Les parents restent parents, même quand ils ne vivent plus en couple. Pour éclairer le débat public, donner avis aux pouvoirs publics et apporter la voix des familles, l’UNAF, Union nationale des associations familiales, s’est intéressée à la façon dont les parents séparés exercent leur autorité parentale, éduquent leur enfant, et suivent leur scolarité, en réalisant une étude qualitative sous forme de 32 entretiens semi-directifs approfondis de parents séparés ou divorcés.
Le poids de la séparation
Cette étude fait apparaitre une réelle difficulté pour les parents séparés à suivre conjointement la scolarité de leurs enfants, difficultés qui se résolvent relativement facilement lorsque les parents s’entendent bien et communiquent entre eux, mais plus difficilement lorsque les relations sont un peu tendues ou réellement conflictuelles. (Il est important de noter que cette situation de conflit peut évoluer car nous avons rencontré des parents qui déclaraient avoir été en conflit au début de la séparation et qui maintenant parvenaient à communiquer et à s’entendre a minima, pour le bien des enfants.)
Les modalités d’hébergement de l’enfant ne facilitent pas un suivi égalitaire de la scolarité des enfants. Quand le père ne voit son enfant que tous les 15 jours pour un week-end ou quand c’est la mère qui le voit moins souvent , les contacts avec les écoles, collèges ou lycées sont réduits et certaines informations mises « dans le cartable de l’enfant » peuvent échapper au parent. « Par exemple si ils font une sortie, je ne suis pas au courant. C’est dans le carnet de correspondance, mais les enfants ne me montrent plus rien du tout. Les enfants montrent le carnet à leur mère, et ils disent : « maman l’a signé, on l’a rendu à l’école ». Et comme moi, je les vois tous les quinze jours, des fois ça passe à la trappe. »
Suivre la scolarité…
Concernant le suivi de la scolarité des enfants, les parents déclarent être plus ou moins impliqués, (comme tous les parents, qu’ils vivent en couple ou séparés). Cet investissement dépend notamment de leur propre histoire avec l’école, de l’investissement de leurs propres parents, des habitudes culturelles de leur milieu d’origine …. En cas de séparation cependant, ils peuvent, quand ils s’entendent bien, décider de s’informer et d’en discuter l’un avec l’autre « au fil de l’eau » ou au contraire d’organiser des « rituels » d’échange pour être sûrs d’être tous les deux au courant de ce qui a pu se passer, et pour échanger. « On a mis une procédure en place. Quand je le ramène, je monte, on prend l’apéritif, et je regarde ses notes, je signe ses cahiers, le carnet de correspondance. Il y a nos deux signatures à chaque fois, on le fait depuis toujours. Et une fois par trimestre, c’est son carnet avec les évaluations. » Mais en cas de conflit, l’un des parents peut reprocher à l’autre son désinvestissement ou au contraire de faire de la rétention d’information. Les établissements qui prennent en compte la séparation des parents en envoyant toutes les informations en double sont donc particulièrement appréciés. Pour cela, les ENT (Espaces numériques de travail) sont considérés comme des outils particulièrement utiles, car chacun des deux parents peut y avoir accès en parallèle. Les parents interviewés regrettent donc que les ENT n’existent pas en primaire, et, dans ce cas, le carnet de correspondance, à lui seul, n’est pas forcément considéré comme l’outil idéal.
Il y a aussi des établissements qui semblent, selon les parents interviewés, « oublier » que l’enfant a deux parents, dont l’un, même s’il ne voit l’enfant qu’un week-end sur 2, et même si, de ce fait, l’école ne le rencontre pas souvent, est aussi concerné par sa scolarité. Selon certains pères, en particulier, les établissements ont parfois du mal à les considérer comme pouvant être très impliqués dans la scolarité de leurs enfants. Parfois, même alors que les enfants sont confiés principalement au père, l’établissement continue à s’adresser prioritairement à la mère. « L’année dernière, j’ai donné l’ordonnance du juge en copie et j’ai mis mes coordonnées en premier. Malgré tout, c’est le réflexe, on appelle la mère d’abord. »
Concernant les rencontres parents – enseignants, il est évident que d’une manière générale, prévenir suffisamment à l’avance les parents permets d’éviter en partie les difficultés.. Mais cela ne résout pas la difficile question de devoir se retrouver ensemble face aux enseignants alors qu’on « ne se parle plus ». Les parents en conflit oscillent souvent entre la volonté que l’autre s’implique (enfin) et le souhait qu’il ne s’en mêle pas, « vu qu’il n’a rien fait jusqu’à présent » ou bien risque de tout compliquer.
