation à l’orientation ? L’Inspection générale de l’Education nationale, sous la plume d’Aziz Jellab et Alain Taupin, publie un rapport mitigé qui montre que l’injonction ministérielle a eu peu d’impact finalement, au grand soulagement de nombreux acteurs du système éducatif. Les questions de l’éducation à l’orientation, du lien à construire avec les familles les plus éloignées de l’Ecole restent posées.
A l’origine de l’expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » pour l’orientation en fin de 3ème, une décision d’un Comité interministériel de la Jeunesse en février 2013. Lors du débat sur la loi d’orientation, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée propose que le dernier mot soit laissé aux parents pour l’orientation. Mais finalement cette proposition fait les frais des négociations entre groupes. Finalement la loi prévoira une simple expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » en fin de 3ème. C’est elle qui fait l’objet du rapport de l’Inspection générale.
L’expérimentation
Normalement, « en cas de désaccord, un entretien est proposé à la famille par le chef d’établissement. Le chef d’établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d’orientation de l’élève de la condition que celui-ci s’engage à suivre un dispositif de remise à niveau.. Si le désaccord persiste, le chef d’établissement doit motiver sa décision et la famille dispose de trois jours pour faire connaître son choix de recourir à une commission d’appel. La décision de celle-ci est définitive ». Les taux de désaccord tournent autour de 2% des élèves de troisième, si l’on en croit les chiffres officiels du ministère. L’expérimentation supprime la commission d’appel, prévoit un entretien entre la famille et le principal. Le choix de la voie d’orientation est laissé en dernier ressort à la famille.
Inscrite dans la loi d’orientation, l’expérimentation n’a fait l’objet d’un décret qu’en janvier 2014. Mais elle a été lancée dès juillet 2013. Le ministère a annoncé en septembre 2013 la participation de 117 collèges, un nombre ensuite ramené à 101 collèges, 16 établissements se retirant d’une expérimentation introduite par en haut. Le rapport souligne que » la mission a relevé un malaise implicite chez des chefs d’établissements déclarant avoir été obligés de mettre en oeuvre, sans concertation, l’expérimentation », selon un schéma bien connu dans l’Education nationale. Le rapport montre clairement que le choix des collèges expérimentateurs a été parfois imposé.
Ce qu’aurait du changer l’expérimentation
« L’expérimentation, en actant d’emblée le fait que la décision ultime d’orientation reviendra aux familles, modifie le rôle du chef d’établissement et des équipes éducatives. Ceux–ci devraient davantage occuper une position de conseillers aidant les familles et les élèves à prendre une décision en s’appuyant sur des arguments plus « pédagogiques » et moins strictement « scolaires » », note le rapport. Le cahier des charges de l’expérimentation invite « à une meilleure reconnaissance de la place des parents et à l’affirmation du principe de coéducation ». Il vise aussi « une revalorisation de la voie professionnelle » et « une évolution du pilotage pédagogique par le chef d’établissement ».
Ce que constate l’Inspection est bien plus nuancé. Si dans certains collèges on repense le parcours des élèves et l’éducation à l’orientation, dans d’autres « l’expérimentation est peu suivie de véritables changements dans le mode d epréparation et d’accompagnement des élèves et des parents ». Le rapport donne en exemple un collège prioritaire de l’académie de Toulouse où « le chef d’établissement et les équipes éducatives ne paraissent pas suffisamment impliqués dans l’expérimentation » et où s’est installé un certain fatalisme. Globalement, » la « bonne orientation », pour la plupart des équipes éducatives interrogées, est celle qui correspond à la décision du conseil de classe. Ainsi, les « cas litigieux » ayant donné lieu à des entretiens avec le principal et le conseiller d’orientation–psychologue à l’issue du conseil de classe du troisième trimestre sont considérés comme « résolus » lorsque la famille se range à la décision de l’équipe éducative. Le dernier mot aux parents est alors à interpréter davantage comme l’occasion de renforcer les échanges avec les équipes éducatives et moins comme une opportunité d’exprimer un voeu et de l’assumer ».
Quel impact sur l’orientation finale ?
Aujourd’hui en fin de troisième, 65% des élèves sont envoyés en seconde générale et technologique (GT) et 32% en seconde professionnelle ou CAP. Quelques progrès ont été réalisés depuis 1997, le taux de passage en 2de GT étant passé de 59 à 65%. Le taux de redoublement a reculé passant de 7 à 3%. Pour autant les décisions d’orientation ne sont pas à l’abri des inégalités sociales. Ainsi si 89% des enfants de cadres sont orientés en 2de GT, ce n’est le cas que pour 36% des enfants d’inactifs et 43% des employés de service. Or les demandes des familles sont en cause selon une étude de la Depp. Ainsi 91% des cadres demandent la seconde GT pour leur enfant quand ce n’est que 36% des inactifs. A notes égales, les écarts entre les souhaits sont importants. Quand ils sont très bons, 98% des enfants de cadres demandent la seconde GT quand c’est seulement 80% des enfants d’ouvriers non qualifiés.
