Par François Jarraud
Sommaire :
- Loi d’orientation : Les réactions syndicales
- Comment l’Education nationale sabote les réformes…
- Loi d’orientation : Dans les mains de qui ?
- L’Assemblée enterre le DIMA
- La morale civique remplace l’instruction civique
- Orientation : L’Assemblée rééquilibre au détriment des droits des parents
- Numérique : Jusqu’où l’exception pédagogique ?
« C’est un premier pas dans la bonne direction après combien de pas dans la mauvaise ? ». Vincent Peillon ne s’est pas privé d’une ultime pointe après le vote par lequel l’Assemblée nationale a adopté, le 19 mars, en première lecture, la loi de refondation. Le marathon parlementaire reprendra en juin au Sénat. Jusqu’au bout l’opposition aura dénié à cette loi son caractère novateur. Pourtant, même si la loi reste dans les généralités, elle met en place des principes nouveaux.
Cette loi est-elle si partisane ?
Partisane la loi ? Vincent Peillon s’en défendait. Arguant des 300 amendements inscrits finalement dans le texte dont quelques uns de l’opposition. Après 54 heures de débat parlementaire, la loi de refondation a été adoptée à une large majorité par les députés. Même si Vincent Peillon avait su dialoguer avec l’opposition et trouvé des compromis lors des débats, l’Ecole n’a finalement pas réussi à rassembler au delà des clivages partisans pour ce vote final. C’est peut-être Olivier Falorni, le tombeur de S Royal à La Rochelle, qui a été le plus dithyrambique à propos de ce texte, en le comparant à « une arme pour les hussards noirs du 21ème siècle ». B. Pompili, élue écologiste, a souligné le caractère positif de ce texte mais elle invite déjà les sénateurs à l’amender sur les langues régionales par exemple. L’opposition a marqué son refus du texte dans des termes sans ambiguïté. Frédéric Reiss (UMP) parle « d’un lifting idéologique plus qu’une refondation de l’Ecole ». Il juge la loi « bavarde » et déplore que l’éducation nationale ne prenne plus « sa part de la baisse des dépenses publiques ». Pour lui, la loi passe à coté du principal enjeu d’une refondation : le statut des enseignants. C’est sans doute Rudy Salles (UDI) qui aura été le plus sévère. Il parle à propos de l’éducation nationale de « démagogie qui coûte ». « Depuis 30 ans on ne pense qu’aux moyens et les résultats se dégradent… Quel gâchis que cette loi blafarde et bavarde ».
Le vote final est donc très tranché. La loi a été adoptée par 320 voix contre 227. Ont voté pour la totalité des députés PS et RRDP et 16 écologistes sur 17, M. Molac, un peu chahuté lors du débat sur les langues régionales s’abstenant. Ont voté contre tous les députés UMP (moins un), UDI et les non-inscrits F.N. et assimilés. Tout en reconnaissant des « avancées », François Arsensi (GDR) déplore le socle commun et parle de « dénationalisation » de l’éducation nationale. Il annonce l’abstention du Front de Gauche « pour pourvoir avancer avec audace »…
Priorité au primaire et école du socle
Le texte défend pourtant une vision de l’Ecole cohérente et marquée. La loi marque d’abord la priorité au primaire avec 14 000 postes créés dans le premier degré dont 7 000 pour le « plus de maitres que de classes » et les Rased et 3 000 pour la scolarisation des moins de trois ans, ces deux dispositifs ciblant les zones défavorisées. L’école maternelle est redéfinie. Le lien GS – CP raffermi. La loi défend l’école du socle en instituant un conseil école – collège. Le socle commun est réaffirmé.
