Laurent Bachler est professeur agrégé de philosophie au lycée Vaugelas de Chambéry. Il répond aux questions qui fachent de Gilbert Longhi : Que penser du fait que les bacheliers professionnels soient privés de philosophie ? Que penser de la philosophie au primaire ? Et de la notation au bac ?
Nombre d’expérimentations pour une mise en contact précoce des élèves avec la philosophie se déroulent depuis plusieurs années en école élémentaire. Selon vous s’agit-il d’une animation socioéducative ou de plus que cela?
L’idée d’une rencontre précoce avec la philosophie me semble précieuse. Et c’est à mon sens, plus qu’une animation socioéducative. La preuve en est que souvent les enfants participant à une discussion philosophique à l’école en parlent à leurs parents et à leurs proches. Dans ces discussions philosophiques, le dialogue porte finalement sur le sens que nous donnons aux mots et sur leur cohérence avec ce que nous vivons. Apprendre à donner du sens aux mots que l’on emploie et à en mesurer la portée, c’est l’un des aspects les plus intéressants de ces ateliers de philosophie en école élémentaire. Néanmoins, pour que les échanges aient vraiment un tour philosophique, l’aide des enseignants de philosophie du secondaire me semble elle aussi essentielle.
Les lycéens des terminales des filières générales et des filières technologiques reçoivent tous un enseignement de philosophie. Les élèves des terminales de la voie professionnelle n’en reçoivent pas. Pouvez-vous philosopher sur ce constat ?
Il me semble qu’il y a parfois dans certains établissements un enseignement de philosophie proposé à des élèves de la voie professionnelle. Cet enseignement repose sur le volontariat des enseignants et le volontariat des élèves. De telles conditions ne rendent pas possible une généralisation de cet enseignement dans ses formes actuelles. Je ne vois aucune raison de refuser à un élève qui souhaite rencontrer la philosophie la possibilité de le faire. En revanche, ce qui fait débat, parce que nous sommes dans le cadre de l’institution scolaire, c’est la nature des exercices que l’on demande aux élèves. Faut-il demander à tous les élèves de toutes les séries, et de toutes les voies, de faire une dissertation ? Ou faut-il distinguer différents types d’exercices, sans perdre le cœur même de la démarche philosophique ? C’est un débat en cours et qui appartient aux professeurs de philosophie.
Dans les forums en ligne, les lycéens présentent souvent la philosophie comme une discipline floue qui tombe sur les élèves dix mois avant le bac et qui n’induit qu’une question peu philosophique, à savoir : comment assurer un résultat pas trop mauvais pour l’examen ? Quelle réflexion vous inspire ce point de vue ?
De la tristesse. Et j’espère que ceux qui s’expriment sur ces forums ne sont pas la majorité de nos élèves. Parce que la philosophie ne s’enseigne qu’en Terminale, nos élèves ont une tendance naturelle à confondre la discipline avec le professeur qu’ils ont eu. C’est donc, beaucoup plus que pour les autres disciplines, une question de rencontre. Quand cette rencontre a lieu, il me semble que les élèves ne gardent pas un mauvais souvenir de leur cours de philosophie et ne le réduisent surtout pas à une note d’examen. Quand cette rencontre n’a pas lieu, il faut que nous puissions avoir d’autres occasions de rencontrer la philosophie. Que ce soit avant la Terminale, ou après la Terminale. Dans les Cafés-philo par exemple, il n’y a pas d’examen noté à la fin ! Et pourtant, beaucoup y trouve des idées, du sens et du respect dans les échanges d’idées. La philosophie est une belle et prestigieuse discipline académique. Mais elle n’est pas que cela.
Les élèves sont quelquefois convaincus que la note obtenue en philo dépend davantage du correcteur que de la nature du devoir… Comment expliquer cette impression ?
Les élèves peuvent avoir cette impression parce que leur note au bac ne correspond pas à la moyenne de leurs notes obtenues au cours de l’année. De multiples raisons peuvent expliquer ce décalage, au premier rang desquels la qualité du travail de l’élève. Certains font mieux que d’habitude parce qu’ils ont mieux réviser. D’autres peuvent perdre une partie de leurs moyens à cause du stress ou tout simplement de mauvaises révisions. Le fait que le correcteur ne soit pas le même que le professeur de l’année ne me semble pas le plus pertinent. Enfin, la philosophie est une discipline qui, plus que d’autres, souffre de nombreux préjugés. Cela tient au fait que tout le monde a une opinion sur la philosophie. C’est la rançon de la gloire, car les grandes questions philosophiques parlent à tous.
Propos recueillis par Gilbert Longhi