L’expérimentation a-t-elle permis de diminuer les inégalités sociales devant l’orientation ? « Les éléments recueillis par la DGESCO montrent une stabilité globale des intentions d’orientation qui masque des tensions ponctuelles », note le rapport. Sur 90 collèges on observe peu de différences si ce n’est une légère augmentation des orientations vers la 2de GT : sur 9200 élèves la variation serait d’environ 70 élèves. Mais dans un tiers des collèges on aurait » une augmentation importante en proportion des intentions d’orientation vers la seconde générale et technologique même si, en raison de fluctuations d’effectifs, celles–ci ne se traduisent pas forcément par un nombre plus important d’élèves concernés… À l’inverse, dans d’autres collèges on constate une baisse importante des intentions d’orientation vers la voie générale et technologique au profit soit de la voie professionnelle soit du redoublement ».
Quel impact sur les enseignants ?
« Le travail sur l’ambition des familles n’a pas produit les mêmes résultats selon la manière dont le collège a établi des liens et un dialogue avec les parents », note le rapport. Dans tel collège l’expérimentation est utilisée pour travailler sur les projets des élèves. Dans tel autre elle sert à limiter les ambitions des élèves pour les dissuader d’aller en 2de GT… Le rapport note aussi qu’une conséquence de l’expérimentation est al hausse des demandes d’orientation en CAP. Globalement, » la mission n’a pas observé la moindre réflexion conduite par les équipes éducatives sur ce que signifie le niveau, alors que l’on sait que la notation reste assez aléatoire car soumise à une pluralité de variables (caractéristiques scolaires de la classe, mode de notation par les enseignants, contexte du collège…). Par ailleurs, le lien entre les notes et le projet de l’élève est faiblement interrogé. » Le rapport estime cependant qu’il y a » une évolution du regard sur les parents et une prise de conscience de la nécessité de participer à la connaissance du devenir des élèves à l’issue du collège ».
Une mesure qui leurre les familles ?
Si globalement l’expérimentation a été accueillie positivement par les familles, elle a été aussi source d’angoisse devant les responsabilités reportées sur elles ou devant un risque de stigmatisation pour les jeunes passés malgré le conseil de classe. Surtout le rapport souligne la « confusion » entretenue entre l’orientation et l’affectation. » La confusion entre orientation et affectation reste forte, malgré les explications apportées. Elle est significative de la volonté des familles que la décision prise soit réellement suivie d’effet, ne soit pas seulement un exercice formel et démagogique. La mission attire l’attention sur le fait que le consensus relatif entre les équipes éducatives du collège et les parents concernent les seules décisions d’orientation. S’il est remis en cause par l’affectation finale de l’élève, cela pourrait accentuer les déceptions vis–à–vis de l’institution, ravivées par l’accent mis dans l’expérimentation sur la liberté de choix donnée aux familles ». Notamment la mission » attire l’attention sur l’affectation des élèves dans les spécialités professionnelles convoitées ».
Globalement aussi, » le dialogue avec les familles est partout pratiqué, mais reste encore très institutionnel et les collèges de l’expérimentation n’abordent que rarement la question de la « place des familles » dans une réelle visée de coéducation ». L’expérimentation n’a pas radicalement changé la donne. Le travail sur l’orientation reste partout à construire.
François Jarraud
Le rapport
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/55/8/2014-073_experimentation_dernier_mot_376558.pdf
« Il s’agit de redonner de la noblesse à une filière peu considérée ». Le 19 décembre, Geneviève Fioraso a présenté la nouvelle filière supérieure professionnelle qui devra être effective à la rentrée 2016. A cette date, le « Brevet professionnel supérieur », un diplôme de niveau III, sera la suite logique du bac pro. La ministre y voit plus de clarté pour les familles et les jeunes. Mais quel valeur réel aura ce diplôme spécifique crée pour des jeunes ayant déjà un bac spécifique ? Entre la promotion et la relégation de quel coté va pencher la balance ?
« Le gouvernement a une responsabilité quant à l’insertion, l’avenir des bacheliers professionnel, issus à plus de 80% des catégories les plus modestes de la société. C’est un enjeu de justice sociale, celui de rétablir l’ascenseur social républicain. C’est un enjeu économique, puisque le redressement industriel et la mise en place de nouvelles filières industrielles ne pourront se faire que si nous disposons des qualifications correspondantes ». Le 19 décembre, Geneviève Fioraso présente le projet de création d’une filière post bac spécifique destinée aux bacheliers professionnels. Elle charge Christian Lerminiaux, ancien président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, de la définir. Mais la ministre omet d’évoquer l’enjeu éducatif qui explique cette annonce.
Comment gérer le flux des bacheliers professionnels ?
C’est que l’enseignement supérieur doit faire face à l’essor rapide des bacheliers professionnels. En 2000 ils étaient déjà près de 100 000 (93 000). En 2010 on a délivré 119 000 diplômes du bac professionnel. En 2013, 159 000. C’est à travers le bac professionnel que s’est faite la démocratisation de l’accès au bac. Selon Vincent Troger, la voie professionnelle s’est banalisée. D’abord voie de qualification pour entrer sur le marché de l’emploi, elle est devenue un chemin commode vers le supérieur. Là aussi le changement est rapide. En 2000, 17% des bacheliers professionnels poursuivaient des études post bac. En 2014 ils sont 48%. Un tiers poursuit dans l’enseignement supérieur et 17% en contrats de professionnalisation. Ils représentent aujourd’hui 27% des étudiants des STS.