Le collège unique est confirmé mais sous une forme non uniforme. « Il est donc nécessaire de réaffirmer le principe du collège unique à la fois comme élément clé de l’acquisition, par tous, du socle commun et comme creuset du vivre ensemble. Le collège unique est organisé autour d’un tronc commun qui nécessite des pratiques différenciées adaptées aux besoins des élèves ». À chacun des collégiens, « des enseignements complémentaires peuvent être proposés afin de favoriser l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Au cours de la dernière année de scolarité au collège, ceux-ci peuvent préparer les élèves à une formation professionnelle et, dans ce cas, comporter éventuellement des stages contrôlés par l’État et accomplis auprès de professionnels agréés » (art33). Si la loi supprime la loi Cherpion et les DIMA, elle instaure en 3ème des dispositifs spéciaux qui rappellent les 3èmes professionnelles. Un parcours d’orientation et découverte du monde professionnel est introduit. Le brevet doit être conforme au socle.
Priorité au prioritaire ?
La loi a beau affirmer que « l’égalité des territoires passe par une affectation prioritaire des moyens attribués en faveur des territoires en difficulté pour permettre un rééquilibrage », elle renvoie à d’autres textes une véritable réflexion et un plan pour l’éducation prioritaire. Tout au plus affirme-t-elle que « l’allocation des moyens devra donc être revue au profit d’une autre approche tout en poursuivant un effort budgétaire spécifique pour les établissements de l’éducation prioritaire : il s’agira de différencier, dans le cadre de leur contrat d’objectifs, les moyens en fonction des spécificités territoriales, sociales et scolaires de chacun des établissements ainsi que selon le projet d’école ou le contrat d’objectifs ».
La formation des enseignants rénovée
La loi crée les ESPE en lieu et place des IUFM dès la rentrée 2013. 27 000 postes sont ciblés sur les ESPE, les futurs enseignants bénéficiant à nouveau d’une année de stage rémunérée. Ces écoles réunissent tous les personnels de l’éducation, universitaires inclus et la formation comprend les sciences de l’éducation. « Elles fournissent des enseignements disciplinaires et didactiques mais aussi en pédagogie et en sciences de l’éducation ». La définition des concours et des formations ne relève pas de la loi et on n’en saura pas plus. La continuité avec les IUFM est quand même marquée grace au transfert automatique des personnels IUFM vers les Espe.
Un service public du numérique éducatif
La loi crée ce service qui doit « mettre à disposition des écoles et des établissements d’enseignement des services numériques permettant de diversifier les modalités d’enseignement » et « proposer aux enseignants une offre diversifiée de ressources pédagogiques ». Lors des débats, le gouvernement s’est engagé à ne pas se substituer à l’offre privée. il investira dans son déploiement. L’introduction d’un enseignement de l’informatique a été repoussée mais « une option « informatique et sciences du numérique » sera ouverte en terminale de chacune des séries du baccalauréat général et technologique ». La loi donne aux régions et aux départements la gestion du matériel informatique. Elle » favorise l’utilisation de connexions de données filaires » aux dépens du wifi au nom du principe de précaution. L’exception pédagogique n’est pas sérieusement modifiée, les amendements les plus favorables en ce sens ont été écartés.
La morale laïque et civique remplace l’instruction civique
« L’enseignement de la morale laïque, tout comme l’instruction et l’éducation civiques, participe de la construction d’un mieux-vivre ensemble au sein de notre société. Ces enseignements visent notamment à permettre aux élèves d’acquérir et comprendre l’exigence du respect de la personne, de ses origines et de ses différences, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les fondements et le sens de la laïcité, qui est l’une des valeurs républicaines fondamentales. »
De nouvelles commissions
La loi recrée le Conseil supérieur des programmes en charge de la définition des programmes et du socle. La structure sera semi indépendante. Même statut pour le Conseil de l’évaluation de l’école qui aura une mission de surveillance et d’évaluation du système. Dans ces deux instances la majorité des membres est désignée par le ministre.
De nouvelles relations avec les collectivités territoriales
La loi leur transmet la maintenance du matériel informatique. Elle leur donne la possibilité d’utiliser les locaux des collèges et lycées en dehors des heures de cours. La loi reconnait le développement des activités périscolaires. Elle donne aux régions la main mise sur la carte des formations professionnelles, les ouvertures et fermetures de ces formations.
