Depuis maintenant douze années, le B2i a pris place dans le monde scolaire, principalement à l’école et au collège. Entré dans la loi, en 2005, avec son intégration dans le socle commun, dont il était un précurseur, il n’a cependant jamais acquis un statut véritablement installé dans le paysage des établissements scolaires. Malgré la bonne volonté de chacun, son intégration au socle commun a davantage enfoui cette certification dans la problématique plus large d’une certification difficile à mettre en place sérieusement que de lui avoir donné une légitimité et une effectivité réelle. Aujourd’hui encore, se pose la question d’une véritable mise en oeuvre des compétences du référentiel, et plus encore une évaluation pertinente. Du coup le sentiment qui prévaut est que cette certification ne sert pas à grand chose, d’autant plus que le contexte numérique évolue très rapidement et que, malgré des évolutions bienvenues et liées aux développements de nouveaux usages.
Il faut revenir aux origines du B2i pour comprendre ce qui s’est véritablement passé et surtout comprendre l’intention de ses concepteurs. Face à la montée en puissance du permis de conduire informatique européen (PCIE, rebaptisé passeport de compétences par la suite), la France a souhaité développer une sorte d’exception culturelle : pas question de laisser au secteur privé l’arrivée d’une certification, d’autant plus que centrée sur la technique, elle mettait de coté des dimensions d’usage et de citoyenneté chère aux ministres de l’époque. Sans pour autant s’en laisser compter sur la forme, le B2i serait un « référentiel » de compétences et non pas un programme d’enseignement. Autrement dit il fallait une forme adaptée au monde professionnel, demandeur de certifications dont on pouvait identifier le contenu en des termes opérationnels. La critique sous jacente à l’approche traditionnelle des programmes est qu’elle ne permettait que peu facilement d’entrer dans une visibilité des apprentissages effectifs. Le primaire, lancé dans les livrets scolaires et les compétences dès les programmes de 1995 était déjà avancé, même si la réalité de terrain était éloignée des préconisations officielles…
L’accueil du B2i fut davantage signe de surprise que d’enthousiasme ou de rejet. Obligatoire ou pas, intégré ou pas, de nombreuses questions étaient en suspend. C’est dans les lieux de relais du développement des TICE, en particulier dans les CRDP, CDDP, cellules TICE etc… Que l’accueil fut le plus enthousiaste : il légitimait enfin l’accent mis depuis longtemps sur l’introduction de l’informatique sans jamais s’appuyer sur des textes qui s’imposaient à tous. De fait les relais institutionnels ont bien fonctionné, mais c’est dans les établissements que les choses n’ont pas vraiment suivi. L’irritation de l’inspection générale devant la faible prise en compte de ce texte est apparue très vite et de manière officielle deux ans après la parution du texte (officieusement 6 mois avaient suffit pour le comprendre, mais il ne fallait pas le dire). En effet il semble bien que les corps intermédiaires (Inspections, chefs d’établissements…) aient particulièrement résisté à divulguer la nouvelle…. et à en faire un élément de leur travail de préconisation.
Si de nombreux problèmes d’équipement ont pu sembler être les premiers arguments pour cet attentisme, il y a d’autres éléments qui montrent que face à ce nouvel objet il y avait de quoi faire hésiter les équipes : nouveau mode d’évaluation, pas d’enseignement, concurrence entre disciplines potentiellement concernées et les autres, peu de culture numérique partagée; opposition à une approche par les usages qui allaient contre l’envie technicienne d’un enseignement d’informatique appliquées, en particulier en cours de technologie. A cela s’ajoute aussi le fait que nombre de chefs d’établissement n’ont pas vu d’un bon oeil ce nouvel objet que la plupart d’entre eux ne connaissaient pas, ne maitrisant pas vraiment, personnellement, ces technologies. Déléguant parfois le « bébé » à un enseignant, un collaborateur, cet objet étrange a été aussi concurrencé par plusieurs produits parasites : les itinéraires de découverte (IDD) créés en 2001, les nouveaux programmes de primaire arrivés en 2002.