Or, pour Geneviève Fioraso, « ce flux ne peut pas être absorbé par les BTS ». Depuis 2014, la ministre a mis en place des quotas académiques qui facilitent l’entrée des bacheliers professionnels en STS. Et ça commence à porter des fruits. « Le nombre de propositions d’admission en BTS/BTSA faites aux candidats d’une terminale professionnelle s’est accru de 12,5 % (+ 4 761) », révèle le rapport de la députée S. Doucet remis en novembre 2014. Mais le rapport de S. Doucet montre aussi une forte lassitudes des enseignants des STS. Il dénonce une baisse de niveau résultant de la réforme du bac professionnel. Selon le rapport Doucet, pour la Fédération de l’enseignement privé (FEP)-CFDT, » le nouveau « bac pro » aurait fait perdre (aux jeunes) « l’habitude du travail » du fait de coefficient qui invitent à délaisser les matières générales telles que le français, les langues étrangères, les mathématiques et l’histoire-géographie. L’entrée en STS pourrait, selon le rapport, constituer une « rupture qualitative » pour ces bacheliers. ». Ces propos sont appuyés par des professionnels cités par S. Doucet. « Les représentants de la CPME ont considéré que le « fléchage » des bacheliers professionnels vers les STS risquait de conduire à une baisse du niveau du brevet de technicien supérieur ». Interrogée par le Café pédagogique, elle confirme. « C’est aussi l’avis du syndicat des chefs de travaux. Ils mettent en avant la qualité des BTS et ne veulent pas la perdre en s’ajustant aux bacs pros. La réforme du bac pro pose une question de niveau et de compétences ». Pour S Doucet il y a bien « un risque de décrochage » du BTS.
Combien ça coûte ?
A cela s’ajoute une autre question : celle du coût des BTS. Un étudiant en BTS revient à 13 510 euros en moyenne, soit nettement plus qu’un étudiant ordinaire. Dans le cas des bacheliers professionnels, seuls 60% obtiennent le diplôme du BTS. Il y a donc une forte perte de moyens. Elle est encore plus forte pour les bacheliers professionnels qui continuent en université (8%). Ceux-ci ont 3% de chances d’obtenir une licence en 3 ans. G Fioraso affirme qu’elle n’a pas fait de calcul de coût mais à coup sur c’est un motif pour un autre dispositif. Elle préfère dire, comme dans la lettre à de mission de Christian Lerminiaux, que les bacheliers professionnels ont « pour seules possibilités de se couler avec plus ou moins de bonheur dans des matrices qui n’ont pas été conçues pour eux en une sorte de refus implicite de leur droit à poursuivre des études ». La création d’une filière spécifique apporterait certes de la clarté et de la visibilité à la demande sociale des bacheliers professionnels. Mais C. Lerminiaux envisage une formation par alternance qui serait financée par les entreprises. « Si on leur apporte les compétences dont elles ont besoin il y a peu de souci à avoir pour le financement », nous a-t-il dit.
La nouvelle filière
Pour C Lerminiaux, l’alternance » permet d’acquérir des compétences au contact avec le métier ». Elle permettrait aussi d’offrir une voie « accessible à tous les publics ». Pour G Fioraso c’est « le moyen pour des jeunes fâchés avec les études de réussir ». Le nouveau » Brevet professionnel supérieur » (appellation encore provisoire) devrait être un diplôme de niveau III. La ministre nous promet de ne pas bloquer l’accès des bacheliers professionnels aux BTS. Mais « la carte des BTS devra à terme être revue ». Quant à l’entrée en université des bacheliers professionnels elle devra être accompagnée de dispositifs spécifiques comme la licence en 4 ans. A l’issue du nouveau Brevet, les étudiants pourront accéder à des « passerelles » vers des licences professionnelles.
La démocratisation en question
C’est là que les questions commencent. La position des bacs professionnels illustre les ambiguïtés du système éducatif. Et la démarche de la ministre en est aussi empreinte. Le bac professionnel a permis de démocratiser le bac. C’est à travers le bac professionnel que les jeunes des milieux populaires ont accédé au bac. On compte trois fois plus de titulaires du bac professionnel que du baccalauréat général chez les ouvriers (34,3 % contre 11,4 %) et un rapport inverse chez les cadres (10 % contre 36,1 %). Le système éducatif a démocratisé le bac en créant une nouvelle voie réservée aux enfants des classes populaires plutôt qu’en les aidant à accéder à un bac général.
Il leur a ensuite ouvert l’accès au supérieur mais à travers une filière spéciale et en bloquant les vraies voies de promotion. On l’a vu, le taux de réussite à la licence en trois ans des bacheliers professionnels est de 3,1 % seulement. En comparaison avec les étudiants issus d’un « bac » scientifique, leur chance de réussite est presque 10 fois moins élevée. On retrouve la même inégalité pour le BTS. Seule la moitié des bacheliers professionnels inscrits en STS a obtenu un BTS en trois ans, ce qui est nettement moins que les bacheliers technologiques (73 %) et les bacheliers généraux (85 %). La démocratisation s’est ainsi accompagnée d’une ségrégation croissante entre les filières.
