- Quel contenu pour le nouveau socle commun ?
- Ce que l’Ecole devrait enseigner : Plaidoyer pour changer l’Ecole
Vous avez reçu un courriel. La consultation sur le nouveau socle commun est ouverte, a annoncé le 22 septembre un courriel du ministère envoyé à tous les enseignants. La consultation se terminera le 18 octobre. Durant ces quatre semaines, les enseignants des écoles et collèges pourront bénéficier d’une demi-journée banalisée pour échanger sur cette nouvelle base du système éducatif. Mais déjà la suspicion rode : que pèseront les avis des enseignants alors que les appareils syndicaux se sont déjà emparés du sujet ?
Le socle
« Cette consultation revêt un caractère exceptionnel par son ampleur. Plus de 800 000 personnels d’enseignement, d’éducation et d’encadrement sont invités à y participer. Elle permettra de recueillir les avis et les propositions des professionnels de l’école sur les projets proposés par le conseil supérieur des programmes (CSP) », explique le ministère. Imposé par la loi d’orientation, en lieu et place du socle de 2005, le projet de nouveau socle a été proposé par le CSP. La loi d’orientation de 2013 pose le principe du socle commun en réponse à la crise de l’Ecole. » La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. Le socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté. Les éléments de ce socle commun et les modalités de son acquisition progressive sont fixés par décret, après avis du Conseil supérieur des programmes ». Elle invite à « mieux articuler » le socle et les programmes, doux euphémisme alors que rien ne coordonne les deux dans les programmes actuels. Le socle doit devenir » le principe organisateur de l’enseignement obligatoire dont l’acquisition doit être garantie à tous ». Il est « le programme général » correspondant aux cycles de l’école primaire et du collège.
Le déroulement de la consultation
Selon le ministère, la consultation sera précédée, en école et collège, d’une « réflexion collective » effectuée sur une demi-journée libérée. Dans beaucoup d’endroits, semble-t-il, rien n’a encore été décidé. Mais dans certains départements, le Dasen a fixé une date unique pour la consultation pour les écoles et les collèges de façon à ce que la réflexion puisse associer les deux éléments de l’école du socle. Certains collèges et certaines écoles travailleront de leur coté mais d’autres pourront se réunir pour enrichir le débat.
Pour organiser la réunion, chefs d’établissements et inspecteurs (IEN) ont reçu une « aide à l’animation pour la consultation nationale ». Le document, qui compte deux pages, invite à interroger les enseignants sur les changements entre ce nouveau socle et celui de 2005. « Que pensez-vous de la nouvelle architecture du socle, du passage de sept compétences à cinq domaines de formation ? Que pensez-vous de la place faite aux disciplines dans ce texte ? », demande encore cette aide, avant d’arriver à ses « points forts » et ses « points faibles ». Les inspecteurs et personnels de direction demanderont aussi pour domaines de formation « Que pensez-vous des objectifs de connaissances et de compétences formulés pour ce domaine ? Vous paraissent-ils clairs ? pertinents ? faciles à mettre en oeuvre dans votre enseignement ? réalistes pour un élève en fin de scolarité obligatoire ? » Une dernière partie de la réunion sera consacrée à l’évaluation telle qu’elle est définie dans le projet de socle. « Que pensez-vous du fait qu’une partie du projet de texte soit consacrée à l’évaluation (ce qui n’est pas le cas pour le socle actuel) » ? On sait que la ministre a fait de l’évaluation l’objet d’une grande conférence à la fin de l’année. Ce n’est qu’après cette réflexion commune que les enseignants pourront s’exprimer sur le socle commun à travers un formulaire numérique.
Mais pour quoi faire ?
Que deviendront ces questionnaires ? Une extravagance est déjà reconnue par tous comment allant de soi. A l’issue de la consultation, ce n’est pas le Conseil supérieur des programmes qui fera la synthèse et tranchera. « Les éléments de ce socle commun et les modalités de son acquisition progressive sont fixés par décret, après avis du Conseil supérieur des programmes », dit la loi d’orientation. C’est le ministère qui fera la synthèse de la consultation et non le CSP. C’est la ministre qui tranchera. Elle l’a elle-même annoncé. C’est dire que la consultation ne sera qu’un élément de sa décision.
Le débat sur le nouveau socle commun a commencé dès les premières fuites savamment distillées sur le projet du CSP. Mais bien avant, le socle commun est devenu le lieu d’affrontements entre « réformistes » et « républicains ». L’opposition au premier socle, celui de 2005, n’a eu qu’à se laisser porter par la façon dont l’institution a saboté la loi de 2005 en transformant le socle en un cauchemar bureaucratique. L’expression « socle commun » est devenue un repoussoir chez de nombreux enseignants, particulièrement au collège.
La particularité du nouveau texte c’est que défenseurs et adversaires du socle s’affrontent à front renversé avec le nouveau socle. Ainsi le Snes, » qui n’a jamais porté l’idée de socle commun, a pourtant fait le choix de s’engager dans les discussions de ces deux années, avec l’objectif af?rmé et largement explicité de sortir des logiques de 2005 et en tenant les personnels en permanence informés. Le texte mis en consultation marque une première rupture avec les politiques éducatives précédentes. Il suf?t pour s’en convaincre de constater le rejet qu’il suscite chez les tenants du socle de 2005″. Les syndicats réformistes, Unsa et Sgen, s’opposent effectivement fortement au nouveau socle. Le SE-Unsa « a toujours soutenu l’idée d’un socle commun de connaissances et de compétences garanti à tous les élèves, malgré les errements du LPC. L’enjeu est réel, il s’agit ni plus ni moins de fixer un cap pour notre École et un cadre de travail pour les prochaines années… Néanmoins, le projet de socle commun du CSP ne nous paraît pas en mesure de répondre aux défis posés à l’École du XXIème siècle, ni en mesure de répondre aux difficultés posés par la mise en œuvre du socle commun de 2006 ».
Dans chaque camp, on ne fait pas mystère qu’on attend de la ministre qu’elle tranche le débat en sa faveur et on entend bien peser de façon déterminante sur elle. La consultation ne sera qu’un des instruments dans cet affrontement. Le débat oppose des identités professionnelles dans un contexte de crise sociale, de crise profonde du système éducatif et d’inégalités éducatives criantes. Remis à plus tard par la loi d’orientation et confié au CSP, le débat devrait porter sur la démocratisation de l’Ecole. il va surtout peser le rapport de forces.
François Jarraud
Le site de la consultation
http://eduscol.education.fr/consultations-2014-2015/
Snes
http://www.snes.edu/Projet-de-socle-commun.html
Se Unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article7129
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Comment définir ce minimum culturel partagé que tout jeune doit posséder à la sortie de l’école obligatoire ? La loi d’orientation de 2013 a défini le socle commun de connaissances, de compétences et de culture comme » le principe organisateur de l’enseignement obligatoire dont l’acquisition doit être garantie à tous ». La nouvelle version que le Conseil supérieur des programmes (CSP) a révélée le 10 juin décline des objectifs de maitrise de compétences dans 5 domaines de formation dans lesquels les disciplines scolaires classiques devraient trouver place. Même s’il a été conçu dans un esprit de compromis, à peine publié, le nouveau socle rencontre une difficulté attendue : qu’y a-t-il encore de commun dans un système éducatif qui relègue un enfant sur cinq et où, plus qu’ailleurs, les inégalités sont criantes entre établissements et filières d’enseignement ?
Qu’est-ce que le socle commun ?
« Le socle commun définit les connaissances et les compétences qui ouvrent à tous les élèves cet accès à une culture vivante. Il doit les conduire à maîtriser les langages fondamentaux qui permettront de concevoir une représentation ordonnée et rationnelle du monde. Cette culture scolaire accompagne et favorise le développement physique, cognitif et sensible ; elle permet d’agir, de conquérir et d’exercer ainsi progressivement sa liberté et son statut de citoyen responsable. L’acquisition de cette culture est indispensable pour réduire les inégalités et permettre l’accès de tous au savoir. » En un paragraphe, le Conseil supérieur de l’éducation a réussi à enfermer et les raisons et la définition du socle commun.
