Alors qu’en France le Conseil supérieur des programmes avance à pas feutrés l’idée de curriculum pour remplacer les bons vieux programmes disciplinaires, l’Asie offre des exemples de curriculum qui paraitraient ici très innovants. Le colloque organisé par la Revue internationale d’éducation de Sèvres abordait le 13 juin cette question des curricula à travers l’exemple de 4 pays phares : la Chine, l’Inde, le Japon et Singapour. Quatre expériences mais pas de modèle. Chaque pays cherche sa voie entre des traditions, des influences et des difficultés qui lui sont propres. Au final, des problématiques qui font écho aux débats français et qui nous soufflent de nouvelles questions.
« Il y a trois questions basiques : l’éducation pour quoi faire ? C’est la grande question ! Pour qui ? Et qui reçoit quoi ? ». Ces trois questions de Jason Tan, institut national d’éducation de Singapour, sont à garder en mémoire quand on réfléchit aux choix opérés par les pays pour leur curriculum. La table ronde organisée le 13 juin lors du colloque « L’éducation en Asie » réunissait 4 pays : l’Inde, la Chine, le Japon et Singapour sur la grande question du curriculum.
En Chine, Yan Zhu , université normale de Shanghai, montre un curriculum évaluant par « vagues » impulsées par l’Etat. La dernière réforme est lancée en 1999 avec la 8ème vague. Elle s’est fixée pour objectifs « la revitalisation du peuple chinois » et le développement personnel de chaque élève. 6 objectifs s’affichent dans le curriculum national : l’apprendre à apprendre, le passage d’un curriculum centré sur les disciplines à quelque chose d’intégré, le passage du par coeur à la résolution de problèmes, de la sélection des élèves au soutien de tous, enfin la localisation des programmes. Une démarche identique a lieu depuis 1988 dans la vitrine chinoise de l’éducation, Shanghai. Là aussi l’accent est mis sur le questionnement et l’ouverture d’esprit des élèves. Mais le système n’échappe pas à ses contradictions. Alors qu’il promeut l’esprit d’initiative et de découverte des élèves sur l’école obligatoire (primaire et collège), l’entrée au lycée, sa sortie et l’entrée en université se font sur examen. On revient ainsi à la compétition et au par coeur que l’on a voulu atténuer à l’école. Enfin se pose la question des enfants migrants. Sous le prétexte qu’ils ont suivi des cours dans d’autres provinces et que leur niveau est hétérogène, ils sont regroupés dans des écoles spécifiques. Le nouveau curriculum noie cette contradiction en se fixant comme objectif de faire des enfants de bons socialistes…
L’Inde a une histoire éducative plus variée marquée par une dialectique incessante entre l’influence étrangère et la tradition nationale. L’influence des britanniques qui ont fait de l’anglais la langue scolaire reste très importante, explique Padma Sarangapani. S’y ajoute aujourd’hui celle de l’aide étrangère qui s’intéresse aux fondamentaux aux dépens du reste. Face à eux l’influence des écoles traditionnelles et des grands penseurs du 20ème siècle qui ont mis en avant d’autres valeurs comme l’inclusion. Depuis 2000 le nouveau curriculum remet à l’honneur les valeurs traditionnelles alors que le développement des écoles privées poussent aux résultats.
Au Japon, telle que Ryoko Tsuneyoshi le présente, la tradition scolaire est marquée par des curricula inclusifs et favorisant les apprentissages transdisciplinaires. Ils qui intègrent le tokkatsu : des « activités spéciales » qui sont transdisciplinaires et visent à développer l’enfant dans sa globalité. Les élèves tiennent conseil, font le ménage, vivent ensemble avec leur professeur. Chaque classe est divisée en 6 groupes hétérogènes qui réalisent ensemble des travaux variés. Les classes sont délibérément hétérogènes puisque l’école doit représenter le peuple. Mais tout ce système bienveillant n’existe que pour l’école obligatoire. Il est contrebalancé par les examens d’entrée au lycée et le retour final à la compétition et au par coeur à ce niveau et dans le supérieur. Une autre caractéristique du système japonais c’est les « lesson studies » ces recherches développées par des groupes d’enseignants qui témoignent d’une tradition réflexive sur les pratiques pédagogiques.
Singapour a mis en place un système élitiste qui trie les enfants dès le primaire pour les affecter dans des classes ou des écoles différentes, explique Jason Tan. Ce tri se recoupe avec les catégories sociales et aussi ethniques. La méritocratie justifie cette sélection précoce qui est féroce. Dès le primaire des examens décident de l’orientation des enfants. Mais ce système se heurte maintenant au souci de maintenir l’unité nationale. Il inclut donc une éducation civique et l’injonction d’aimer Singapour. Autre difficulté : l’objectif majeur du développement économique se heurte à la tradition pédagogique du par coeur. Pour former une main d’oeuvre plus efficace il faut qu’elle gagne en autonomie et en créativité. Cela revient comme un injonction pour le curriculum.
De ces quatre exemples se dégagent des tensions majeures des curriculums. La première c’est la nécessité dans tous ces états d’avoir un système éducatif inclusif. Tous développent des curriculum qui contiennent des enseignements promouvant le groupe et le sentiment d’appartenance au delà des coupures sociales. Cet objectif se heurte aux traditions de compétition et d’élitisme. La seconde tension repose sur la volonté d’adapter le curriculum aux exigences économiques. Cela nécessite des formations reposant davantage sur l’initiative des élèves et l’apprendre à apprendre. Et cela vient en conflit avec l’importance du par coeur dans ces systèmes éducatifs. La troisième est imposée par la globalisation éducative. Ces systèmes éducatifs n’échappent à des logique se privatisation ou de marchandisation même dans des pays qui interdisent de fait l’enseignement rivé comme Singapour.
« Les pays sont tous en recherche sur le curriculum », nous a dit RF Gauthier, animateur de la table ronde et membre en France du Conseil supérieur des programmes. « A Singapour la menace c’est l’éclatement ethnique. Les curriculums peuvent ils quelque chose contre l’éclatement des sociétés ? C’est intéressant de voir comment de petits laboratoires, comme cet état, réfléchissent à cela. On voit bien qu’il y a un défi du commun. On le veut mais en même temps une partie de la population rêve de compartimenter l’école. Ces expériences sont des éléments de réflexion intéressants pour nous ».
François Jarraud