Massification vs démocratisation
Il faut ces éclairages pour comprendre l’enjeu de la « nouvelle filière professionnelle » proposée par la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. Le développement d’une voie spécifique avec une pédagogie adaptée est un réponse au défi posé par les bacheliers professionnels.
En même temps cette nouvelle voie peut être un piège. La création des bacs professionnels a finalement empêché une véritable démocratisation du lycée en reléguant les enfants des milieux populaires dans des lycées particuliers et un diplôme particulier qui signifiait une fin d’études. La création d’une voie nouvelle dans le supérieur pourrait avoir la même signification. Alors que la filière professionnelle était en voie de se banaliser et de devenir un chemin vers le supérieur, la ministre propose une voie séparée pour ces jeunes des milieux populaires. 30 ans après la création du bac professionnel celui-ci n’est toujours pas considéré comme un vrai bac. Que vaudra un » Brevet professionnel supérieur » qui sera un diplôme spécifique réservé à des jeunes qui, passée la troisième, auront été poussés, malgré ce que dit la ministre, dans un tuyau aboutissant à une qualification particulière ?
François Jarraud
Dans Les Echos
Rapport Doucet
Analyse de V Troger
A Jellab : Enseignement professionnel voie d’émancipation ?
« Je suis la ministre des 12,3 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens. Je serai tout particulièrement celle, aux côtés des équipes pédagogiques et éducatives, des 20% d’élèves en grande difficulté dès la fin de l’école élémentaire et de tous ceux qui subissent le poids des déterminismes sociaux ». Ces propos volontaires de N. Vallaud-Belkacem sont-ils encore d’actualité ? Il y a sans doute urgence à manifester cette sollicitude pour les bacheliers professionnels.
Quand la ministre n’est pas là, ça se voit. Les 18 et 19 décembre, lors de deux événements importants pour l’enseignement professionnel, l’absence de la ministre ne passait pas inaperçue. Le 18 décembre, deux ministres avaient fait le déplacement pour signer la convention des Olympiades des métiers, un événement phare pour les jeunes issus de l’enseignement professionnel. Pas la ministre de l’Education nationale ni sa secrétaire d’Etat. Le lendemain, alors que la ministre de l’enseignement supérieur annonce une nouvelle orientation pour les bacheliers professionnels, la ministre est aussi absente.
Pourtant ce qui se met en route est important. L’enseignement professionnel c’est une histoire de succès. Car les enseignants de la filière réussissent des exploits. Ils ont su développer des pédagogies particulières pour reconstruire une relation entre ces jeunes et l’Ecole et arriver à leur donner un métier. Ils ont su, avec des élèves en difficulté, passer d’un bac en 4 ans à un bac en 3 ans Ce qui se fait au quotidien dans les établissements est magnifique. Mais toute l’histoire de l’enseignement professionnel a aussi à voir avec la domination et la relégation des classes populaires. Les enseignants le savent bien. C’est bien parce qu’ils sont les oubliés de la maison qu’ils sont les seuls à être bivalents dans le secondaire. Les élèves le savent encore davantage. Souvent ils arrivent dans l’enseignement professionnel sans le vouloir. Et ils voient bien que leur bac « égal en dignité » ne leur ouvre pas les mêmes portes qu’un bac général ou technologique.
Le projet de filière post bac réservée aux bacs pro renvoie à cette longue histoire. Sous prétexte de garantir la réussite dans le supérieur de ces élèves, on choisit une formation pratique avec un diplôme spécifique. Plutôt que faire le pari de les amener à un diplôme reconnu quitte à adapter le cursus, on continue à les mettre à part avec tous les risques de stigmatisation qui guette aux alentours. Ajoutons que c’est fait à la va vite. Conférence de presse emballée en une trentaine de minutes sur un dossier pas très bien maitrisé. Rapport et décision fabriqués en tout petit comité en 6 mois maximum pour décider l’avenir de 150 000 jeunes.
Les gens qui décident cela connaissent-ils seulement ces jeunes ? Avant de mettre ne place une formation en alternance ont ils une idée des discriminations dont sont victimes déjà une partie des lycéens professionnels ? Ont-ils une idée de ce qui se fait en lycée professionnel ? Ont-ils vu ces jeunes progresser aussi bien sur le plan social que scolaire ? Alors que la sélection à l’entrée du supérieur semble à nouveau à la mode, ne manifestent-ils pas avec ce projet un retour à l’exclusion et au réflexe de classe ? Est-ce le coût de l’accueil de ces jeunes dans le supérieur qui semble injustifié et qui pousse à ne leur offrir qu’une formation en alternance prise en charge par les entreprises ?
En l’absence d’un ministre en charge de l’enseignement professionnel, la ministre de l’éducation nationale qui aime à mettre en avant ses sentiments populaires a là un beau terrain d’exercice pur passer des mots aux actes.