Son objectif c’est la réduction des inégalités à l’intérieur du système éducatif. On sait que la France, selon PISA, est le pays où la condition sociale prédit le plus la réussite ou l’échec scolaire. C’est aussi le pays où l’écart se creuse entre une élite scolaire et sociale et une base dont le niveau ne cesse de dégringoler. Définir un socle commun c’est changer le regard du système, l’amener à ne plus s’intéresser qu’au ciel pour regarder enfin l’élève réel et ses acquisitions. Le socle clôt » dix années de la vie et de la formation des enfants et correspond pour l’essentiel aux enseignements de l’école élémentaire et du collège. Précédée pour la plupart d’entre eux par une scolarisation en maternelle qui leur a appris à vivre ensemble et à apprendre ensemble, la scolarité obligatoire de 6 à 16 ans poursuit cet objectif de formation et de socialisation. Elle donne aux élèves la culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur permettra de s’épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de poursuivre leur formation tout au long de leur vie, quelle que soit la voie choisie, de s’insérer dans la société où ils vivront, et de participer, comme citoyens, à son évolution ». Au niveau national, « cette culture commune doit devenir une référence centrale pour la Nation, en ce qu’elle définit les finalités de l’éducation dans le monde contemporain et qu’elle a pour exigence que l’école tienne sa promesse pour tous les élèves ».
Le socle définit 5 « domaines de formation » là où la précédente version avait trouvé 7 grands champs. Ces 5 domaines sont « Les langages pour penser et communiquer », « Les méthodes et outils pour apprendre », « La formation de la personne et du citoyen », « L’observation et la compréhension du monde » et « Les représentations du monde et l’activité humaine « . On constate une première rupture avec le premier socle : ces 5 domaines ne correspondant pas aux disciplines scolaires traditionnelles. Ils n’ont pas été conçus en fonction d’elles mais en raison de ce que l’on doit attendre de la formation commune. C’est à la fois une force, qui ajoute d ela cohérence, et une faiblesse car cela dématérialise un socle. Le problème du premier socle c’était la coupure entre les disciplines et leurs programmes et lui. A trop ignorer les disciplines, le nouveau socle risque la même marginalisation.
Quelle évaluation ?
Le point fort c’est que les évaluations et disciplines doivent s’articuler autour du socle. « Ces cinq domaines ne se déclinent pas séparément. Ils ne correspondent pas à de nouvelles disciplines qu’il serait possible d’appréhender distinctement les unes des autres, mais à de grands enjeux de formation. Chaque domaine de connaissances et de compétences requiert la contribution de toutes les disciplines et démarches éducatives, chaque discipline apporte sa contribution à tous les domaines… Pour chacun des cinq domaines concernés, le socle définit les objectifs visés, les connaissances et compétences correspondantes, et les principaux champs d’activité dans lesquels se construisent ces connaissances et compétences. »
Le nouveau socle part du concret, de son évaluation. Mais cette évaluation est comprise au sens des évaluations classiques des enseignants. Sur ce terrain il fixe des principes. D’abord, le refus de la sacro sainte moyenne qui caractérise l’école française (« Eviter les calculs artificiels de moyennes ou la multiplication excessive des items, qui font perdre le sens du projet global de formation… éviter des mécanismes artificiels de compensation et définir un niveau au moins suffisant dans chaque domaine ». Ensuite le principe d’une évaluation collégiale (« Privilégier des mécanismes d’évaluation qui constituent en même temps un outil favorisant une réflexion collégiale dans les écoles et les établissements ») afin que l’évaluation reste pensée et maitrisée. Un troisième principe serait l’évaluation positive, celle que le ministre a vivement annoncé vouloir intégrer dans el système éducatif. Enfin le socle envisage une évaluation finale qui met fin au dualisme socle – brevet. « Rechercher une procédure simple et cohérente associant une évaluation progressive des acquis des élèves à chaque fin de cycle et une validation terminale du socle commun. Mettre fin à la concurrence entre l’évaluation des programmes et l’évaluation du socle et assimiler la délivrance d’un brevet redéfini et la validation du socle ». Le texte prévoit même que la validation du scole pourra être faite au lycée si elle n’a pas réussi en fin de collège. L’évaluation sera graduée. « Permettre, pour chaque type de connaissances et compétences évalué, d’identifier plusieurs niveaux de réussite. Le CSP fera des propositions en ce sens dans le cadre des programmes détaillés ». On tourne la page de la centaine d’items « acquis – non acquis » du socle actuel.