La place des parents minorée
La loi a beau parler de co-éducation, en fait elle est restée dans l’optique, largement partagée, de l’école Jules Ferry, méfiante envers les parents. La loi supprime le comité des parents au primaire. Alors que la commission avait donné un pouvoir décisionnaire aux parents dans l’orientation, le texte final le retire. De la même façon, pour les enfants handicapés, la loi donne la possibilité à l’école de contacter directement la MDPH pour modifier les termes de la scolarisation.
De nouvelles pratiques pédagogiques ?
S’agissant des rythmes, la loi précise que l’année scolaire composée de 36 semaines de cours « devra évoluer au cours des prochaines années » sans fixer de date précise. « L’interdiction formelle des devoirs écrits à la maison pour les élèves du premier degré » est inscrite dans la loi. L’éducation artistique et culturelle est renforcée : elle doit concerner tous les élèves « de la maternelle à la terminale » et se faire en lien avec les projets éducatifs locaux. La commission introduit dans les finalités de l’Ecole l’éducation à la santé (art 4bis) en y adjoignant une formation des enseignants sur les jeux dangereux. Les langues régionales, le créole ont été défendus dans les débats de la commission et sont renforcés. L’éducation environnementale et l’alimentation biologique sont aussi introduits dans l’Ecole sans qu’on sache si la première remplacera l’éducation au développement durable.
L’essentiel reste à venir
Mais la loi s’est fort peu aventurée sur le terrain du quotidien de l’éducation. Celui-ci dépend largement des décrets et circulaires qui seront prises par le gouvernement. A l’issue du débat avec l’Assemblée, les parlementaires ont fort peu cadré le gouvernement qui dispose maintenant d’une large marge de manoeuvre pour prendre les dispositions de son choix. C’est donc dans le dialogue avec les syndicats et les enseignants que va se construire la réalité du changement. D’où l’expression de Vincent Peillon. La loi d’orientation n’est qu’un « premier pas ». Le ministre souhaite que ce soit « dans la bonne direction ».
François Jarraud
Le dossier du Café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2012_12_LoiO[…]
Le texte adopté en première lecture à l’Assemblée
http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0096.asp
Beaucoup ont fait le voyage à l’Assemblée pour assister au vote de la loi. Mais les responsables syndicaux marquent quand même une certaine distance avec l’événement. Tous pensent que l’on n’est qu’au début du chemin…
« Le cadre est donné », nous a confié Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp. « La loi fixe de nouvelles orientations comme l apriorité au primaire et le retour aux principes de la formation professionnelle. Personne ne s’en plaindra. On s’en félicite. Maintenant la loi n’est pas une baguette magique. Il va falloir veiller à l’application de la loi ». « Globalement on est satisfaits », affirme Christian Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa. « Mais il y a des bémols. De toutes façons, le plus dur ne fait que commencer. La loi marque une rupture mais ne suffit pas en elle-même à changer l’Ecole ». Au Sgen-Cfdt, Frédéric Sève n’est pas soulevé par l’émotion. « Ce n’est que le début du parcours », juge-t-il aussi.
L’école du socle ?
L’affirmation du socle est soulignée par C Chevalier. « L’école fondamentale du bloc école collège est concrétisée dans la loi », souligne -t-il. « C’est la fin du grand second degré et ça c’est une vraie rupture ». Au Snuipp, cette perspective n’effraie pas. « On est plutôt favorable à l’amélioration du lien école collège. Il faut plus de collaboration entre professeurs des écoles et de collège par exemple au niveau de la programmation ou des projets à condition que les moyens en temps, en frais de transport, soient donnés ».
Le numérique est souligné par Christian Chevalier. « Il va obliger à changer nos pratiques et il va impacter le système éducatif en modifiant le rapport au savoir ». L’avenir du bloc « bac – 3 bac +3 » reste une question à traiter soulignent le Se-Unsa et le Sgen Cfdt.
Des résistances à venir ?
