Comment répondre aux accusations des opposants à l’ABCD de l’égalité ? Dans les écoles, dans la rue, dans les médias, les rumeurs les plus folles circulent sur le dispositif lancé par le Ministère des Droits des Femmes et le Ministère de l’Éducation nationale. Un programme pourtant raisonnable et pleinement conforme aux missions de l’école publique, qui tend simplement mais fermement à prévenir les inégalités sociales fondées sur des stéréotypes de genre. A l’heure où le gouvernement annonce qu’il repousse à 2015 l’examen du projet de loi sur la famille, Najat Vallaud Belkacem, Ministre des Droits des Femmes, tient bon sur le projet de l’ABCD de l’égalité, en dépit des attaques qu’il concentre. Forte du soutien d’une majorité de l’opinion, de l’engagement des enseignants et des fédérations de parents d’élèves, la Ministre ne désarme pas, malgré la ténacité des préjugés à vaincre.
Le dispositif des ABCD de l’égalité se propose de sensibiliser les enfants au respect et à la reconnaissance d’une égalité de valeur et de droits entre filles et garçons. Comment est-il possible qu’il soit dénoncé comme une sorte de scandale idéologique ?
Vous le savez comme moi, la manipulation et l’agitation des peurs et des fantasmes n’ont pas manqué autour de ce programme, avec des arguments dont je comprends qu’ils aient pu faire peur à certains parents.
Je salue d’ailleurs l’action des directeurs et directrices d’école, des enseignants qui sont allés au-devant des parents pour rappeler ce qu’était ce programme. Son ambition est assez simple et nous avons toujours été transparents sur les objectifs : permettre aux enseignants à travers la formation de conduire une réflexion sur leurs pratiques professionnelles pour éviter de reproduire des stéréotypes ; donner pleinement confiance aux filles et aux garçons dans leurs capacités et leurs perspectives en interrogeant les représentations qu’ils se font des rôles des unes et des autres, et en leur enseignant l’égalité des droits et le respect réciproque.
Nous sommes là au cœur des missions de l’École de la république : lutter contre les inégalités et donner aux filles comme aux garçons les mêmes chances et leur ouvrir les mêmes opportunités de réussite. Quand on voit, aujourd’hui, le manque de mixité professionnelle dans notre pays, les inégalités femmes-hommes dans le monde du travail ou encore la sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilité, on sait bien qu’on n’y est pas encore.
La confusion entre « égalité » et « uniformité » des filles et des garçons cristallise les crispations. Que dire aux familles qui s’inquiètent pour la construction identitaire de leurs enfants ? Comment leur faire entendre que c’est le respect des différences qui constitue l’enjeu essentiel de la lutte pour l’égalité ?
Il y a des filles et il y a des garçons. La différence biologique n’est en aucun cas notre sujet. Notre sujet, ce sont les inégalités sociales qui prennent leurs racines dans des préjugés tenaces sur ce que valent, ce que peuvent et ce à quoi aspirent les unes et les autres. Si on ne veut pas avoir encore dans dix ans à déplorer et réparer les inégalités professionnelles ou les violences faites aux femmes, il faut bien travailler à prévenir la formation des inégalités !
Eh bien à la racine de ces inégalités, il y a les préjugés ; ceux-là mêmes qui, il y a cent ans, s’opposaient à ce qu’une femme vote, travaille ou pratique du sport… et qui s’opposent aujourd’hui à ce qu’un garçon aspire à rejoindre les métiers de la petite enfance par exemple.
Le projet de l’ABCD de l’égalité, c’est cela. Accompagner la réussite des élèves, permettre aux filles comme aux garçons de s’épanouir, sans autocensure. Cela ne bride en rien les individualités, cela n’empêchera pas les différences mais nous créerons plus qu’aujourd’hui les conditions pour permettre la réussite individuelle et collective des filles comme des garçons. C’est la mission de l’École, ni plus, ni moins.
Le mouvement des Journées du retrait de l’école (JRE) rencontre un succès très inégal selon les secteurs géographiques. Là où il est suivi, faut-il y voir le signe d’une crise de confiance du public à l’égard de l’école, au bénéfice de réseaux de communication informels ?
Les réseaux de communication électronique ont en effet joué à plein pour la propagation de cette rumeur. Je me réjouis d’ailleurs que la loi de refondation ait donné un vrai essor à l’École numérique, car on pourra y apprendre aussi aux élèves à se méfier des informations qui circulent sur les réseaux.
Mais les réseaux plus classiques ont très bien réagi ; je pense aux fédérations de parents d’élèves, la PEEP, la FCPE qui se sont employées à rassurer les parents ; je pense aussi aux messages portés par le système scolaire lui-même qui a réagi très tôt et bien sûr aux explications directement données aux parents par les enseignants et par les directeurs et directrices d’école.
C’est la relation de confiance construite au quotidien entre l’école et les parents qui est le meilleur rempart contre ces manipulations. Dans toutes les écoles et établissements, cela a été fait et cela se poursuivra sans doute encore. Nous devons en tout cas très certainement réfléchir sur cette manipulation et sur les moyens de protéger l’École de la République face à ces attaques qui mettent en cause sa cohésion et son action.
Les préjugés sexistes sont-ils si profondément inscrits dans les mentalités, en France, qu’on doive renoncer à les combattre et à les surmonter ?
Non, je ne crois pas qu’il faille se lamenter sur notre sort. Et d’ailleurs, plusieurs sondages sont venus saluer l’action que nous avons engagée contre les stéréotypes : 71 % des Français soutiennent cette action du Gouvernement.
Par contre, et je ne l’ai jamais caché, cette action pour changer les représentations est une action qui demande beaucoup d’énergie, car il faut agir partout et en même temps : agir dans le domaine de la culture, des médias, du sport. Vous avez vu les règles posées en la matière par le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes pour une plus juste représentation des femmes. Agir à l’école, dans les écoles de formation, pour les enseignants à travers les ESPE, mais aussi dans l’entreprise.
C’est cette action globale que nous avons mise en place depuis 2012. Nous l’accompagnons même cette année d’un véritable tableau de bord de l’égalité qui nous aidera à progresser. La nouveauté, je crois, réside là : plutôt que de nous contenter de déplorer les inégalités, nous avons décidé de les prendre à bras le corps, pas seulement pour les corriger, mais aussi pour en empêcher au maximum la reproduction.
Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet