Par François Jarraud
« On a pu identifier les difficultés de notre système scolaire en grande partie en raison des travaux menés par l’OCDE ». « Nous sommes prêts à appuyer la France ». Cet échange entre Vincent Peillon et Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, clôt, le 18 mars, un colloque OCDE sur la formation des enseignants. Le ministre de l’éducation français est venu chercher le soutien de l’organisation internationale pour la réforme qu’il entreprend. Alors que V. Peillon rénove la formation des enseignants avec les ESPE, quelle influence auront les conseils de l’OCDE ?
Comment sont formés les enseignants dans le monde ?
Pour répondre à cette question, l’OCDE réunit le 18 mars des experts. De Singapour à la Finlande, d’Allemagne au Québec, ils font remonter quelques idées fortes. D’abord l’isolement français : jusqu’à la mise en place des ESPE à la rentrée 2013, la formation des enseignants français est consécutive. On apprend d’abord des connaissances et ensuite seulement on fait de la pratique. Partout la formation suit un modèle simultané. Pour avoir des enseignants de bon niveau, la meilleure solution consiste à recruter des étudiants de bon. C’est ce que montre l’exemple finlandais où 1500 candidats se disputent 100 postes d’enseignants. La conséquence c’est que le regard que la population dans son ensemble jette sur les enseignants a de l’importance. Les bons enseignants sont ceux qui bénéficient d’un bon accompagnement en début de carrière. Ils ont une formation continue, mais on sait que celle-ci va dépendre de la qualité de la formation initiale. Même si la France n’est pas le seul pays a souffrir d’une formation continue insuffisante, les intervenants illustrent son importance. Ainsi le Québécois Michel Lessard montre que les enseignants disposent d’un crédit de 250 dollars annuels qu’ils utilisent pour la formation de leur choix. La formation continue répond à trois modèles qui sont à ses yeux complémentaires : la formation libre, celle propulsée par en haut et enfin celle qui se construit quand les écoles arrivent à devenir des structures apprenantes. Il vaut mieux alors prévoir des temps et des lieux où les enseignants peuvent échanger et travailler ensemble.
L’ordonnance de l’OCDE
« La France se lance dans une réforme profonde et ambitieuse de son système éducatif », rappelle Angel Gurria. « Mais cette réforme est cruciale ». L’organisation insiste sur les points noirs du système éducatif : sorties sans qualification, inégalités sociales, perte de performance. Elle présente son ordonnance. Il faut passer d’une formation consécutive à une formation simultanée des enseignants. Il faut faire évoluer le métier d’enseignant qui est « usant » de façon à ce que d’autres possibilités de carrière s’ouvrent en fin de vie professionnelle. Il faut inciter les enseignants expérimentés à aller dans les établissements difficiles. Il faut revoir les rythmes scolaires, les programmes et le redoublement. Si la France fait tout cela elle bénéficiera du soutien de l’OCDE.
Réformer l’Ecole c’est retrouver la croissance ?
Alors qu’on attend le 19 mars la publication d’une étude OCDE sur le redressement économique de la France, Vincent Peillon met la réforme du système éducatif sur ce terrain. « La France doit retrouver la croissance. L’Ecole est au fondement de toutes les autres politiques », dit-il. Là dedans, « l’amélioration de la de la qualité de la formation des enseignants est le premier levier pour améliorer les résultats du système éducatif ». Le ministre dira pourtant peu de choses sur la réforme de la formation des enseignants alors que se préparent les maquettes des concours. Tout au plus lache-t-il que la réforme de l’éducation prioritaire aurait un volet qui concernerait la carrière des personnels. Mais déjà V Peillon remercie l’OCDE. « Ce que le ministre vous doit c’est beaucoup car imposer la priorité à l’Ecole ce n’était pas simple ». Garder cette priorité ne le sera sans doute pas plus…
François Jarraud
« Derrière la logique mise en œuvre par ces projets de textes, il y a un métier enseignant qui se définit comme « faire cours » alors que tout démontre qu’enseigner, c’est « faire classe ». » Jean-Louis Auduc critique la maquette des concours d’enseignement qui se met en place dans le cadre des futures ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation). Pour lui elle ressuscite la vieille opposition entre savoirs disciplinaires et professionnel qu’il convient de dépasser pour donner au professionnel toute sa place.
