Stéphanie Rodriguez est professeur documentaliste au collège George Sand, dans l’académie d’Orléans-Tours. En poste depuis 6 ans, elle travaille avec un public ciblé, aux besoins particuliers : les élèves de SEGPA et d’ULIS.
Elle nous explique en quoi le public SEGPA et ULIS est très différent. Travailler avec ces élèves, est formateur, mais cela exige du temps. Il faut s’adapter à des groupes hétérogènes, développer des supports de lecture et d’apprentissages différents, et adapter ses méthodes d’évaluation.
Suite aux projets qu’elle a menés en faveur de la lecture, elle a développé une réflexion et un point de vue sur les méthodes de travail à utiliser vis-à-vis de ce public spécifique. Elle a également suivi une formation (certification complémentaire) afin d’améliorer sa pratique. Elle nous fait part de son expérience dans cet entretien.
Pouvez-vous nous présenter les spécificités de votre établissement et du public concerné par vos actions ?
J’exerce dans un collège d’environ 650 élèves, collège à recrutement rural, catégorie socioprofessionnelle plutôt défavorisées (beaucoup de familles mono parentales, et catégorie socioprofessionnelle ouvriers agricoles). Je suis sur le poste depuis 6 ans et je suis seule au CDI.
En ce qui concerne mes interventions ciblées « lecture », le public est le public U.L.I.S. (unité localisée pour l’inclusion scolaire) et S.E.G.P.A. (section d’enseignement général et professionnel adapté) avec un groupe d’ULIS de 11 élèves ; et des 6e (11 élèves) et 5e (16 élèves).
Pourquoi, et dans quelles circonstances avez-vous choisi de travailler avec le public SEGPA et ULIS ? Quels sont les besoins particuliers de ces élèves ? Quel est leur niveau et quelles sont leurs difficultés ?
Je ne me suis jamais posée de questions quant à mes interventions avec ces élèves. Je suis toujours intervenue en « séances info doc » en 6e et en 5e, et faire la même chose avec les élèves de SEGPA allait de soi. Le problème, si problème il y a, est d’utiliser les dispositifs pédagogiques adaptés, et de s’adapter soi-même à un niveau d’exigence qui correspond au palier 1 et palier 2 (début) du socle commun, soit à des compétences de CE à CM2.
Caractériser les besoins de ces élèves est une tâche ardue, tant ils sont différents. Pour commencer, disons que le public SEGPA et ULIS est très différent.
Tout d’abord, leur niveau scolaire n’est pas le même : en ULIS on touche surtout au palier 1 (CE), ce sont des élèves très demandeurs, plutôt volontaires et leurs difficultés est d’ordre cognitif, des difficultés dans les apprentissages (pour ceux que le collège accueille). A nous de construire des dispositifs d’apprentissage leur permettant d’apprendre, de « compenser » leur handicap cognitif.
Le public SEGPA est tout autre. Le niveau travaillé est le palier 2 (fin CM2) et le ressort pédagogique est l’adaptation: des difficultés à être tout simplement élèves, à avoir un comportement posé, et puis purement scolaire, la difficulté à faire de l’abstraction, de faire seul les liens, de faire de l’abstraction…
Concernant les temps d’intervention, généralement j’interviens 2 h par semaine avec le groupe ULIS, seule ; 1 heure avec le groupe en entier, et 1 heure en groupe, l’autre groupe travaillant avec le coordonnateur sur des points précis. En SEGPA, j’interviens en complément de l’enseignante de français, une heure de français, et j’interviens sur les compétences en Maîtrise de la langue et Techniques de l’information, 1 h par semaine en 6e et 1h par semaine en 5e toute l’année.
Quelles sont les toutes premières actions concrètes, autour de la lecture, que vous avez mises en place avec ce public, au sein de votre établissement ? Quels ont été vos premiers constats et vos premières réflexions suite à ces actions ?
Tout d’abord j’avais envie de faire autre chose…de leur apporter autre chose, car faire de l’information documentation avec des tout petits lecteurs est une tâche difficile. Les premiers travaux sur la lecture, réfléchis, que j’ai fait avec eux datent de 2 ou trois ans.
Avant, j’avais simplement fait de l’entraînement à la lecture à voix haute, quelques petits travaux de lien entre texte et image. Mais j’avais envie d’aller plus loin : mes collègues intervenants directement en français avec eux (SEGPA et ULIS) semblaient « écrasés » par les lacunes en français des élèves. J’avais donc envie d’apporter un peu plus de culture, d’ouverture culturelle ; non pas que mes collègues ne leur apportaient pas de textes littéraires ; mais par équité, je trouvais dommageable que ces élèves passent à côté des textes qu’étudiaient leurs camarades au collège. J’ai donc amorcé les premiers travaux et je m’y suis mise, en tâtonnant en peu, en rencontrant quelques échecs.