« Au fur et à mesure qu’on va entrer dans les détails d’application de la loi, on va voir se durcir les obstacles », craint F Sève. « Les rythmes en sont un exemple ». « Le dossier des missions des enseignants est incontournable mais aussi très sensible », annonce C Chevalier. « On ne pourra avancer que s’il n’y a pas de provocation ». Au Snuipp, Sébastien Sihr s’annonce vigilant. « Il va falloir faire preuve d’exigence pour que les orientations de la loi se mettent en place concrètement ». C’est bien sur le terrain que les vrais changements se feront. Ou pas…
François Jarraud
Privé : De nouvelles structures représentatives
La loi de refondation crée deux nouvelles structures de représentation. Un comité consultatif ministériel comprenant des représentants élus des maitres sous contrat jouera le même rôle que les comités techniques existant pour les fonctionnaires au niveau ministériel. Le comité s’occupera de l’emploi et des statuts. Enfin l’article 55 modifie le mode d’élection des élus en CCMA et CCMD.
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2013/03/18032013A[…]
Peut-on réellement changer l’Education nationale ? Au moment où l’Assemblée nationale adopte la loi de refondation, la mémoire collective n’a pas loin à chercher pour trouver des exemples de réformes ratées. Ce fut le cas dans une large mesure pour la loi de 2005 et sa principale mesure : le socle. Comment ça se passe ? Quels mécanismes, quelles situations génèrent ces échecs ? Peu de spécialistes ont travaillé sur ce sujet pourtant passionnant. Aurélie Llobet, université Paris Dauphine, a travaillé sur « la neutralisation » d’une réforme. Écoutons-la…
Dans un bel article publié par la revue Gouvernement & action publique de juillet septembre 2012, Aurélie Llobet étudie la mise en place du dispositif « ambition réussite ». Impulsée en 2006 de façon brutale, la réforme arrive dans un collège où A Llobet suit de façon minutieuse la façon dont elle est appliquée et finalement « neutralisée ». Au final la réforme est mise en place dans les apparences. Mais pour cela elle est largement vidée de son contenu et de ses objectifs.
Protestation larvée
Dans un premier temps la réforme qui est bombardée par l’administration, se heurte à une protestation larvée. Les assistants pédagogiques sont accueillis froidement. « Bien sûr on les encadre », témoigne un enseignant, « mais on se limite, on se refuse à leur donner des préparations ». Les enseignants boudent les nouveaux postes en même temps que l’administration exige des résultats. Pour le principal il est impératif de trouver des solutions. Il le fait en nommant sur des postes ambition réussite des enseignants qui souvent ne sont pas réellement en accord avec les objectifs de la réforme. « Le dispositif a dû faire face à des formes de non coopération des enseignants ». Cependant un peu de la réforme perfuse. « Le corps enseignant reproduit une partie des pratiques anciennes. Il revoit en parallèle des manières de faire. Il sont plus enclins à participer à des projets collectifs ».
Des profs résistants à tout changement ?
« L’article relativise l’échec », nous a confié Aurélie Llobet dans un entretien. « Le dispositif contribue à modifier les manières de travailler. Sur le long terme, il s’inscrit dans une démarche de travail sur projet, de prise en charge de tâches annexes à l’enseignement…. En l’espèce, l’échec s’explique par la rapidité de la prise de décision et les modalités de mise en oeuvre. Rien n’a été défini en amont, la hiérarchie intermédiaire se voit confier l’application. Dans un tel contexte, l’incertitude est plus forte. Dans ce collège, il n’y a pas eu échange, pas de consultation. Des professeurs ont pris des postes mais se sont retrouvés seuls pour remplir les missions. Je crois que la consultation et la préparation des modalités de mise en oeuvre peuvent renforcer l’efficacité des réformes ».
Le rôle central de la hiérarchie intermédiaire
« L’article montre que la hiérarchie intermédiaire a un rôle essentiel dans la mise en oeuvre », poursuit A Llobet. « La direction définit, sans consultation des enseignants, les postes Ambition-Réussite. Face aux délais serrés, ils ont dû décider sans consulter. Cela a un effet très important, une partie des professeurs ne sait pas en quoi consiste la réforme. Pour la direction de l’établissement, la réforme Ambition Réussite a été un moyen pour maintenir certains professeurs dans l’établissement. Dans un contexte de suppression de postes, la direction se sert de ces postes comme palliatif ».
