Décrocher le Bac procure une grande satisfaction, mais pas toujours un réel bonheur… Gilbert Longhi en profite pour traiter de la communication dans cette fable de l’après-bac…
Josselin et sa bande sont au Balto autour de quelques Cocas. C’est la rigolade. Les souvenirs de l’année scolaire fusent. Tout ce qui peut faire une histoire marrante y passe : le prof de maths qui a pété les plombs un lundi matin ; le proviseur cravaté de raideur et son blabla lors d’une affaire de tags dans les toilettes ; puis cet élève, complètement à l’Ouest qui n’est resté que deux mois et qui répondait en rap aux questions des profs ; et les trois mecs de terminale 8 qui ont mis au point une appli pour antisèches en maths…
Chacun rajoute un mot, un détail, une impression, pour déclencher les éclats de rire des autres. Il faut tuer le temps. Et il s’agit bien de cela tromper l’angoisse car de cette terrasse de café tout en parasols bariolés, chacun surveille le lycée de l’autre côté.
Tout à coup Josselin reçoit un SMS d’un pion (un pote qui fait la taupe pour lui) dans l’établissement au secrétariat du bac. On laisse les cons sur place et la joyeuse troupe traverse la rue pour s’agglutiner contre la grille encore baissée. Ils n’en mènent pas large. Damien imite des cris d’animaux (le stress sans doute). Élise mordille un ou deux kleenex qui ne chassent pas ses idées macabres.
La taupe avait raison. C’est l’heure fatidique. Le concierge ouvre enfin pour donner accès aux panneaux de Publication des résultats du baccalauréat session 2013 série… etc. De petites hordes d’ados brament des blagues en galopant d’une affiche à l’autre. Il s’agit de se donner du courage. Tout le monde veut trouver son nom dans une liste, puis celui des potes et vérifier plusieurs fois, pour être sûr. Élise hurle, on ne sait pas si c’est de joie ou de douleur. Vérification faite : elle l’a ! Damien bondit comme un kangourou, il vient de se trouver … C’est lui, avec ses trois prénoms ; Damien Lucien Marcel ! Basile ne voit rien pour lui. Collé ? Au repêch ? Enfin, là on boit bien écrit son nom. L’émotion : il n’avait pas lu assez attentivement. De justesse sans mention mais il le tient that fucking bac ! Sa copine lui administre un patin phénoménal … Ça remplace la mention. Les phones se saturent. Maman, papa et les grands-parents, toute la liste y passe … sans compter les amis … La foire au SMS bat son plein … Ta le Bk ? T ou ? Tlm o li c ! Tkt ! …
Dans cette totale pagaille Josselin se noie dans sa grisaille intérieure. Tandis que la petite troupe reprend sa place au bistrot, il est accablé par une sorte de déprime. Une lourde tristesse le tenaille malgré sa réussite avec mention très-bien. Pourtant, de beaux moments se profilent : fierté de papa, larmes attendries de maman, argent de poche de mamy et papy ainsi qu’aux prochains repas de famille les compliments de tonton Gérard qui est ingénieur pollueur dans les hydrocarbures.
Les filles et les garçons cajolent Josselin dans une folle bousculade de propos ironiques puis la conversation devient plus sérieuse. Ce soir c’est la séparation. Les uns sont déjà inscrits à l’Université, d’autres en Prépa, deux ou trois partent aux Beaux Arts à Paris … Thomas réagit. Ils ne se quitteront jamais. Juré ! Un rendez-vous par semaine est prévu, dans ce café sauf pour Pierre qui va passer un an ou deux à San-Francisco ni pour ceux de Paris, ni pour ceux de prépa vu le taf… ni pour…
Peu à peu la petite troupe quitte la terrasse du Balto, il ne reste plus que Josselin et Mathilde. Leurs regards fixent le lointain. En face, un petit soleil couchant enveloppe la masse de leur ancien lycée. Pourquoi devient-elle si attachante cette grosse bête de béton défraichi ? La grille de fer est redescendue en criant affreusement. Sur le quelques grandes herbes folles dodelinent dans les fentes du ciment. Les gros rideaux bleu-fané ont mis les fenêtres en berne jusqu’à la rentré prochaine. Le toit en terrasse ressemble à un jardin suspendu dans une douce pénombre alors qu’il n’est qu’une immense étendue de vieux goudron fendu où la pluie s’infiltre pour ruisseler dans les salles du troisième étage.
Mathilde ne doit pas se retarder à cause du tram. Ses parents l’attendent pour fêter son Bac. Champagne ! Josselin la voit s’éloigner et se laisse envahir par la mélancolie. Les années lycées se sont tellement infiltrées en profondeur dans sa vie qu’il ne n’imagine pas que ce soir elle devient du passé. De la seconde à la terminale du passé ? Du passé tout ce temps encore si vivant en lui ? Il envoie un SMS à Mathilde … Srx … Jtm… é toi ?
Gilbert Longhi
Note :
Slt : salut ; Bcp : beaucoup ; Srx : sérieux ; Dmg : dommage ; Thx : thanks ; Jms : jamais ; Cmt : comment ; Jtm : je t’aime ; Tkt : t’inquiète ; Pk : pourquoi ; Pg : pas grave ; Qd : quand ; Tlm : tout le monde ; Psk : parce que ; Tp : top ou trop ; 2gether : together ; Ca cr1 : ça craint…