Avec les ULIS, et mon collègue cette année-là, nous avons travaillé sur différentes versions du petit chaperon rouge : étude de la structure du conte, des différences, du schéma narratif… Parallèlement, je travaillais avec eux sur la fluidité de la lecture à voix haute. L’objectif final étant de leur faire lire des histoires à des moyennes sections de maternelle. L’objectif était clairement de travailler des compétences de la langue, du LIRE, extraire des informations explicites, voire implicites.
Avec les 5e SEGPA, c’était l’année « Titanic » : j’ai travaillé sur un texte de fiction, racontant le naufrage (texte que j’ai adapté). Il s’agissait, pour ces élèves, de savoir comment récupérer des informations dans un texte.
Ces divers travaux ont été très frustrants car finalement peu profitables, surtout pour les élèves de l’ULIS. En revanche, le travail sur la lecture à voix haute est un projet très porteur, que je retravaillerai. J’ai trouvé ces travaux frustrants, car, à mon sens, les élèves d’ULIS n’ont pas assez profité de ces apprentissages : pas de mémorisation, peu de réinvestissements. Pour les 5e SEGPA, c’était mieux, non pas dans le domaine des apprentissages, mais plutôt sur le côté rapport au texte, à l’écrit.
Suite aux premières difficultés rencontrées, vos actions avec les ULIS et SEGPA ont évolué. Pouvez-vous nous parler notamment du projet Ulysse que vous avez mis en place en 2013 avec les 6e SEGPA ?
Visant toujours l’équité, je me suis penchée sur l’Odyssée aussi étudié en 6e. Les séances avaient lieu à chaque fois en salle informatique. Je suis partie du postulat qu’avec ces élèves, une séance sur textes (écrits) de 50 minutes était trop longue. Pendant chaque séance, j’ai donc alterné un travail sur l’Odyssée, un travail sur la fiction avec des supports très différents (planche de BD, textes avec écriture adaptée que je lisais, que les élèves lisaient, extraits de film, animations flash), et recherche documentaire sur ordinateur (répondre à des questionnaires à partir du site brainpop sur l’Odyssée, sur Homère ; travail de repérage des étapes…). Ce travail à bien fonctionné du côté des élèves, ils se sont montrés actifs, plutôt présents dans les activités.
Au cours du projet, j’ai rencontré quelques difficultés. Par exemple, la diversité même du groupe composé d’élèves de niveaux très différents, des évaluations insuffisamment adaptées, des objectifs trop grands, l’absence de travail préalable sur comment récupérer des informations explicites dans un textes, comment reformuler… Par ailleurs, le travail était trop étiré dans le temps.
Concernant le travail de lecture à voix haute, avec les élèves de l’ULIS, quels ont été les défis à relever, et les aménagements apportés au projet au fil du temps ?
Le travail à voix haute a évolué dans le temps l’année dernière. L’objectif initial était de modifier le rapport aux textes des élèves de l’ULIS. Profitant de la venue de comédiens dans le cadre d’un partenariat avec la Maison de la Poésie du Magny, et de la venue des comédiens de la troupe Textes et rêves, nous avons travaillé sur la fable. Les comédiens sont intervenus au collège, et nous avons fait des groupes mixtes (élèves de 6e général et élèves d’ULIS) qui ont travaillés une matinée sur l’interprétation théâtralisée de fables. Puis une fois seule, nous avons fait de même. Toutefois, il n’y a pas de lecture à voix haute satisfaisante sans une bonne compréhension du texte, et les élèves de l’ULIS ont besoin d’accompagnement, de dispositifs de comprensation pour acquérir cette compétence. Donc le projet initial s’est transformé. Une heure par semaine, j’ai travaillé – encore, mais différemment- sur la lecture à voix haute, et en petit groupe sur la compréhension de l’implicite dans les textes, en utilisant les émotions, en tant qu’aide à la compréhension de texte et le corps.
Quelles ont été les modalités d’évaluation de ces élèves et de ce(s) projet(s) ? Avez-vous envisagé de prolonger ce travail l’année suivante ? Si oui, de quelle manière ?
L’évaluation dans le domaine de la lecture est très difficile, pour diverses raisons. D’une part, à cause du temps, une heure semaine sur un thème, c’est trop peu, les acquisitions sont très difficilement mesurables, car avec ces élèves il faut sans cesse réactiver les connaissances. D’autre part, il faut beaucoup de temps pour apprécier d’où ils partent, tant ils sont très différents. L’évaluation, pour moi et pour ces élèves, se situe plutôt sur la marge de progression (lecture plus fluide, rapidité d’exécution d’une tâche, autonomie croissante …).
J’évalue la progression de leur apprentissage dans PRONOTE, je ne mets pas de notes, je remplis les bulletins, et fait un point régulier au coordonnateur ULIS, et professeurs référents SEGPA.
Cette année, les élèves de l’ULIS étant de nouveaux entrants pour la moitié, les projets ont été chamboulés. Avec un petit groupe (6 élèves faibles lecteurs, niveau 5e) j’alterne textes de fiction avec du travail sur la compréhension (information explicite et implicite) et l’acquisition de compétences « informatiques » plutôt que documentaires (développer leur autonomie dans l’utilisation des ordinateurs pour le travail, travail sur les compétences de mise en page …). Ces projets ont mis en exergue un besoin de travail sur la lecture de consignes.