Cette question mérite d’être posée lorsqu’on voit ce qui se profile concernant les futurs concours de recrutement d’enseignants. L’expérience des IUFM a montré combien était dommageable par rapport aux enjeux du système éducatif français d’avoir une formation complètement séparée avec d’un côté en première année des approches liées à la ou aux disciplines à enseigner et en seconde année une formation tournée vers la manière d’enseigner dans la classe et à des élèves hétérogènes ces mêmes disciplines.
Nous avions, de fait, de 1992 à 2008 une formation des enseignants organisée en trois phases :
– Une première phase : la préparation aux concours de recrutement qui, toutes les études le montrent, est fondatrice des images, des représentations concernant le métier enseignant en fonction du contenu des épreuves proposées à ces concours. Cela, aggravé pour le second degré, par le fait que c’est toujours la place au concours qui détermine la première note pédagogique de l’enseignant.
– Une seconde phase qui est, après la réussite au concours, l’année du stage au bout de laquelle environ 98% des professeurs-stagiaires sont titularisés. Celle-ci est centrée sur le stage en établissement. Les enquêtes réalisées ont montré que toutes formations généralistes proposées pendant cette phase étaient au mieux un supplément d’âme sans impact sur les représentations du métier, au pire ressenties comme inutiles puisque le concours était déjà réussi.
– Une troisième phase de formation continuée qui est la plupart du temps, notamment dans le second degré, laissée à l’initiative des enseignants puisque non-obligatoire.
La place des concours est décisive
La mastérisation en supprimant toute formation professionnelle a été une catastrophe. Il fallait donc saisir l’occasion d’améliorer la situation en s’appuyant les bilans des années précédentes. Vouloir en mettant la totalité du concours en fin de première année en revenir à la situation successive qui prévalait de 1992 à 2008 obère le fonctionnement futur des ESPE et la redéfinition nécessaire du métier enseignant.
En effet, un concours en fin de première année tourné vers les savoirs disciplinaires, laisse , certes, toute sa place aux UFR des universités, mais ne répond pas à l’enjeu que représente pour le jeune qui se destine au métier enseignant, la connaissance de toutes les composantes de ce métier. La place des concours de recrutement dans le cursus et leurs contenus est décisive. Ne pas en tenir compte, ou s’en désintéresser comme semble le montrer le débat en commission à l’Assemblée Nationale sur la loi de refondation est lourd de conséquences.
Il m’apparaît indispensable que dans les compétences évaluées lors du concours, figure explicitement qu’enseigner en école, collège, lycée, général, technologique, professionnel , c’est appartenir à un système éducatif, service public, accueillant tous les jeunes dans leurs diversités, y compris leur situation de handicap, qui est aujourd’hui organisée selon un certain nombre de principes dont le partenariat et le travail avec les parents d’élèves, porteur de valeurs que le jeune aura à s’approprier tout au long de son cursus comme la laïcité, le refus des discriminations, l’égalité hommes-femmes……
Répondre aux défis
Ne pas aborder ces questions lors des concours de recrutement et ne les laisser que lors de l’année d’alternance des stagiaires, c’est alors que l’inverse est une nécessité absolue, risquer que le futur enseignant ainsi recruté se replie sur sa ou ses disciplines… Professionnaliser, c’est permettre aux exigences des concours de recrutement de s’inscrire dans l’ensemble des composantes du métier enseignant. En oublier certaines, pourrait avoir des conséquences considérables dans une période où il est indispensable de réfléchir sur les composantes de ce métier.
