Par François Jarraud
Il y a des documents que l’éducation nationale ne veut pas voir circuler. C’est le cas de la « synthèse de témoignages d’enseignants de STI2D » réalisée par le CHSCTA de Nancy-Metz. Il met crûment l’administration face à un très haut niveau de souffrance au travail d’enseignants qui se retrouvent brutalement déqualifiés et précarisés. Alors que les procédures de mutation vont être lancées, le stress est au plus haut. Le rectorat affirme faire ce qu’il peut dans les contraintes budgétaires actuelles. La rue de Grenelle se tait.
« Lors de cette année de souffrance en technologie au collège, Madame X, chargée de mission est venue m’inspecter. Je lui ai clairement dit que j’espérais trouver la force de me mettre en disponibilité pour pouvoir échapper au suicide. Comme elle a fait mine de ne pas m’entendre, je lui ai répété la chose. Le résultat de cette super inspection, fut un rapport tout à fait anodin et une nomination, dès avant la rentrée de septembre 2012 au collège de XX. Cela dit, mes propos n’étaient pas du vent et j’ai effectivement demandé une mise en disponibilité. Je suis aujourd’hui sans ressources, essayant de subsister par le biais d’une auto-entreprise de maintenance informatique à domicile qui m’a, pour l’instant, rapporté le chiffre d’affaire faramineux de 260€ ! ». C’est un des témoignages réunis par le Comité d’hygiène et de sécurité de l’académie de Nancy-Metz au terme d’une enquête auprès de 471 enseignants de STI sur les 521 que compte l’académie.
Des enseignants déqualifiés
Quel contraste avec le lancement de cette réforme à la rentrée 2011. Luc Chatel lui-même s’était déplacé dans un des plus prestigieux lycées parisiens pour vanter une réforme qui devait sauver cette filière technologique. La réforme supprime une quarantaine de spécialités dans lesquelles les enseignants sont de vraies « pointures » pour une filière unique avec des enseignements moins spécialisés reprenant plusieurs spécialités. En même temps les pratiques pédagogiques changent. On passe de la machine à l’ordinateur, de la fabrication à la simulation informatique, du bleu à la blouse blanche. L’enseignement transmissif est remplacé par une démarche d’investigation qui suppose chez les élèves une attitude active et des méthodes de travail. Il y a à la fois réforme des programmes et des méthodes.
Du jour au lendemain, des enseignants hyper spécialisés, qui arrivaient à asseoir leur autorité dans cette filière technologique par leur haut niveau de compétence se retrouvent totalement déqualifiés alors même que la nouvelle carte des formations fait valser les postes. « Comment faire si nous devons enseigner des domaines que nous ne connaissons pas ? Comment être performant sans formation ? Comment maîtriser un autre domaine avec trois heures de formation bimensuelles durant deux ans !! Ceci n’est pas acceptable !! », écrit un enseignant. « On demande à l’enseignant d’appliquer une réforme qui va modifier le contenu à enseigner d’une manière très importante, et l’institution prévoit logiquement en même temps de modifier les méthodes pédagogiques en installant de nouvelles notions telles la transversalité, la spécialité et la notion de projet », poursuit un autre. « C’est pour cela que pour l’enseignant déjà bien affaibli, nous allons lui imposer avec violence un changement de statut pour l’obliger à s’adapter plus rapidement en augmentant sa précarité et son sentiment d’inadapté… L’argument du changement inévitable sous peine de disparaître nous est rappelé comme un message biblique pour nous motiver et justifie toutes les violences managériales ».
Enseignants zombies
« Les gens deviennent de vrais zombies », nous confie Thierry Valette, élu Sgen Cfdt au CHSCT de Nancy-Metz. Il estime que son académie compte une cinquantaine d’enseignants en grande souffrance. La réforme oblige les professeurs de STI soit à se reconvertir vers STI2D soit à chercher un reclassement vers la technologie au collège ou une autre discipline. Dans le premier cas la formation à distance est jugée très insuffisante. Dans le second, le passage d’étudiants de BTS à des collégiens est souvent mal vécu.
Minimiser le problème
« Je suis actuellement en mode survie comme beaucoup je pense, me préoccuper de mon efficacité je ne puis, je cherche juste à ne pas disparaître d’épuisement… », témoigne un autre enseignant. « Suis actuellement en arrêt depuis septembre. La STI2D en est la cause profonde. Psychologiquement, je ne suis pas bien (peur d’être à la ramasse devant les élèves) ».
Doyen des IPR et inspecteur de STI, Laurent Brault rappelle que « toute réforme entraine des difficultés ». Il assure que le DRH de l’académie suit de près le dossier et qu’il y a « une grande écoute » mais « qu’il est difficile de suivre 580 enseignants ». Il écarte la peur suscitée par le mouvement et le recrutement sur postes fléchés en STI2D. L’académie aurait prévu 40 à 50 postes en appui pour des enseignants en difficulté en fin de carrière mais à condition qu’ils optent pour STI2D.
« L’administration a acquis qu’il y a un problème », estime T Valette. « Mais elle minimise les difficultés ». Le syndicat demande une véritable formation en présentiel. Et des garanties pour le mouvement des anciens professeurs de STI.
François Jarraud
STI : Pour le Snes ça va péter
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2012/2012Presid26.aspx
STI la crise
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/09/1409201[…]
Sur le site du Café
|