Les 5 domaines de formation
L’élève « lit et comprend en développant son attention à tous les éléments du texte… Il a appris à tirer profit et plaisir de ce qu’il lit ». On voit que les objectifs du premier domaine « les langages pour penser et communiquer » sont à la fois peu précis et ambitieux. Ce domaine inclut l’expression française, les langues étrangères mais aussi les langages scientifiques (numération, plans, cartes) et l’expression artistique.
Le second domaine « les méthodes et outils pour apprendre » est certainement le plus novateur. Les compétences documentaires et numériques entrent au coeur du socle. Il s’agit de » Maîtriser les techniques usuelles de l’information et de la documentation » et de « maitriser les techniques et les règles des outils numériques ». L’élève doit aussi savoir travailler en équipe.
Le troisième domaine regroupe sous l’appellation « formation de la personne et du citoyen » le développement de « la confiance en soi et les respect des autres », c’est à dire des acquisitions morales, des règles de droit, le sens de l’engagement et de l’initiative. » Ce domaine de compétences et de connaissances engage par excellence la totalité des enseignements portés par les différentes disciplines », écrit le socle. Mais on comprend bien que ce domaine renvoie à un nouveau enseignement que V Peillon voulait impulser : » L’enseignement moral et civique, mis en place tout au long de la scolarité, fournit une occasion privilégiée pour développer et mettre en perspective ces compétences ». Celui ci devrait être plus actif que l’instruction civique des programmes de 2008.
Le domaine « observation et compréhension du monde » nous ramène à des disciplines plus traditionnelles : « ce domaine comprend un vaste pan de la culture regroupant les mathématiques, l’informatique, les sciences de la vie et de la Terre, la physique, la chimie, la technologie ». Là aussi il y a une volonté actionnelle.
Le dernier domaine « les représentations du monde et l’activité humaine » renvoie à l’histoire géographie mais peut aussi mobiliser des éléments de français ou d’enseignements scientifiques.
Un accueil critique
On sait l’école divisée en opposants et partisans du socle depuis 2005. Il est frappant de constater que les opposants sont les moins critiques. Certes FO dénonce des domaines « aussi flous qu’arbitraires » et dénonce la volonté de « tirer vers le bas l’instruction des élèves ». Mais el Snuipp, interrogé par le Café, est plutôt positif. Il appelle à « construire le consensus » et à « permettre aux enseignants de s’approprier le socle » et pour cela demande une journée banalisée en octobre.
C’est du coté des partisans du socle que la critique est la plus sévère. Le Se-Unsa, qui avait proposé sa propre version du socle, exprime « sa profonde déception et sa grande inquiétude à la lecture du projet de « socle commun de connaissances, de compétences et de culture… En faisant disparaître le cadre de référence européen et les 7 compétences-clés, le CSP prive les enseignants d’un outil professionnel : le concept de compétences. Pourtant, ces compétences permettent de suivre les progrès et les réussites des élèves, et les engagent, au-delà de la seule mémorisation, à mobiliser leurs connaissances pour résoudre des problèmes et agir… En définissant une vingtaine d’objectifs répartis en cinq domaines hétérogènes, qui ne sont pas évaluables en l’état, le CSP pense que cela facilitera la lisibilité et l’appropriation du socle commun. Il n’en est rien. Ainsi, la “maîtrise de la langue”, ancien pilier, devient un simple objectif, tout comme la pratique d’une langue étrangère. Au final, les objectifs à évaluer seront beaucoup plus nombreux que dans l’ancien LPC ». Le Se-unsa porte l’estocade : » En privilégiant une recherche du consensus entre les opposants et les partisans du socle commun, le CSP choisit la voie de l’immobilisme et de l’impuissance ».
François Jarraud
Le socle
http://cache.media.education.gouv.fr/file/06_Juin/38/8/CSP_Socle_com[…]
Le socle version Se-Unsa
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/05/14052014Ar[…]
Communiqué Se-Unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article6755
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- Ce que l’Ecole devrait enseigner : Plaidoyer pour changer l’Ecole
Un inspecteur général peut-il écrire un livre révolutionnaire ? C’est ce que fait Roger-François Gauthier avec « Ce que l’école devrait enseigner » (Dunod), un vibrant plaidoyer pour le curriculum. Pour lui, réfléchir enfin à l’organisation des savoirs scolaires et aux contenus enseignés c’est « une révolution de la politique scolaire », pour ne pas dire de l’Ecole. transformer l’Ecole. En effet, il démontre que se poser la question de la culture commune c’est remettre sur l’atelier toutes les bases de notre Ecole et ses finalités. Membre du Conseil supérieur de l’Education, RF Gauthier publie ce plaidoyer au moment où le Conseil est vivement attaqué. Tenons-nous le prochain président du CSP ?