Répondre à ces défis , c’est permettre à l’enseignant de comprendre :
– que les savoirs scolaires, les programmes ne sont pas la simple transposition des savoirs académiques universitaires, mais une recomposition de ces savoirs avec leurs finalités propres ;
– que le métier enseignant n’est pas un métier solitaire dans la classe, mais nécessite un travail d’équipe dans le cadre d’un établissement scolaire ;
– que la connaissance des programmes, des attentes des niveaux inférieurs et supérieurs à celui où l’on va enseigner est indispensable pour bien accomplir sa mission de faire réussir tous les élèves.
Une proposition qui tourne le dos à la refondation
La proposition qui semble devoir être retenue d’un M1, essentiellement à l’Université, validé et piloté par les concours de recrutement et les savoirs académiques…et d’un M2 après réussite au concours, où l’on découvrirait les élèves, les relations avec les familles, la partenariat, l’organisation du système éducatif, les valeurs de la République…. tourne le dos à une véritable refondation de l’Ecole et peut ne pas améliorer la situation de notre système éducatif.
Il semblerait même que sous la pression de certains universitaires et de certains lobbys , une épreuve existant aujourd’hui à l’oral comme « Agir en fonctionnaire ….» portant sur la connaissance du système éducatif et ses enjeux serait supprimée des épreuves orales du concours !!!!
Comment faire comprendre à l’enseignant qu’un certain nombre d’approches généralistes sont fondamentales alors qu’elles n’auront pas été présentes dans les contenus des concours enseignants.
La question des concertations professionnelles , du travail en équipe apparaît comme un élément important de la formation pour permettre à l’ enseignant d’être un acteur, un concepteur des projets d’école, d’établissements, des projets partenariaux et non un simple exécutant.
Faire cours ou faire classe ?
Derrière la logique mise en œuvre par ces projets de textes, il y a un métier enseignant qui se définit comme « faire cours » alors que tout démontre qu’enseigner, c’est « faire classe ».
Faire cours, c’est donner à penser qu’enseigner un savoir, ne nécessite pas de réfléchir sur ceux à qui on l’enseigne.
Faire classe, c’est considérer que le cœur du métier d’enseignant, c’est transmettre des savoirs et mettre en apprentissage des élèves en faisant dans la classe des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques permettant de viser la réussite de tous et de chacun.
L’épreuve de « leçon modèle » hors de tout contexte de classe ne pourrait que le conforter la représentation du métier enseignant comme exclusivement « faire cours ». L’étudiant se retrouvera dans cette épreuve devant des examinateurs qui lui ressembleront et il croira s’il est reçu qu’il sait exercer le métier enseignant.
Le risque existe donc que le jeune enseignant reçu au concours lorsqu’il rencontrera des élèves qui ne lui ressembleront pas et qu’il se trouvera en difficulté pensera que cela vient des élèves et non de ses insuffisances en terme d’approches didactiques et pédagogiques pour gérer efficacement la classe.
Un concours en deux temps
Il y a pourtant pour ne pas opposer connaissances disciplinaires, connaissance des valeurs de l’institution et son fonctionnement, gestes professionnels, des solutions de bon sens qui pourraient être retenues. Un écrit des concours en début de M1, voire même si cela apparaît pour certaines disciplines plus justifié est une bonne solution prônée par de nombreuses associations. L’oral du concours ayant lieu, lui en fin de M2 avec des épreuves liées au stage, à la connaissance du système éducatif, aux valeurs portées par l’école et à leurs pratiques.
Qu’on ne dise pas que cette solution est impraticable. C’est celle qui est retenue pour le concours 2013-2 ( écrit en juin 2013 ; oral en juin 2014). Pérenniser cette solution m’apparaît bien meilleur que de mettre la totalité du concours en fin de M1. Si ce choix était maintenu. ;il ne sert à rien d’accroître ici ou là le cahier des charges concernant les domaines où former l’enseignant. Tout ce qui n’aura pas été susceptible de faire l’objet d’une évaluation lors des concours de recrutement lui apparaîtra de fait comme superfétatoire.
Si « enseigner est un métier », alors, c’est dès les concours que l’enseignant doit connaître quelles seront les composantes, les gestes et les postures professionnels indispensables à l’accomplissement de ses missions.
Jean-Louis Auduc
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