Favoriser la coparentalité
Pour favoriser une coparentalité effective et encourager un investissement des deux parents, l’École aurait un rôle à jouer, même si les situations conflictuelles entre les parents ne sont pas faciles à gérer. La plupart des interviewés attendent de l’École qu’elle prenne en considération la séparation, le mode d’hébergement, et qu’elle soit informée des difficultés relationnelles éventuelles entre les parents. Certains parents informent d’ailleurs spontanément l’école de leur situation, mais ce n’est pas toujours le cas. La non information de la part du parent qui a la garde principale est évidemment un moyen de se préserver des conflits mais aboutie alors à nier l’autorité de l’autre parent. La suggestion de présenter un acte de naissance ou un livret de famille au moment de l’inscription pour avoir le nom des deux parents n’est pas jugée suffisamment efficace : l’un des parents peut toujours dire que l’autre parent a « disparu ». Quelle autre solution trouver ? Demander le jugement de divorce ? Il semble que cela soit parfois fait par les établissements. « Ils nous demandaient le jugement, à chaque fois qu’elles changeaient d’école, car après, le papa a déménagé sur Villeneuve-d’Ascq, et ils nous ont redemandé le jugement. »
Quand l’école a les coordonnées des deux parents, certains interviewés souhaiteraient un comportement plus volontariste de sa part : si l’un des parents n’est jamais rencontré, il faudrait le convier spécifiquement, surtout si l’enfant est en difficulté.
Un guide de l’éducation nationale concernant « l’exercice de l’autorité parentale en milieu scolaire » distingue les actes usuels des actes importants, et ce n’est que pour les actes importants, qu’un accord express des deux parents est demandé. Les interviewés ont réagi par rapport à la liste fournie par ce guide, qui s’appuie sur la jurisprudence en la matière. Concernant l’inscription à l’école et la radiation, la plupart des interviewés sont favorables à une autorisation expresse de la part des deux parents. Leur point de vue est qu’il s’agit d’un acte important pour l’enfant, impliquant son avenir et non d’un acte usuel. Une double signature permettrait de pallier le risque « d’abus de pouvoir » d’un des parents, et permettrait que chacun des parents se sente concerné. On peut imaginer, à titre d’exception, que dans un cas de conflit grave (avec harcèlement ou violence, et/ou de risque de « chantage »), une seule signature suffise, pour ne pas risquer de déscolariser l’enfant. De même, pour tous les interviewés, il parait absolument nécessaire que les deux parents soient informés par l’école d’un voyage scolaire, en France ou à l’étranger. Les parents sont en droit de savoir où se trouve l’enfant à tout moment.
« Ça fait un peu plus peur. Si c’est la semaine où mon fils n’est pas avec nous, ça ferait bizarre d’apprendre qu’il est à l’étranger, sans être au courant… » La plupart des parents souhaitent donc une double autorisation, preuve que les deux parents sont bien informés, surtout en cas de voyage à l’étranger.
L’orientation
L’orientation est une décision importante. Un accord des deux parents parait donc bien nécessaire, comme l’indique la jurisprudence, même si le jeune doit être entendu aussi en priorité. Dans certaines situations conflictuelles, l’un des parents peut avoir un peu trop systématiquement un avis contraire à l’autre parent. Que faire, en cas de désaccord entre les parents, pour que cela ne nuise pas au jeune ? Le cas par cas est bien-sûr ici à préconiser, et un échange suffisamment en amont, entre les parents, les enseignants, le jeune pour réfléchir à son projet professionnel.
Dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République est réaffirmée, dans les principes même de l’éducation, la place primordiale des parents : « Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents quelle que soit leur origine sociale » (code de l’éducation, article L.111.1). Cette étude montre que la prise en compte par l’École des nouvelles situations familiales est nécessaire. Les situations de séparation ne sont pas non plus majoritaire et ne devrait donc pas engendrer un surcroit de travail si important pour les établissements, puisque elles ne concernent que 6,2% des enfants de moins de 18 ans, 75% des enfants vivant avec leur deux parents et 18,5% avec un seul de leur parent uniquement. L’École ne peut cependant que souhaiter cette coopération avec les parents qui est bénéfique pour les élèves, mais aussi, pour la sérénité de l’exercice du métier d’enseignant. La question de la place des pères apparait comme particulièrement importante.
Patricia Humann
Coordinatrice pôle éducation de l’UNAF
L’étude
http://www.unaf.fr/IMG/pdf/bro_16p_etude_quali_9-final.pdf
Sur le site du Café
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