« Les choix qu’effectue une société sur ce qu’enseigne son école ne sont pas anodins. Selon ce que l’école enseigne ou non, la population passée par cette école n’aura ni les mêmes valeurs, ni les mêmes capacités sociales ou économiques, ni la même vision du monde… Le monde n’aura pas le même visage ». Inspecteur général de l’Education nationale, Roger-François Gauthier connait bien cette question: avant de siéger au Conseil supérieur des programmes, il a coordonné sur le thème du curriculum un numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres et un ouvrage de l’Unesco.
Alors que les savoirs scolaires semblent déconsidérés, RF Gauthier nous invite à les redéfinir et pose la question de la culture commune. Ce faisant il remet en question un ordre scolaire basé sur des disciplines hiérarchisées et toutes puissantes au sein du système éducatif. Ce sont elles qui fondent l’identité des enseignants et qui délimitent leur formation assurant ainsi le maintien d’un type d’Ecole dont on connait bien aujourd’hui les limites. Tirant toujours sur le fil, RF Gauthier invite aussi à revoir l’évaluation et pose la question du pouvoir dans l’Ecole.
Et nous voilà dans la véritable refondation de l’Ecole. « C’est tout un ensemble de certitudes héritées (par exemple qu’existent des élèves qui seraient littéraires quand d’autres seraient scientifiques »), de croyances…, de pratiques (comme le calcul de moyennes générales…); de traditions corporatistes (les professeurs du second degré ont là pour enseigner des disciplines, pas pour éduquer) qui imposent à l’école de France et à ses acteurs tous les déterminants de son échec », écrit-il. Il n’hésite pas à dénoncer le lien entre ces croyances et le corporatisme à l’intérieur du système éducatif. Et il invite à lui résister pour imposer un changement qui rendrait l’Humanité meilleure.
Roger-François Gauthier : » On pourra lutter bien plus efficacement contre les dérives de renoncement »
Votre ouvrage pose la question de ce que l’Ecole devrait enseigner. Vous écrivez que ce qui est enseigné « n’est pas anodin » et que ca peut « changer le monde ». Mais les savoirs scolaires sont aujourd’hui assez décriés. Pourquoi faudrait-il s’y intéresser ?
Précisément, partons de là ! Les savoirs scolaires sont en effet décriés pour x motifs dont j’essaye de dresser un peu l’inventaire. Les plus souvent cités : « à l’heure d’internet, tous les savoirs sont disponibles à tous : qu’avons-nous besoin de « savoirs scolaires ? » ou encore les motifs consistant à rappeler la fin des grands romans nationaux ou scientifiques, qui conduit à douter de tout énoncé ayant prétention d’être un « savoir ».
En outre, ces « savoirs scolaires » sont souvent des savoirs, et c’est la cas en France, définis au niveau de l’Etat-Nation : par temps de mondialisation pas toujours bien comprise, cela a mauvaise presse…
Or on voit bien ce qui se passe aujourd’hui : des auteurs sont prêts (voir l’ouvrage de Durpaire et Mabilon-Bonfils, « La fin de l’école » – […]lexpresso/Pages/2014/09/01092014Article635451530856817518.aspx) à considérer que parce que les savoirs scolaires sont plus difficiles à définir qu’il y a un siècle, ce qui est certain, c’est l’école qui va se dissoudre…
Au contraire, des mêmes prémices nous tirons des conclusions opposées : nous pensons que plus l’offre de savoirs est importante dans le monde, et disparate, et fractionnée, et ambigüe, plus il est difficile que se constituent les savoirs dont chacun, jusqu’au plus faible, aura besoin, plus l’école est nécessaire ! Cette « société de la connaissance » qui semble s’offrir selon un slogan qui n’a pas beaucoup de sens, elle est profondément déshumanisée. Une médiation méthodique est nécessaire entre elle et l’Humanité, et cette médiation existe, au sein d’un service qui doit rester public car sa mission est plus que régalienne, et c’est l’école !
