Dès sa première visite en tant que candidat socialiste, à Pierrefitte en janvier 2012, François Hollande a promis de réformer le métier enseignant. Depuis la question est au cœur des négociations avec les syndicats. C’est que l’écart est grand entre le métier officiel et le métier réel… Plus grandes encore les frustrations et les souffrances.
Un métier réel décalé du métier officiel
Le temps de service des enseignants est presque intégralement défini officiellement par rapport au face à face avec les élèves. Un enseignant du second degré doit 18 ou 15 heures de cours selon qu’il est certifié ou agrégé. Un professeur des écoles doit 24 heures de cours et 108 heures annualisées réservées à l’aide aux élèves, à la formation et à diverses activités de coordination. Voilà pour le temps statutaire. Car le temps de travail réel du professeur est bien différent. Selon une étude de la DEPP (éducation nationale), il est estimé à 41h17 en moyenne dans le secondaire et 44h07 dans le primaire. A quoi tient ce décalage ? Aux heures rémunérées statutairement, l’enseignant doit ajouter de nombreuses heures qui ne sont pas payées mais liées au métier. Ainsi, le certifié moyen passe près de 8 heures par semaine à préparer des cours. Il consacre 6 heures à la correction de devoirs. Près de 2 heures sont réservées à la documentation professionnelle. Le reliquat correspond au travail avec d’autres enseignants, au suivi des élèves et aux rencontres avec des parents. Or la démocratisation de l’enseignement a rendu ces tâches indispensables. Elle a tendance à en créer de nouvelles qu’il s’agisse de tutorat ou de coordination. Ainsi l’écart entre métier officiel et métier réel ne cesse de s’ouvrir alors que le ministère veut encore installer d’autres professeurs référents.
Un métier de plus en plus contraint
Plusieurs rapports ont signalé un « alourdissement » du métier enseignant. C’est le cas par exemple du rapport sur » Les composantes de l’activité professionnelle des enseignants outre l’enseignement dans les classes » remis à l’été 2012. L’Inspection générale pointe du doigt la multiplication des injonctions et des formulaires qu’il s’agisse des PPRE ou PAI au primaire ou du livret de compétences au collège et du contrôle en cours de formation au lycée. Les inspecteurs recommandent dans le second degré de reconnaître les tâches non prévues dans el statut des enseignants en les annualisant sur le modèle des 108 heures des professeurs du premier degré. Ils envisagent aussi de multiplier les cadres intermédiaires, coordinateurs de niveau, responsables de l’accompagnement personnalisé, des tutorats etc. » On pourrait s’interroger sur la récurrence de nouveaux programmes (je ne parle pas ici du contenu de ces programmes, mais du rythme de leur changement depuis quelques années) qui déstabilise des enseignants. Il y a donc des éléments de réponse pragmatiques de terrain et institutionnels à cet alourdissement. Dans ce registre institutionnel, peut-être y a-t-il aussi matière à s’interroger sur certains dispositifs comme le CCF ou le LPC », nous confiait Y. Poncelet. « On pourrait aussi s’interroger sur la multiplication des dispositifs, sur le fait qu’on demande aux enseignants des engagements pour lesquels beaucoup d’entre eux estiment n’être ni formés ni accompagnés au plus près. Raison de plus pour dépasser l’actuelle relative non définition du métier ». D’autres rapport sont plus alarmants. Une enquête de Carrefour santé signale 1 professeur sur quatre en tension au travail et un sur sept en « burnout ».
Des pressions contradictoires
Le rapport, publié fin juin 2012, par la sénatrice Brigitte Gonthier-Marin met en avant les pressions subies par les enseignants. Pour elle, « l’ Education nationale est touchée par des évolutions déjà bien avancées dans les entreprises, où les salariés sont soumis à des injonctions contradictoires : exigence de qualité et demande de rapidité, esprit d’initiative et respect des protocoles, engagement et recul. Soumis à une évaluation externe permanente, les travailleurs n’ont pourtant aucun contrôle sur les objectifs assignés. Leurs propres critères d’appréciation de ce qui constitue du « bon travail » sont niés et pourtant on leur demande d’être fiers de leur activité et de l’organisation à laquelle ils appartiennent. Ils perdent ainsi progressivement prise sur leur travail ». Même contradiction dans l’appréciation de leur rôle. Ainsi un rapport du Centre d’analyse stratégique de juillet 2011 évalue très haut l’effet maître, c’est à dire l’influence de l’enseignant sur les résultats des élèves. « Toutes choses égales par ailleurs”, 10 % à 15 % des écarts de résultats constatés en fin d’année entre élèves s’expliquent par l’enseignant auquel l’enfant a été confié ». Cela amène le Centre à demander un contrôle très stricte sur les enseignants…
Le drame des secondes carrières
A en croire Rémy Boyer, fondateur de l’association Aide aux profs, le nombre de professeurs cherchant un changement de carrière serait croissant. Dans son dernier livre, « Souffrir d’enseigner, faut-il rester ou partir ? », il donne une idée des frustrations subies par les enseignants. Selon lui, outre le harcèlement au travail, « la pénibilité du métier au fil de l’âge avec 82 médecins du travail seulement pour 850 000 enseignants, le manque de valorisation au travail avec un salaire qui plafonne dès l’âge de 50-55 ans alors que la durée de carrière ne cesse de s’allonger, constituent d’autres facteurs importants de désespérance. »
Ainsi dans la réforme du métier se mêle des aspirations bien différentes. Il y a les attentes d’enseignants pour améliorer leur rémunération et leur conditions de travail. Il y a aussi la volonté de changer le management de l’éducation nationale pour le rendre plus efficient.
F. Jarraud
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Documents/docsjoints/enquetecss.ppt
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/11/28112011_Fotinos.aspx
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/01/17012012_Violencescolaire.aspx