Trois jours après son examen par le Conseil supérieur de l’éducation et au lendemain de sa présentation au Conseil des ministres, le décret » portant autorisation d’expérimentations relatives à l’organisation des rythmes scolaires dans les écoles maternelles et élémentaires » est publié au Journal Officiel du 8 mai. Benoît Hamon a annoncé le 7 mai la prolongation des subventions du fonds d’amorçage versé par l’Etat aux communes. Il veut en finir vite. Mais si le ministre publie ce texte rapidement c’est aussi parce qu’il laisse moins d’un mois aux communes pour présenter leur demande d’expérimentation.
Le cadre des expérimentations
Très court, le décret précise que « à titre expérimental, pour une durée de trois ans, le recteur d’académie peut autoriser des adaptations à l’organisation de la semaine scolaire dérogeant aux dispositions » du décret Peillon. « Ces adaptations ne peuvent toutefois avoir pour effet de répartir les enseignements sur moins de huit demi-journées par semaine, comprenant au moins cinq matinées, ni d’organiser les heures d’enseignement sur plus de vingt-quatre heures hebdomadaires, ni sur plus de six heures par jour et trois heures trente par demi-journée ».
Suit le mode de validation de l’expérimentation. « Le recteur se prononce sur une proposition conjointe d’une commune ou d’un établissement public de coopération intercommunale et d’un ou plusieurs conseils d’école. Il peut décider que l’expérimentation s’applique dans toutes les écoles de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale quand une majorité des conseils d’école s’est exprimée en sa faveur ». Pour se prononcer le recteur veille au « bien-fondé éducatif de l’expérimentation, sa cohérence avec les objectifs poursuivis par le service public de l’éducation, sa compatibilité avec l’intérêt du service et, le cas échéant, avec le projet éducatif territorial ». Il consulte… le département compétent en matière d’organisation et de financement des transports scolaires. Si, au terme d’un délai de vingt jours après sa saisine, le département n’a pas fait connaître son avis, ce dernier est réputé favorable. » Le décret rappelle que les expérimentations doivent être évaluées six mois avant leur terme,
Par rapport au texte initial, le décret tient compte d’un amendement déposé par le Se-Unsa et adopté en CSE mettant « le bien-fondé éducatif de l’expérimentation » comme premier critère de la validation. Le texte initial ne parlait que de » l’intérêt du service et sa cohérence avec les objectifs poursuivis par le service public d’éducation et lorsqu’il existe avec le PEDT ».
La circulaire d’application publiée dans la foulée
La circulaire d’application sera probablement publiée au Bulletin officiel du 8 mai. C’est elle qui fournit les détails de mise en oeuvre de la réforme Hamon. Le Café pédagogique en a publié le texte original le 2 mai. La circulaire évoque nommément des journées de classe de 6 heures. » Un projet d’expérimentation de l’organisation des rythmes scolaires sur 8 demi-journées peut prévoir jusqu’à six heures d’enseignement par jour avec des demi-journées qui ne doivent pas excéder trois heures trente. Ce type de projet, dès lors qu’il fait montre de la qualité de son dispositif en conformité avec l’esprit du texte pourra être accepté ». La circulaire évoque aussi la possibilité de réduire la semaine travaillée en diminuant sa durée à 23 heures, les heures manquantes étant récupérées en réduisant les vacances d’été.
Elle se penche aussi, en termes très généraux, sur les spécificités de la maternelle. « Les recteurs et les IA/DASEN prendront en compte le caractère spécifique des écoles maternelles qui ont pu susciter des interrogations particulières. Il faut rappeler que ces expérimentations devront s’inspirer des recommandations que le ministère de l’éducation nationale a émises de manière à diffuser les bonnes pratiques dans ces écoles. Aux fins de trouver les adaptations requises pour ces élèves, il faut rappeler la nécessité de porter une attention particulière sur quatre points : Respecter une alternance équilibrée entre les temps d’activité et les temps calmes et de repos des enfants ; Aider les enfants à se repérer dans les lieux de l’école et à identifier les adultes de l’école ; Organiser avec un soin particulier la transition entre le scolaire et le périscolaire ; Adapter les activités aux besoins des jeunes enfants. »
Qui va bénéficier du décret ?
La circulaire précise les cas où les communes peuvent demander à bénéficier du décret Hamon. Elle fixe le délai de transmission des expérimentations. Celles-ci doivent parvenir, après validation par la commune et le conseil d’école, pour le 6 juin. Le texte détermine aussi qui peut bénéficier du décret Hamon. Dans le cas où la commune fait partie des 6% de communes n’ayant pas encore déposé de projet la procédure est simple : le Dasen doit vérifier la compatibilité avec le décret et l’accord entre le ou les conseil(s) d’école et la mairie. Si la commune a déjà déposé un projet de rythmes scolaires , il est possible demander à bénéficier du nouveau décret. En effet, un décret est valable pour tout le monde. Dans ce cas il y a 4 cas de figure selon le texte. « Si aucun acteur (école et maire) ne souhaite modifier l’organisation arrêtée, l’organisation déjà retenue en CDEN est maintenue pour la rentrée scolaire 2014. Si un acteur (école ou maire) souhaite changer d’organisation du temps scolaire mais n’obtient pas l’accord de l’autre acteur, on en reste à l’organisation arrêtée en CDEN. Si les deux acteurs (école et maire) s’entendent pour proposer un nouveau projet, et si celui-ci répond aux prescriptions posées par le (nouveau) décret et précisées par la présente circulaire, ce nouveau projet est retenu pour la rentrée scolaire 2014. Si les deux acteurs (école et maire) s’entendent sur un nouveau projet, mais que ce dernier ne répond pas aux prescriptions posées par le décret et précisées par la présente circulaire, ce nouveau projet n’est pas retenu et c’est l’organisation initiale qui est mise en place pour la rentrée scolaire 2014 ».
Sur France Inter, B Hamon estimait que « la plupart des maires ne vont pas reprendre leur copie pour modifier les horaires des classes. Ce sera l’exception ». Mais tout laisse à penser que de nombreuses communes vont demander à bénéficier d’un décret qui permet de pacifier les relations avec les enseignants en ramenant la semaine de classe à 8 demi journées et de simplifier la gestion en mobilisant les activités périscolaires sur une seule demi journée. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre le communiqué de l’Association des maires de France du 7 mai qui demande que le décret Hamon soit appliqué aux communes ayant déjà déposé un dossier ou appliqué la réforme.
La question financière
Le dernier problème était le financement. B Hamon annonce le 7 mai que le fonds d’amorçage, c’est à dire l’argent versé par l’Etat aux communes qui appliquent les rythmes pour chaque élève, « sera reconduit pour 2015 et 2016 et son montant sera calibré pour répondre aux besoins des communes qui rencontrent de grandes difficultés ». En 2013-2014 le fonds permet de verser 50 euros par enfant auxquels peuvent s’ajouter 40 euros en zone prioritaire. Une somme supplémentaire de 54 euros est versée par la Caisse d’allocations familiales aux communes qui respectent certains taux d’encadrement des enfants. Pour l’année scolaire 2015-2016, le ministre n’a pas précisé le montant qui sera mobilisé. Appliqué à 5 800 000 élèves, les aides de l’Etat représenteraient près de 320 millions d’euros. Mais le ministre déclare qu’il sera « apprécié en fonction des difficultés du terrain ». B Hamon avait été aussi saisi au Sénat des difficultés à bénéficier de l’aide de la CAF. Celle-ci attendait la publication du décret pour prendre position sur la prolongation de son soutien aux communes. En Conseil des ministres du 8 mai, il a précisé que « comme le prévoit la convention d’objectifs et de gestion conclue avec l’Etat pour 2013-2017, la CAF accompagnera les communes mettant en place des activités périscolaires… pour les 3 heures induites par la modification des rythmes scolaires ». Le montant à venir n’a pas été précisé. Sur les conditions de versement, l’Association des maires de France a demandé le 7 mai » une harmonisation garantie des normes d’encadrement des accueils périscolaires sur l’ensemble du temps périscolaire. L’AMF attend à cet égard une clarification de la part des ministères de l’Education nationale et de la Jeunesse et des sports sur le statut et les normes d’encadrement applicables aux activités périscolaires regroupées sur un après-midi ».
Hamon le réaliste
Après Peillon le philosophe, aurait-on Hamon le réaliste ? C’est l’image qu’a voulu donner Benoît Hamon le 7 mai sur France Inter. Le ministre a justifié son décret sur les rythmes scolaires au nom de l’efficacité et de l’équilibre entre les demandes des uns et des autres. Il a annoncé la prolongation du fond d’amorçage sur l’année scolaire 2015-2016. Il a présenté son décret comme tenant compte du pays réel et repoussé les critiques venues de la Fcpe au nom du réalisme.
« J’aurais pu comme JF Copé me le demande, me laver les mains des difficultés de l’école. On a décidé de régler les problèmes qui se posaient avec un décret complémentaire ». B Hamon a évoqué les difficultés d’application du décret Peillon : les maternelles, les communes de montagne, les communes rurales. « Toutes les expérimentations visent à régler les problèmes », dit-il.
Critiqué en CSE sur un texte rejeté à la fois par les opposants à la réforme des rythmes et par des partisans déçus des 6 heures de classe par jour autorisées, Benoît Hamon se présente en politique réaliste. Si à la rentrée 2014 c’est le désordre, on me reprochera d’avoir raté la réforme », a-t-il dit sur France Inter le 7 mai. « Comme ministre j’ai la responsabilité d’écouter tout le monde. Mais je ne peux pas me désintéresser de la mise en oeuvre de la réforme. L’abstraction c’est bien mais les parents et les professeurs ne sont pas des concepts ». C’est toute la force de son décret et toute l’ambiguïté des positions au CSE. Le décret Hamon isole les plus farouches adversaires et partisans de la réforme des rythmes. Il cherche le compromis entre les intérêts des adultes concernés. Le point d’équilibre pourrait bien être atteint. Benoît Hamon aurait alors atteint la mission qui lui a été donnée : clore ce dossier.