Autre chose : une école qui ne s’intéresse que peu aux savoirs scolaires, c’est quand même assez paradoxal ! A quoi peut-elle s’intéresser ? Si, à une seule chose, comme l’école française a tellement tendance à le faire : à la sélection, à la limite peu importe sur quoi, d’une supposée petite élite à gros potentiel…. Dont on sait en outre qu’elle est recrutée socialement, de fait, de façon très injuste.
S’intéresser aux acquis de tous, c’est une tout autre logique, bien sûr ! Et cela dégage une base beaucoup plus large et démocratiquement plus acceptable, pour dégager les élites dont la société a besoin, qui plus est en plus grand nombre !
Sur quelles bases faudrait il construire cette culture commune ? Le système éducatif français est marqué par de très fortes inégalités sociales et ethniques. Agir sur les contenus est il nécessaire pour remédier à cette situation ?
Là aussi quelques idées simples :
• En 2005 c’est bien pour que l’école permette à chacun de bénéficier des savoirs indispensables qu’est instauré le « socle commun », en fin de scolarité obligatoire. Les procès en sorcellerie accusant cette entreprise de viser un SMIC culturel, comme si en droit du travail ne SMIC n’avait pas été une avancée ne sont pas de bonne foi !
• A partir du moment où il y a plus de clarté dans ce qui est attendu de tous les élèves, on peut penser qu’on pourra lutter bien plus efficacement contre les dérives de renoncement à enseigner une partie du curriculum qui sont constatées dans un certain nombre d’établissements. Tout cela sortira d’un cadre inavoué pour être l’objet d’un suivi, d’une aide apportée aux professeurs, et d’une construction sur plusieurs années d’un cycle. Si on pense que, plus que jamais, la diffusion des savoirs et la construction des compétences sont un outil majeur de justice sociale, il ne faut alors tolérer aucune dégradation dans la qualité des menus servis aux élèves. Sauf pour qu’en certains cas ceux des milieux les moins favorisés bénéficient de menus plus riches, d’un frottement plus intense à la culture commune. Ce qui veut dire que la mise en œuvre locale des programmes nationaux est une étape importante, comme une compétence qu’il faudra clairement inscrire à dans l’équipement professionnel des enseignants ;
• Le rythme annuel programmes/moyenne générale/ menace de redoublement, tellement français n’encourage pas les élèves qui peuvent rencontrer des difficultés à apprendre ; les logiques de cycle, le découragement du redoublement, devront faire partie du nouvel arsenal vers l’efficacité et la justice scolaires !
• Ce socle, toutefois, ne changera pas par miracle et tout seul le paysage d’injustice qui règne dans l’école française : sans même parler ici de la lutte contre les écoles ghettos, c’est tout le paysage de l’évaluation des élèves qui doit absolument être revu. Le livre y consacre un chapitre qui reprend tous les points : harcèlement de contrôles, calculs absurdes de moyennes, examens, modalités d’orientation….
Qui devrait en être chargé ? le ministère ? Un organe indépendant ? Les élus ?
Ces questions de pouvoir sont capitales, parce que si la République les résout mal, il faut bien savoir que le Marché est là, lui, avec toutes ses réponses prêtes ! Jusqu’ici c’était l’opacité : aucune règle, aucun principe ne définissait en France qui était en charge des programmes, ni ce qu’on devait appeler « programme », ni, encore moins, à quels principes ils devaient se conformer.
La loi de 2013 a créé des structures qui, pour la première fois, délèguent une part du travail d’élaboration des contenus (et non pas de la prise de décision qui continue de relever du pouvoir politique national) à une instance, le Conseil supérieur des programmes, qui regroupe des experts, des élus, des personnalités de la vie associative, et dont les premiers mois d’existence montrent que l’indépendance vis-à-vis de l’autorité politique peut être une réalité. Ce Conseil a élaboré et publié une « charte des programmes » qui est une avancée vers cette transparence souhaitée. J’en parle aussi dans cet ouvrage, plus en détail.