Consultation du terrain et fine connaissance des stratégies des corps intermédiaires semblent des facteurs clés pour l’application du changement. Des observations à méditer pour l’application de la loi d’orientation.
François Jarraud
Gouvernement & action publique, 3 juillet-septembre 2012
Le sommaire
http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100170540
Le vote solennel de la loi d’orientation ne règle pas les problèmes de son application. La loi laisse les mains libres à Vincent Peillon. Mais c’est sa perception par les acteurs de terrain qui sera déterminante. Le rôle des hiérarchies intermédiaires sera crucial.
La loi est d’abord dans les mains des parlementaires. En consacrant une bonne cinquantaine d’heures de travail à l’examen en séance du texte de la loi de refondation, les députés ont rappelé l’importance de la chose écrite, de la loi pour installer l’action publique. Pourtant ils ont aussi marqué les limites. A plusieurs reprises, ils se sont surpris de ne pas pouvoir intervenir sur des points importants, comme le contenu du socle, qui relèvent du domaine réglementaire c’est à dire des décrets et circulaires que le ministre prendra. Si la loi est d’abord dans les mains des parlementaires – et elle va y revenir au Sénat – l’essentiel de la réforme, ce qui la rendra visible sur le terrain, leur échappe.
La refondation est déjà dans les mains des lobbys. On les a vu à l’ oeuvre à l’Assemblée où chacun – et c’est légitime – est venu défendre ses intérêts. Ce travail va continuer. On a vu les députés agir sur le texte à plusieurs reprises à leur demande. C’est que la loi a des conséquences économiques – sur le numérique par exemple. Elle a aussi des retombées sur la répartition des postes. Disons le simplement : la chasse aux postes des Espe est ouverte et les candidats se poussent du coude. Les lobbys disciplinaires se battent déjà pour savoir qui enseignera la fameuse morale laique, des professeurs d’histoire-géo , de philosophie, de droit ???
Surtout la refondation sera dans les mains des acteurs de terrain. Plus que les textes ce sont les réactions des enseignants qui feront de cette refondation un texte vide ou une véritable occasion pour l’Ecole. Les leviers d’action du ministère sont minces pour les toucher. Si la formation initiale va être dotée correctement, la formation continue ne dispose pas des budgets qui permettraient d’impulser des dynamiques que l’on a vu à l’oeuvre dans d’autres pays. Il faudra compter sur la bonne volonté des enseignants. Or ceux -ci sortent meurtris par des années noires. Ils ont nourri une insondable défiance envers l’institution.
La refondation sera dans les mains des cadres. L’étude d’Aurélie Llobet, analysée dans L’Expresso du 20 mars, démontre que leur rôle est crucial. Elle montre que la hiérarchie s’empare des réformes par rapport à ses propres intérêts et contraintes. Le principal de collège doit rendre des comptes à sa hiérarchie et est seul à chercher les solutions qui risquent d’être plus dans l’apparence que dans le réel. D’autres exemples donnent à penser que des sabotages existent. On a vu par exemple comment la réforme du lycée a été sabotée au long de la chaine hiérarchique pour devenir à de nombreux endroits – mais pas partout – un cauchemar.
« La réforme est un art d’application » disait Claude Thélot. On n’a donc pas fini d’observer et de suivre son chemin.