François Jarraud
Sur le site du Café
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Par François Jarraud
L’expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » à l’issue de la 3ème est-elle un leurre ou une véritable mutation de l’éducation à l’orientation ? L’Inspection générale de l’Education nationale, sous la plume d’Aziz Jellab et Alain Taupin, publie un rapport mitigé qui montre que l’injonction ministérielle a eu peu d’impact finalement, au grand soulagement de nombreux acteurs du système éducatif. Les questions de l’éducation à l’orientation, du lien à construire avec les familles les plus éloignées de l’Ecole restent posées.
A l’origine de l’expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » pour l’orientation en fin de 3ème, une décision d’un Comité interministériel de la Jeunesse en février 2013. Lors du débat sur la loi d’orientation, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée propose que le dernier mot soit laissé aux parents pour l’orientation. Mais finalement cette proposition fait les frais des négociations entre groupes. Finalement la loi prévoira une simple expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » en fin de 3ème. C’est elle qui fait l’objet du rapport de l’Inspection générale.
L’expérimentation
Normalement, « en cas de désaccord, un entretien est proposé à la famille par le chef d’établissement. Le chef d’établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d’orientation de l’élève de la condition que celui-ci s’engage à suivre un dispositif de remise à niveau.. Si le désaccord persiste, le chef d’établissement doit motiver sa décision et la famille dispose de trois jours pour faire connaître son choix de recourir à une commission d’appel. La décision de celle-ci est définitive ». Les taux de désaccord tournent autour de 2% des élèves de troisième, si l’on en croit les chiffres officiels du ministère. L’expérimentation supprime la commission d’appel, prévoit un entretien entre la famille et le principal. Le choix de la voie d’orientation est laissé en dernier ressort à la famille.
Inscrite dans la loi d’orientation, l’expérimentation n’a fait l’objet d’un décret qu’en janvier 2014. Mais elle a été lancée dès juillet 2013. Le ministère a annoncé en septembre 2013 la participation de 117 collèges, un nombre ensuite ramené à 101 collèges, 16 établissements se retirant d’une expérimentation introduite par en haut. Le rapport souligne que » la mission a relevé un malaise implicite chez des chefs d’établissements déclarant avoir été obligés de mettre en oeuvre, sans concertation, l’expérimentation », selon un schéma bien connu dans l’Education nationale. Le rapport montre clairement que le choix des collèges expérimentateurs a été parfois imposé.
Ce qu’aurait du changer l’expérimentation
« L’expérimentation, en actant d’emblée le fait que la décision ultime d’orientation reviendra aux familles, modifie le rôle du chef d’établissement et des équipes éducatives. Ceux–ci devraient davantage occuper une position de conseillers aidant les familles et les élèves à prendre une décision en s’appuyant sur des arguments plus « pédagogiques » et moins strictement « scolaires » », note le rapport. Le cahier des charges de l’expérimentation invite « à une meilleure reconnaissance de la place des parents et à l’affirmation du principe de coéducation ». Il vise aussi « une revalorisation de la voie professionnelle » et « une évolution du pilotage pédagogique par le chef d’établissement ».
Ce que constate l’Inspection est bien plus nuancé. Si dans certains collèges on repense le parcours des élèves et l’éducation à l’orientation, dans d’autres « l’expérimentation est peu suivie de véritables changements dans le mode d epréparation et d’accompagnement des élèves et des parents ». Le rapport donne en exemple un collège prioritaire de l’académie de Toulouse où « le chef d’établissement et les équipes éducatives ne paraissent pas suffisamment impliqués dans l’expérimentation » et où s’est installé un certain fatalisme. Globalement, » la « bonne orientation », pour la plupart des équipes éducatives interrogées, est celle qui correspond à la décision du conseil de classe. Ainsi, les « cas litigieux » ayant donné lieu à des entretiens avec le principal et le conseiller d’orientation–psychologue à l’issue du conseil de classe du troisième trimestre sont considérés comme « résolus » lorsque la famille se range à la décision de l’équipe éducative. Le dernier mot aux parents est alors à interpréter davantage comme l’occasion de renforcer les échanges avec les équipes éducatives et moins comme une opportunité d’exprimer un voeu et de l’assumer ».
Quel impact sur l’orientation finale ?
Aujourd’hui en fin de troisième, 65% des élèves sont envoyés en seconde générale et technologique (GT) et 32% en seconde professionnelle ou CAP. Quelques progrès ont été réalisés depuis 1997, le taux de passage en 2de GT étant passé de 59 à 65%. Le taux de redoublement a reculé passant de 7 à 3%. Pour autant les décisions d’orientation ne sont pas à l’abri des inégalités sociales. Ainsi si 89% des enfants de cadres sont orientés en 2de GT, ce n’est le cas que pour 36% des enfants d’inactifs et 43% des employés de service. Or les demandes des familles sont en cause selon une étude de la Depp. Ainsi 91% des cadres demandent la seconde GT pour leur enfant quand ce n’est que 36% des inactifs. A notes égales, les écarts entre les souhaits sont importants. Quand ils sont très bons, 98% des enfants de cadres demandent la seconde GT quand c’est seulement 80% des enfants d’ouvriers non qualifiés.