Il est bon en effet que le pouvoir exécutif n’ait pas de monopole en la matière, à la fois parce qu’il est trop éphémère et parce qu’il peut ne pas en faire toujours bon usage !
L’important est que chacun, professionnels comme usagers, prenne peu à peu l’importance de voir se développe un débat public sur les valeurs et les attendus de l’école. Qui ne soit pas le café du commerce : ce débat n’aura de valeur qu’à partir du moment où tous ceux qui y participent pourront bénéficier d’apports de la recherche, permettant humblement et empiriquement d’évaluer les programmes en vigueur, leurs apports et leurs effets sur les élèves, dans leur diversité. Et que soit construite une nouvelle carte des pouvoirs en la matière, où soient par exemple plus écoutés les enseignants ainsi que ceux qui, notamment à l’université, produisent des savoirs sur l’école.
Faut-il donner à l’élève une marge de liberté dans ce qui lui est enseigné comme c’est le cas, au lycée, dans beaucoup de pays ?
Là je crois qu’il faut aussi réfléchir : plus on renforce, or il faut le faire, l’homogénéité des attendus de fin de scolarité obligatoire, plus il faut, à partir du lycée, mettre de la liberté, laisser les élèves librement faire de la danse ET des maths, de la technologie industrielle ET de la littérature si cela leur chante ! Echapper s’ils le souhaitent aux lourds menus français de séries de baccalauréat vaguement encyclopédistes pour offrir à ceux qui veulent aller « deeper » plutôt que « broader » de le faire. Et abandonner ces séries de baccalauréat antédiluviennes qui laissent croire à quelque prédétermination génétique, de type « scientifique » ou « littéraire », qui n’ont plus de sens qu’historique…
Pourquoi cela ne se fait pas chez nous ?
Il y a une ancienne tradition en France d’une institution qui se sent responsable d’ « orienter » les élèves, sans trop douter d’elle-même… Le « pourquoi » serait à mieux étudier, mais on peut faire l’hypothèse que l’ombre portée des classes préparatoires aux grandes écoles sur le lycée, classes où précisément les programmes sont imposés, puisqu’il s’agit de programmes de concours, ne donne pas l’idée de la liberté et de la diversité à ce niveau qui sont sans doute un point intéressant des études par exemple au Royaume- Uni.
Une part de la motivation des élèves peut passer par là, mais aussi leur responsabilisation pour des études choisies, de même qu’une moindre hiérarchisation perverse qu’avec les « séries actuelles » entre des choix qui par définition seront plus divers. Cela peut contribuer aussi à décourager l’esprit de caste et les préjugés de supériorité sociaux qui instrumentalisent les savoirs scolaires. « Grec ancien et bureautique », on aura ça quand ?
Vous expliquez dans votre ouvrage le lien profond entre les programmes et le système éducatif. Changer les contenus c’est changer l’Ecole ?
Qu’est-ce qu’une école, si ce n’est un projet que des élèves apprennent des choses, quel qu’en soit le statut ? On a trop eu tendance, dans tous les pays, à ne définir l’école que par des objectifs quantitatifs de scolarisation ! Comme si les programmes au fond n’étaient pas les premiers à définir la finalité d’un système ! C’est parce qu’on a par exemple créé le collège unique sans projet clair du discours sur le monde comme sur la justice qu’il devait diffuser qu’il n’a pas vraiment à ce stade changé la donne. L’école primaire de la Troisième République, elle, avait un projet pédagogique nouveau, rien n’aurait été possible sans cela.
La loi d’orientation a créé le CSP qui a en charge de rédiger les programmes. Il n’a plus de président. Le ministre s’est emparé du champ de l’évaluation apparemment sans même le solliciter. Et ses travaux sont critiqués aussi bien par le camp réformateur que par le camp traditionaliste. Quel peut être son avenir ?
Je ne veux pas mélanger les points de vue d’auteur et de membre d’une institution. Tout ce que je veux dire est que si le CSP est critiqué par plusieurs camps, comme vous semblez le dire, c’est peut-être qu’il est sur la longue route de l’invention d’autre chose !
Propos recueillis par François Jarraud
Numéro de la RIES sur le curriculum
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/[…]
Etude Unesco 2007
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/82Democrati[…]
Sur le site du Café
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