François Jarraud
C’est un des points de divergence marqué dans le débat sur la loi de refondation. La droite défend les dispositifs d’enseignement en alternance dès la 4ème comme le DIMA. V Peillon fait passer leur suppression et défend l’idée du collège unique « mais pas uniforme ». Tout en souplesse…
A droite la contestation ouverte du collège unique. « L’article 33 supprime les enseignements complémentaires qui préparaient les élèves à des formations professionnelles en classe de quatrième afin d’éviter d’enfermer trop tôt les élèves dans une filière, et n’ouvre cette possibilité qu’en classe de troisième », intervient Patrick Hetzel (UMP). Dan sun amendement il demande la suppression de cet article. « Cette disposition serait à mon sens préjudiciable pour les enfants qui se désintéressent de l’école, ne sont plus motivés par un enseignement classique et souhaitent démarrer au plus vite une formation professionnelle. En les obligeant à suivre une année de quatrième classique, le Gouvernement ne fera qu’amplifier leur désintérêt pour l’école. J’ai pu constater, en tant que recteur, que c’est souvent une réelle difficulté de les motiver. Avec le dispositif tel qu’il existe aujourd’hui, avec des pédagogies plus inductives, on se rend compte qu’il est possible de les remotiver. Je pense donc que l’article 33 n’aboutira qu’à augmenter le nombre de décrocheurs ».
Le rapporteur Yves Durand défend l’article 33. « Si vous supprimez l’article 33 en revenant aux dispositifs actuellement inscrits dans le code de l’éducation, des élèves sortant précocement du collège ne pourront acquérir l’ensemble du socle commun, en contradiction avec notre ambition d’offrir ce socle à tous… Une telle rupture dans l’acquisition du socle équivaut à une orientation précoce, et même à une sélection précoce, car nous savons de quels milieux sont issus ces élèves orientés à la fin de la cinquième vers la voie professionnelle. Ce qui, du même coup, fait de la voie professionnelle une orientation par défaut ».
Vincent Peillon intervient pour défendre une réponse « équilibrée« . « Je voudrais éviter toute erreur d’interprétation, car traiter des enseignements complémentaires amène à poser la question du collège unique. Si nous sommes attachés au collège unique, nous ne voulons pas du collège uniforme. Nos articles, notamment l’article 33, redéfinissent le champ d’application des enseignements complémentaires qui peuvent bénéficier aux élèves dès la classe de sixième et qui ne seront plus synonymes de préparation à la voie professionnelle : ils permettront de diversifier les cursus. Nous conserverons en classe de troisième ces préparations vers la voie professionnelle, mais l’article 33 permet surtout la mise en place d’un outil de différenciation des parcours au sein du collège unique, plus adapté aux besoins et aux ambitions des élèves, ainsi qu’à l’autonomie pédagogique des équipes qui pourront définir les modalités de différenciation de ces parcours. C’est là un véritable progrès pour l’ensemble des élèves : il est possible de souhaiter une élévation générale du niveau de qualification des parcours communs et, dans le même temps, une différenciation de ces parcours ».
Le DIMA est supprimé sans que pour autant le ministre apparaisse comme un défenseur d’un collège unique contesté y compris dans le monde enseignant.
François Jarraud
Vincent Peillon a définitivement imposé le mot « morale » dans la loi de refondation de l’Ecole. La majorité a éclipsé l’idée d’instruction civique chère à Xavier Darcos. Elle n’a pas défendu l’idée d’une éducation civique. Point d’équilibre entre majorité et opposition, la morale civique et laïque de V Peillon l’emporte même sur les valeurs de la famille défendues par la droite. Mais qui enseignera cette morale ? Et comment faire chanter aux enfants un hymne européen qui n’a pas de paroles ?
« L’enseignement de la morale laïque, tout comme l’instruction et l’éducation civique, participe de la construction d’un mieux-vivre ensemble au sein de notre société. Ces enseignements visent notamment à permettre aux élèves d’acquérir et comprendre l’exigence du respect de la personne, de ses origines et de ses différences, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les fondements et le sens de la laïcité, qui est l’une des valeurs républicaines fondamentales. Ils contribuent à former des esprits libres et responsables, aptes à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi et empreint de tolérance ». Jusqu’au bout le gouvernement aura défendu l’idée de sa morale ainsi quand il fait introduire l’expression « sens moral » à l’article 9 par un amendement inattendu adopté vendredi 15 mars.