L’expérimentation a-t-elle permis de diminuer les inégalités sociales devant l’orientation ? « Les éléments recueillis par la DGESCO montrent une stabilité globale des intentions d’orientation qui masque des tensions ponctuelles », note le rapport. Sur 90 collèges on observe peu de différences si ce n’est une légère augmentation des orientations vers la 2de GT : sur 9200 élèves la variation serait d’environ 70 élèves. Mais dans un tiers des collèges on aurait » une augmentation importante en proportion des intentions d’orientation vers la seconde générale et technologique même si, en raison de fluctuations d’effectifs, celles–ci ne se traduisent pas forcément par un nombre plus important d’élèves concernés… À l’inverse, dans d’autres collèges on constate une baisse importante des intentions d’orientation vers la voie générale et technologique au profit soit de la voie professionnelle soit du redoublement ».
Quel impact sur les enseignants ?
« Le travail sur l’ambition des familles n’a pas produit les mêmes résultats selon la manière dont le collège a établi des liens et un dialogue avec les parents », note le rapport. Dans tel collège l’expérimentation est utilisée pour travailler sur les projets des élèves. Dans tel autre elle sert à limiter les ambitions des élèves pour les dissuader d’aller en 2de GT… Le rapport note aussi qu’une conséquence de l’expérimentation est al hausse des demandes d’orientation en CAP. Globalement, » la mission n’a pas observé la moindre réflexion conduite par les équipes éducatives sur ce que signifie le niveau, alors que l’on sait que la notation reste assez aléatoire car soumise à une pluralité de variables (caractéristiques scolaires de la classe, mode de notation par les enseignants, contexte du collège…). Par ailleurs, le lien entre les notes et le projet de l’élève est faiblement interrogé. » Le rapport estime cependant qu’il y a » une évolution du regard sur les parents et une prise de conscience de la nécessité de participer à la connaissance du devenir des élèves à l’issue du collège ».
Une mesure qui leurre les familles ?
Si globalement l’expérimentation a été accueillie positivement par les familles, elle a été aussi source d’angoisse devant les responsabilités reportées sur elles ou devant un risque de stigmatisation pour les jeunes passés malgré le conseil de classe. Surtout le rapport souligne la « confusion » entretenue entre l’orientation et l’affectation. » La confusion entre orientation et affectation reste forte, malgré les explications apportées. Elle est significative de la volonté des familles que la décision prise soit réellement suivie d’effet, ne soit pas seulement un exercice formel et démagogique. La mission attire l’attention sur le fait que le consensus relatif entre les équipes éducatives du collège et les parents concernent les seules décisions d’orientation. S’il est remis en cause par l’affectation finale de l’élève, cela pourrait accentuer les déceptions vis–à –vis de l’institution, ravivées par l’accent mis dans l’expérimentation sur la liberté de choix donnée aux familles ». Notamment la mission » attire l’attention sur l’affectation des élèves dans les spécialités professionnelles convoitées ».
Globalement aussi, » le dialogue avec les familles est partout pratiqué, mais reste encore très institutionnel et les collèges de l’expérimentation n’abordent que rarement la question de la « place des familles » dans une réelle visée de coéducation ». L’expérimentation n’a pas radicalement changé la donne. Le travail sur l’orientation reste partout à construire.
François Jarraud
Le rapport
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/55/8/2014-073_experim[…]
« Il s’agit de redonner de la noblesse à une filière peu considérée ». Le 19 décembre, Geneviève Fioraso a présenté la nouvelle filière supérieure professionnelle qui devra être effective à la rentrée 2016. A cette date, le « Brevet professionnel supérieur », un diplôme de niveau III, sera la suite logique du bac pro. La ministre y voit plus de clarté pour les familles et les jeunes. Mais quel valeur réel aura ce diplôme spécifique crée pour des jeunes ayant déjà un bac spécifique ? Entre la promotion et la relégation de quel coté va pencher la balance ?
« Le gouvernement a une responsabilité quant à l’insertion, l’avenir des bacheliers professionnel, issus à plus de 80% des catégories les plus modestes de la société. C’est un enjeu de justice sociale, celui de rétablir l’ascenseur social républicain. C’est un enjeu économique, puisque le redressement industriel et la mise en place de nouvelles filières industrielles ne pourront se faire que si nous disposons des qualifications correspondantes ». Le 19 décembre, Geneviève Fioraso présente le projet de création d’une filière post bac spécifique destinée aux bacheliers professionnels. Elle charge Christian Lerminiaux, ancien président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, de la définir. Mais la ministre omet d’évoquer l’enjeu éducatif qui explique cette annonce.
Comment gérer le flux des bacheliers professionnels ?
C’est que l’enseignement supérieur doit faire face à l’essor rapide des bacheliers professionnels. En 2000 ils étaient déjà près de 100 000 (93 000). En 2010 on a délivré 119 000 diplômes du bac professionnel. En 2013, 159 000. C’est à travers le bac professionnel que s’est faite la démocratisation de l’accès au bac. Selon Vincent Troger, la voie professionnelle s’est banalisée. D’abord voie de qualification pour entrer sur le marché de l’emploi, elle est devenue un chemin commode vers le supérieur. Là aussi le changement est rapide. En 2000, 17% des bacheliers professionnels poursuivaient des études post bac. En 2014 ils sont 48%. Un tiers poursuit dans l’enseignement supérieur et 17% en contrats de professionnalisation. Ils représentent aujourd’hui 27% des étudiants des STS.