Pendant tout ce temps, le B2i a fait des petits, lycée, enseignement supérieur en licence, adultes, niveau 2 de certification spécialisé dans plusieurs champs professionnels (enseignement, santé, droit, ingénieur, développement durable…). Mais une sorte de mauvais sort s’est acharné sur ces objets dont aujourd’hui encore la pérennité est loin d’être assurée (cf. la remise en cause du C2i2e dans la réforme du Master enseignement). De plus est ré-apparu un enseignement d’informatique en lycée (option de spécialité en terminal S, projet de généralisation.) Là encore l’ancienne option informatique (1983), les ateliers de pratique (APTIC – 1992), la mise à niveau en seconde (1998), ont aussi connu leurs heures et malheurs. Comme si une malédiction s’abattait dès lors que l’on voulait développer une approche de l’informatique en milieu scolaire. Car au delà des oppositions (caricaturales) entre deux points d’entrée (usage, technique ou science), c’est surtout un ensemble d’actions qui portent la marque de l’hésitation, de l’indécision, voire de la méconnaissance des politiques.
Rejoint par l’Europe en 2005 au travers de ses 8 compétences pour la formation tout au long de la vie, la France et son B2i semblait aller dans le bon sens. L’insistance voire l’obstination « juridique » ont permis de graver dans la loi la question de la formation essentielle des élèves aux technologies de l’information et de la communication. Mais ce qui s’est passé, dans le monde numérique depuis, remet en cause toutes ces approches : réseaux sociaux, tablettes, smartphones, TBI, etc… sont probablement à la base d’une remise en cause des deux approches à venir. L’ergonomie des produits supprime de plus en plus les apprentissages techniques initiaux et les modes d’emploi. En d’autres termes le B2i répond à deux logiques concurrentes qu’il va falloir arbitrer : usage technicien et usage informationnel et communicationnel. Les dernières évolutions du contenu du B2i semblent donner raison à la deuxième option. L’intitulé du B2i est-il encore pertinent au vu de ces évolutions ? L’enseignement des sciences du numérique, d’un autre côté, tel qu’il est engagé actuellement, s’oriente lui vers « un regard dans le moteur » pour tous… idée intéressante mais assez éloignée de l’ambition affirmée de ses concepteurs.
Au moment où le ministère parle de stratégie du numérique, on constate que la place réelle du numérique dans le scolaire (hormis dans les disciplines techniques) reste un questionnement, une hésitation. Ceci se traduit bien évidemment par un faible usage réel du numérique en classe, en regard de l’importance prise par celui-ci dans la vie quotidienne. Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose, au vu des arguments de certains. Mais cela conforte l’idée de la faible importance d’un phénomène dont l’importance économique et sociale est pourtant immense et étonnante (au vu de la vitesse de déploiement). Les tentatives de toutes natures qui se multiplient autour des tablettes ne clarifient pas le paysage du numérique scolaire. Au contraire, elles apportent une nouvelle forme d’approche du numérique en milieu scolaire qui s’insère au coté des deux autres. Cette approche qu’on peut qualifier d’intuitive pourrait banaliser des usages sans les référer aux instruments/artefacts qui les supportent. L’avantage serait de redonner aux « documents » traités, produits, manipulés, une place essentielle dans le monde scolaire. L’inconvénient serait de conforter une tendance forte : tenter de rendre invisible les technologies pour laisser la place à une utilisation dont la contrainte plus ou moins importante envers l’usager permet de s’affranchir d’un grand nombre d’apprentissages spécifiques à l’objet technique.
En tout cas il ne sera pas possible de passer sous silence cette évolution, et surtout pas possible de laisser en l’état la prise en compte du numérique dans l’espace scolaire, en particulier dans ce qui est de la formation et la certification des élèves à la maîtrise, d’usage ou technique du numérique.
Bruno Devauchelle