La morale laïque et civique marque bien la capacité de V Peillon à manoeuvrer et réunir. Quand sa conception est combattue par la droite c’est au nom des valeurs familiales. « Les choix éducatifs des parents doivent être respectés et mentionnés dans l’article 9 », exige Frédéric Reiss, élu d’un département où l’Ecole continue à enseigner le catéchisme. V. Peillon et Y Durand savent jouer des contradictions de la droite. « Si nous acceptions votre amendement », répond Y Durand, « comment pourrions nous ensuite empêcher des parents, choqués dans leurs convictions religieuses de demander..à un enseignant d ene pas aborder dans sa classe tel enseignement de sciences ». « S’il s’agit de nous prémunir contre le risque de blesser les choix privés, nous comprenons cette volonté : c’est notre conception de la laïcité », affirme V Peillon qui en appelle à la lettre de Jules Ferry. Résultat : Frédéric Reiss retire ses amendements et la morale fait consensus.
Même victoire ministérielle face à sa majorité. Quand Mme Pompili défend l’idée d’un enseignement pluridisciplinaire de la morale, le risque est grand de mobiliser tel ou tel lobby professoral. Qui doit enseigner al morale ? Les professeurs de philosophie ? D’histoire-géo ? De droit ? « Il s’agit de savoir si c’est une discipline à part ou si elle relève d’une action interdisciplinaire… Nous aurons à la fin du mois d emars le rapport que j’ai demandé à R. Schwartz, A Bergougnioux et L Loefel », répond V Peillon. Il les invitera à rencontrer les députés. « Nous sommes tout à fait favorables à une approche pluridisciplinaire comme vous le verrez sans doute dans ce rapport », poursuit le ministre. Mme Pompili retire elle aussi son amendement, laissant la voie libre au ministre.
Un hymne obligatoire mais sans paroles… Dernière image de la puissance consensuelle de l’éducation civique, la commission des affaires culturelles avait adopté l’apprentissage obligatoire à l’école de l’hymne européen à coté de l’hymne national. Cela posait un léger problème : l’hymne européen n’a pas de paroles ! Le gouvernement a fait adopter un amendement qui maintient l’apprentissage des idéaux européens mais répond à cette critique. « Il convient de ne pas limiter cet apprentissage au seul hymne dont il faut rappeler qu’il est officiellement sans paroles », note avec humour le ministre. « Je tenais à rassurer Mme Pompili (écolo) « , précise Y Durand. « On ne retire pas l’hymne européen. On ne le fait pas chanter pour une raison toute simple : il n’a pas de paroles. Il est toutefois reconnu comme l’hymne national ». L’article 31 est modifié pour affirmer : « L’école doit assurer conjointement avec la famille, l’enseignement moral et civique qui comprend l’apprentissage des valeurs et symboles de la République et de l’Union Européenne, notamment de l’hymne national et de son histoire ».
François Jarraud
La commission avait donné aux parents un droit de décision sur le parcours d’orientation des élèves. Dans a rédaction finale, l’Assemblée est revenue sur ce droit et, pour des raisons techniques, a remplacé le texte par une nouvelle rédaction qui escamote les parents…
Quel pouvoir les parents auront-ils sur l’orientation de leurs enfants ? La commission des affaires culturelles avait introduit un article 25 ter qui semblait donner aux parents un pouvoir décisionnaire en matière d’orientation. » Le deuxième alinéa de l’article L. 313-1 est ainsi rédigé : « Ce droit s’exerce grâce à la mise en place, tout au long du second degré, d’un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde professionnel pour tous les élèves. Les choix d’orientations et de formations sont de la responsabilité des élèves et de leurs parents ou leur représentant légal. », disait le texte. L’alinéa suivant renforçait l’intention en disant qu’ils « déterminent leur orientation ».