Or, pour Geneviève Fioraso, « ce flux ne peut pas être absorbé par les BTS ». Depuis 2014, la ministre a mis en place des quotas académiques qui facilitent l’entrée des bacheliers professionnels en STS. Et ça commence à porter des fruits. « Le nombre de propositions d’admission en BTS/BTSA faites aux candidats d’une terminale professionnelle s’est accru de 12,5 % (+ 4 761) », révèle le rapport de la députée S. Doucet remis en novembre 2014. Mais le rapport de S. Doucet montre aussi une forte lassitudes des enseignants des STS. Il dénonce une baisse de niveau résultant de la réforme du bac professionnel. Selon le rapport Doucet, pour la Fédération de l’enseignement privé (FEP)-CFDT, » le nouveau « bac pro » aurait fait perdre (aux jeunes) « l’habitude du travail » du fait de coefficient qui invitent à délaisser les matières générales telles que le français, les langues étrangères, les mathématiques et l’histoire-géographie. L’entrée en STS pourrait, selon le rapport, constituer une « rupture qualitative » pour ces bacheliers. ». Ces propos sont appuyés par des professionnels cités par S. Doucet. « Les représentants de la CPME ont considéré que le « fléchage » des bacheliers professionnels vers les STS risquait de conduire à une baisse du niveau du brevet de technicien supérieur ». Interrogée par le Café pédagogique, elle confirme. « C’est aussi l’avis du syndicat des chefs de travaux. Ils mettent en avant la qualité des BTS et ne veulent pas la perdre en s’ajustant aux bacs pros. La réforme du bac pro pose une question de niveau et de compétences ». Pour S Doucet il y a bien « un risque de décrochage » du BTS.
Combien ça coûte ?
A cela s’ajoute une autre question : celle du coût des BTS. Un étudiant en BTS revient à 13 510 euros en moyenne, soit nettement plus qu’un étudiant ordinaire. Dans le cas des bacheliers professionnels, seuls 60% obtiennent le diplôme du BTS. Il y a donc une forte perte de moyens. Elle est encore plus forte pour les bacheliers professionnels qui continuent en université (8%). Ceux-ci ont 3% de chances d’obtenir une licence en 3 ans. G Fioraso affirme qu’elle n’a pas fait de calcul de coût mais à coup sur c’est un motif pour un autre dispositif. Elle préfère dire, comme dans la lettre à de mission de Christian Lerminiaux, que les bacheliers professionnels ont « pour seules possibilités de se couler avec plus ou moins de bonheur dans des matrices qui n’ont pas été conçues pour eux en une sorte de refus implicite de leur droit à poursuivre des études ». La création d’une filière spécifique apporterait certes de la clarté et de la visibilité à la demande sociale des bacheliers professionnels. Mais C. Lerminiaux envisage une formation par alternance qui serait financée par les entreprises. « Si on leur apporte les compétences dont elles ont besoin il y a peu de souci à avoir pour le financement », nous a-t-il dit.
La nouvelle filière
Pour C Lerminiaux, l’alternance » permet d’acquérir des compétences au contact avec le métier ». Elle permettrait aussi d’offrir une voie « accessible à tous les publics ». Pour G Fioraso c’est « le moyen pour des jeunes fâchés avec les études de réussir ». Le nouveau » Brevet professionnel supérieur » (appellation encore provisoire) devrait être un diplôme de niveau III. La ministre nous promet de ne pas bloquer l’accès des bacheliers professionnels aux BTS. Mais « la carte des BTS devra à terme être revue ». Quant à l’entrée en université des bacheliers professionnels elle devra être accompagnée de dispositifs spécifiques comme la licence en 4 ans. A l’issue du nouveau Brevet, les étudiants pourront accéder à des « passerelles » vers des licences professionnelles.
La démocratisation en question
C’est là que les questions commencent. La position des bacs professionnels illustre les ambiguïtés du système éducatif. Et la démarche de la ministre en est aussi empreinte. Le bac professionnel a permis de démocratiser le bac. C’est à travers le bac professionnel que les jeunes des milieux populaires ont accédé au bac. On compte trois fois plus de titulaires du bac professionnel que du baccalauréat général chez les ouvriers (34,3 % contre 11,4 %) et un rapport inverse chez les cadres (10 % contre 36,1 %). Le système éducatif a démocratisé le bac en créant une nouvelle voie réservée aux enfants des classes populaires plutôt qu’en les aidant à accéder à un bac général.
Il leur a ensuite ouvert l’accès au supérieur mais à travers une filière spéciale et en bloquant les vraies voies de promotion. On l’a vu, le taux de réussite à la licence en trois ans des bacheliers professionnels est de 3,1 % seulement. En comparaison avec les étudiants issus d’un « bac » scientifique, leur chance de réussite est presque 10 fois moins élevée. On retrouve la même inégalité pour le BTS. Seule la moitié des bacheliers professionnels inscrits en STS a obtenu un BTS en trois ans, ce qui est nettement moins que les bacheliers technologiques (73 %) et les bacheliers généraux (85 %). La démocratisation s’est ainsi accompagnée d’une ségrégation croissante entre les filières.