En grand groupe (10 dont 4 non lecteurs) après avoir travaillé leur autonomie au CDI (organisation etc…) je travaille sur la notion de temps, en leur faisant créer des flip books (travail très long, car certains ont de gros problèmes de motricité) qui se prolongera peut-être par un travail sur l’image fixe et la photographie, en leur faisant faire un petit film d’animation (image par image).
Quel bilan avez-vous tiré de vos différents projets avec les élèves de SEGPA-ULIS ?
C’est toujours avec énormément de plaisir que je travaille avec ces élèves (SEGPA et ULIS). J’éprouve toujours beaucoup d’intérêt à me questionner quant à mes dispositifs pédagogiques (« comment vais-je m’y prendre pour leur transmettre cela ? »). Je pense que c’est pour eux un net bénéfice d’avoir en face d’eux un autre enseignant, et de travailler sur des textes un peu différemment, avec peut-être un plus de liberté qu’en cours. Cependant c’est un travail très lourd, qui prend beaucoup de temps de préparation, qui demanderait encore plus de temps de concertation avec les collègues (temps non prévu dans mon service).
Je me sens toujours « tiraillée » entre le « faire utile » (lié au socle) et « l’ouverture culturelle », cependant, compte tenu des élèves qui viennent d’entrer dans le groupe ULIS, avec les plus grands, j’envisage de reprendre la lecture à voix haute, peut-être vers une lecture théâtralisée, en utilisant toujours avec eux, « un rempart » avec les autres (lecture oralisée donc avec feuille support, ou petit théâtre de marionnette) . Je souhaite approfondir une autre thématique : la lecture de l’image et les points de vue (publicité par exemple).
Envisagez-vous une formation particulière pour améliorer votre pratique ? Pouvez-vous nous parler de cette formation plus en détails ?
Afin d’améliorer ma pratique, j’ai souhaité me former. Au printemps 2013, j’ai fait acte de candidature pour suivre la formation au 2 CASH (Certification complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap option D : handicap cognitif). J’ai été acceptée (avec 3 documentalistes dans l’académie). Cette formation est ouverte, sur dossier, à tous les enseignants du second degré (12 enseignants l’année dernière).
La formation s’est déroulée en deux temps : un temps de formation « théorique » de 6 semaines, intenses et des heures d’observation, intervention dans le cadre d’une ULIS (avec un maître de stage) en IUFM, Tours Fondettes dans mon cas. Cette formation est finalisée par la rédaction d’un mémoire professionnel sur un dispositif pédagogique mis en place avec les élèves et un temps d’examen (séance et soutenance avec jury spécialisé) au mois de juin.
L’enseignement était très intéressant mais aussi très dense. Concernant le contenu il était assez éclectique : des concepts pédagogiques, le fonctionnement du cerveau et des conséquences sur les apprentissages, les processus d’acquisition de la lecture (passionnant!) des visites de structure d’accueil, des analyses filmées de nos pratiques pédagogiques. La diversité des enseignants dans cette formation, a été un point positif : des PLP en SEGPA, des documentalistes en lycée et lycée professionnel, enseignants de philosophie, de lettres, d’économie gestion, mécanique…
Au niveau de ma carrière, je suis certifiée « spécialisé en handicap cognitif » depuis le mois de juin. Je ne peux postuler pour le moment qu’au poste de coordonnateur d’une ULIS pro (lycée professionnel) ou un poste spécifique type ECLAIR. Mon objectif personnel étant, dans le futur d’être « chargé » d’un poste type ULIS pro, mais en lycée général ou d’opter pour la formation adulte, domaine prévention de illettrisme.
Pour compléter cet entretien, voici plusieurs références de lecture, proposées par Stéphanie Rodriguez :
Références bibliographiques :
Jocelyne Giasson, La compréhension en lecture. De Boeck (Pratiques Pédagogiques). 2008
Jocelyne Giasson. Les textes littéraires à l’école. De Boeck (Outils pour enseigner). 2005
Nathalie Blanc. Lectures et habiletés de compréhension chez l’enfant. Dunod (Enfance). 2010
Serge Boimare. L’enfant et la peur d’apprendre. Dunod (Enfance). 2004
Michelle Ros-Dupont. La lecture à voix haute: du CP au CM2. Bordas. 2004
Références sur le web :
Le texte « réflexion » de Monique Alba, Incitation à la lecture : la médiation du professeur documentaliste », disponible sur Savoirs CDI à cette adresse :
http://www.cndp.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/condu[…]
Lien vers le blog réalisé par les élèves de 5e SEGPA. Projet d’écriture d’une petite histoire à partir d’une première de couverture d’un ouvrages sur les contes du Berry, et leur lecture de ce conte :
http://cgsand36400.edu.glogster.com/glog-776
Propos recueillis par Géraldine SALA
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