Un droit balayé en douce le 16 mars. Tout cela a été effacé par deux amendements gouvernementaux vendredi 15 mars. Un amendement supprime le 25 ter. Et un autre introduit avant l’article 32 un nouveau texte. « Afin d’élaborer son projet d’orientation scolaire et professionnelle et d’éclairer ses choix d’orientation, un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel est proposé à chaque élève, aux différentes étapes de sa scolarité du second degré. Il est défini sous la responsabilité du chef d’établissement et avec l’aide des parents par les conseillers d’orientation-psychologues, les enseignants et les autres professionnels compétents. Les administrations concernées, les collectivités territoriales, les organisations professionnelles, les entreprises et les associations contribuent à la mise en oeuvre de ce parcours.
La place des parents effacée. On le constate l’orientation n’est plus l’affaire des parents mais de toute une chaine d’acteurs. George Pau-Langevin, ministre déléguée, promet juste une expérimentation. « Nous sommes par ailleurs favorables à ce que les familles aient, elles aussi, leur mot à dire sur l’orientation des jeunes. On s’est aperçu que, très souvent, si les jeunes décrochent, c’est parce qu’ils ne sont pas d’accord avec l’orientation qui leur a été proposée. Par conséquent, nous avons imaginé une expérimentation, permettant à la famille d’avoir plus de poids dans cette orientation. J’ajoute qu’en ouvrant la possibilité de l’expérimentation, on offre aux familles et aux jeunes davantage de choix en matière d’orientation ».
L’Assemblée s’en contente et fait mine de ne pas avoir perçu l’enjeu de cette modification…
François Jarraud
Comment mettre en place un service public du numérique sans nuire aux intérêts des éditeurs ? C’est la difficulté qu’a résolu Vincent Peillon combattant à droite les partisans des éditeurs et à gauche les défenseurs de l’exception pédagogique. Un jeu d’équilibre où le ministre excelle…
Un article inquiétant pour la droite. L’article 10 de la loi de refondation crée un « service public du numérique éducatif » organisé pour notamment « mettre à disposition des écoles et des établissements d’enseignement des services numériques permettant de diversifier les modalités d’enseignement » et « proposer aux enseignants une offre diversifiée de ressources pédagogiques pour leur enseignement ». De là à imaginer un service étatique remplaçant l’offre éditoriale privée il n’y avait qu’un pas déjà franchi en commission.
L’Assemblée est revenue sur ce sujet le 15 mars. Pour Annie Genevard (UMP), « la rédaction de cet article est fort peu rassurante, car elle suscite des interrogations sur la place que vous entendez faire aux éditeurs privés, qui proposent aujourd’hui des produits numériques scolaires et ont investi massivement – plus de 20 millions d’euros – dans ce domaine, depuis des années. La plupart des manuels ont les deux supports. Dans l’étude d’impact, vous précisez que le CNDP et le CNED sont désignés comme producteurs ; ils seraient des sortes d’éditeurs d’État. Quelle place a, selon vous, une filière numérique privée ? » La question n’est pas qu’économique, A Gévenard rappelle qu’elle renvoie aussi à la liberté des enseignants effectivement menacée via les ENT d’une offre unique décidée par d’autres. « L’enseignant, je le répète, doit pouvoir choisir les supports à partir desquels il bâtit son enseignement », rappelle la députée.
Vincent Peillon rassure. « J’ai déjà eu l’occasion de souligner que c’est l’une de nos préoccupations principales. Nous avons décidé d’allouer à nos industriels, dans le cadre des investissements d’avenir, des fonds pour qu’ils puissent développer cette filière française… Le fait de créer un service public n’interdit pas d’autres offres à côté. ..
Les amendements sur l’exception pédagogique rejetés.
A gauche, le gouvernement doit faire face à une batterie d’amendements déposés par Isabelle Attard (écologiste) qui déclinent l’exception pédagogique dans différents domaines comme la limitation pour réutiliser en classe plusieurs documents extraits d’un manuel. Le rapporteur renvoie à une prochaine commission « qui fera sous peu des propositions » « Nous sommes très attendus par les enseignants » répond I Attard. « La loi d’orientation c’est maintenant ». Tous ses amendements sont rejetés. L’exception pédagogique reste très limitée.
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