Massification vs démocratisation
Il faut ces éclairages pour comprendre l’enjeu de la « nouvelle filière professionnelle » proposée par la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. Le développement d’une voie spécifique avec une pédagogie adaptée est un réponse au défi posé par les bacheliers professionnels.
En même temps cette nouvelle voie peut être un piège. La création des bacs professionnels a finalement empêché une véritable démocratisation du lycée en reléguant les enfants des milieux populaires dans des lycées particuliers et un diplôme particulier qui signifiait une fin d’études. La création d’une voie nouvelle dans le supérieur pourrait avoir la même signification. Alors que la filière professionnelle était en voie de se banaliser et de devenir un chemin vers le supérieur, la ministre propose une voie séparée pour ces jeunes des milieux populaires. 30 ans après la création du bac professionnel celui-ci n’est toujours pas considéré comme un vrai bac. Que vaudra un » Brevet professionnel supérieur » qui sera un diplôme spécifique réservé à des jeunes qui, passée la troisième, auront été poussés, malgré ce que dit la ministre, dans un tuyau aboutissant à une qualification particulière ?
François Jarraud
Dans Les Echos
http://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/0204026967966-enseign[…]
Rapport Doucet
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/11/03112014Artic[…]
Analyse de V Troger
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/09/26092012Article6[…]
A Jellab : Enseignement professionnel voie d’émancipation ?
« Je suis la ministre des 12,3 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens. Je serai tout particulièrement celle, aux côtés des équipes pédagogiques et éducatives, des 20% d’élèves en grande difficulté dès la fin de l’école élémentaire et de tous ceux qui subissent le poids des déterminismes sociaux ». Ces propos volontaires de N. Vallaud-Belkacem sont-ils encore d’actualité ? Il y a sans doute urgence à manifester cette sollicitude pour les bacheliers professionnels.
Quand la ministre n’est pas là, ça se voit. Les 18 et 19 décembre, lors de deux événements importants pour l’enseignement professionnel, l’absence de la ministre ne passait pas inaperçue. Le 18 décembre, deux ministres avaient fait le déplacement pour signer la convention des Olympiades des métiers, un événement phare pour les jeunes issus de l’enseignement professionnel. Pas la ministre de l’Education nationale ni sa secrétaire d’Etat. Le lendemain, alors que la ministre de l’enseignement supérieur annonce une nouvelle orientation pour les bacheliers professionnels, la ministre est aussi absente.
Pourtant ce qui se met en route est important. L’enseignement professionnel c’est une histoire de succès. Car les enseignants de la filière réussissent des exploits. Ils ont su développer des pédagogies particulières pour reconstruire une relation entre ces jeunes et l’Ecole et arriver à leur donner un métier. Ils ont su, avec des élèves en difficulté, passer d’un bac en 4 ans à un bac en 3 ans Ce qui se fait au quotidien dans les établissements est magnifique. Mais toute l’histoire de l’enseignement professionnel a aussi à voir avec la domination et la relégation des classes populaires. Les enseignants le savent bien. C’est bien parce qu’ils sont les oubliés de la maison qu’ils sont les seuls à être bivalents dans le secondaire. Les élèves le savent encore davantage. Souvent ils arrivent dans l’enseignement professionnel sans le vouloir. Et ils voient bien que leur bac « égal en dignité » ne leur ouvre pas les mêmes portes qu’un bac général ou technologique.
Le projet de filière post bac réservée aux bacs pro renvoie à cette longue histoire. Sous prétexte de garantir la réussite dans le supérieur de ces élèves, on choisit une formation pratique avec un diplôme spécifique. Plutôt que faire le pari de les amener à un diplôme reconnu quitte à adapter le cursus, on continue à les mettre à part avec tous les risques de stigmatisation qui guette aux alentours. Ajoutons que c’est fait à la va vite. Conférence de presse emballée en une trentaine de minutes sur un dossier pas très bien maitrisé. Rapport et décision fabriqués en tout petit comité en 6 mois maximum pour décider l’avenir de 150 000 jeunes.
Les gens qui décident cela connaissent-ils seulement ces jeunes ? Avant de mettre ne place une formation en alternance ont ils une idée des discriminations dont sont victimes déjà une partie des lycéens professionnels ? Ont-ils une idée de ce qui se fait en lycée professionnel ? Ont-ils vu ces jeunes progresser aussi bien sur le plan social que scolaire ? Alors que la sélection à l’entrée du supérieur semble à nouveau à la mode, ne manifestent-ils pas avec ce projet un retour à l’exclusion et au réflexe de classe ? Est-ce le coût de l’accueil de ces jeunes dans le supérieur qui semble injustifié et qui pousse à ne leur offrir qu’une formation en alternance prise en charge par les entreprises ?
En l’absence d’un ministre en charge de l’enseignement professionnel, la ministre de l’éducation nationale qui aime à mettre en avant ses sentiments populaires a là un beau terrain d’exercice pur passer des mots aux actes.
François Jarraud
Sur le site du Café
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