Par François Jarraud
Le mal qui ronge la société française c’est la défiance. Et son origine est à chercher dans l’école française. C’est la thèse défendue par Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg (Sciences Po) dans « La fabrique de la défiance ». L’ouvrage fait le lien entre le type d’école que la France a choisi, les résultats du système éducatif, les difficultés de développement économique et la crise politique. La thèse est fort bien documentée. Et elle invite à recréer du lien social.
« La défiance est au coeur de notre mal. Elle détruit inexorablement notre lien social…. Elle résulte d’un cercle vicieux qui nous distingue des autres pays. Le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’Etat ». Pour les auteurs le mal français, celui qui nous empêche d’avancer, a sa source dans l’école. La thèse est osée. Mais elle est aussi très bien documentée par les auteurs qui s’appuient sur plusieurs études internationales.
Ainsi ils montrent la singularité des méthodes pédagogiques françaises à l’intérieur de l’OCDE. CE qui distingue les jeunes Français c’est qu’ils passent leur temps à l’école à se taire et à gratter. Les enquêtes TIMSS et CIVED, sur des jeunes de 15 ans, montrent que 56% des élèves français déclarent passer « tout le temps » à noter, ce qui nous classe 3ème parmi les pays de l’OCDE. 72% de travaillent jamais en groupe. La majorité des élèves dans PISA déclarent que le professeur ne donne jamais la parole. Ces trois caractères dessinent une école « verticale » pour les auteurs. « Les enfants confrontés à un enseignement vertical croient moins en la coopération entre élèves… Ils déclarent plus souvent ne pas être évalués à leur juste valeur », ce qui est justement le cas d’un tiers des jeunes français. Ce sentiment d’injustice est d’autant plus fort que l’évaluation est omniprésente et dessine le destin scolaire du jeune. Avec à la clé, une autre spécialité française : le redoublement qui en France prend une importance singulière.
Ces méthodes ont des conséquences sur les résultats scolaires. Cette école où tout tombe d’en haut forme des élèves incapables d’initiative, perdus dès qu’il faut faire preuve d’autonomie et de confiance en soi. Là encore PISA a identifié ces points faibles qui expliquent le score médiocre de l’école française. A plus long terme, pour les auteurs, cette école installe « l’obsession hiérarchique » tout au long de la vie professionnelle. Le salarié français se méfie plus que les autres de ses collègues. Il est moins autonomes. Pour les auteurs on a là un réel handicap pour le développement économique, une sorte de taxe que l’on s’impose soi -même.
L’école à la française serait donc responsable d’une certaine inadaptation au monde moderne et du déclin français. Ils ne disent pas comment changer l’école. Mais on retrouve dans la loi de refondation des points qui font écho aux préoccupations des auteurs. Et c’est bien la défiance bien installée qui se dresse sur la route de la refondation. A ce titre, ce petit livre, facile à lire, apporte un éclairage précieux sur la société française et sur son rapport difficile avec la modernité.
Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg, La fabrique de la défiance. Et comment s’en sortir, Albin Michel, 2012, 183 p.
Le site web du livre avec documents complémentaires
http://www.sciencespo.fr/lafabriquedelaconfiance/
Par Gilbert Longhi
Le déficit de considération au détriment des élèves résulte souvent d’une kyrielle d’usages ne paraissant pas prêter à conséquence. Voici des exemples extraits des travaux de l’Observatoire déontologique de l’enseignement (1).
· Lycée Emile Flamand …Les demi-pensionnaires patientent pour entrer au réfectoire tandis que les profs empruntent un raccourci qui les dispense de la longue file d’attente dans le froid, le vent et la pluie. Parfois lorsqu’un des enseignants passe devant tous les élèves quelques uns goguenards manifestent leur désapprobation. À la queue, à la queue ! Aujourd’hui un lycéen de seconde s’est fait épingler : un professeur indigné l’a prié de décliner son matricule afin de le coller. Et le professeur explique que l’on doit accepter que les enseignants passent devant tout le monde parce qu’il y des raisons à cela …
· École maternelle du Faubourg Saint-Jean… Par grand beau temps, les huit platanes de la cour de récré font une ombre centenaire réservée aux voitures des dames de service et des enseignantes… Les élèves passent leur récréation entre les véhicules avec interdiction de circuler en patinettes ou même de courir car ils risqueraient de rayer les carrosseries…
· Collège Antoine de Saint-Exupéry… Emma a trouvé une astuce pour utiliser des toilettes toujours impeccables ; elle va au premier dans des WC réservés au personnel. Le nettoyage est fait deux fois par jour et ça sent le propre alors que les toilettes des élèves sont puantes, bouchées, sans papier hygiénique et avec des portes qui ne ferment pas.
· Les enseignants discutent entre eux (2) et à voix haute pendant la récréation : « Éric m’a encore complètement raté son contrôle de maths. Sa collègue : Oh ! Tu sais, sa sœur, ce n’est pas mieux, elle n’a pas su compter une seule opération… Cette famille, il n’y a rien à en tirer… »
Les jeunes français sont les champions du désamour de l’école. Lors de l’enquête menée par l’Organisation mondiale de la santé au printemps 2004, dans une quarantaine de pays, les enfants de onze à quinze ans, pouvaient choisir entre deux items : J’aime beaucoup l’école et Je n’aime pas du tout l’école. En France, 87% des garçons et 79% des filles, âgés de treize à quinze ans, n’aiment pas l’école (3) .
L’école, un univers pédophobe
À quelques exceptions près (4) l’établissement scolaire est un univers pédophobe (5). Peu d’éléments, dans sa marche quotidienne (horaires, aménagement de l’espace, règle de vie…) y sont pensés à l’aune de l’enfance ou de l’adolescence, considérées comme des périodes spécifiques du développent de l’être humain. Les tenants d’une pédagogie de la confiance dénoncent les aspects les plus incohérents de l’organisation des établissements ; leurs adversaires considèrent que l’école doit apprendre l’inconfort et l’adversité aux élèves pour les préparer à la vraie vie.
Dans le même ordre d’idée, Jacques Pain (6) s’intéresse à une maltraitance scolaire structurelle en notant que les établissements ignorent la parole des élèves tout en développant une vie interne déficitaire en relation et en humanité. Cette tendance prégnante faite d’agissements aussi bien que de refus d’agir et de négligences se manifeste de deux manières. D’une part, sous une forme extrêmisée avec des atteintes physiques et verbales couvertes par l’indifférence, l’incompétence ou le fatalisme des adultes ; d’autre part, sous une forme insidieuse avec des pratiques inconséquentes et délétères au niveau de l’accueil, de l’écoute des élèves, de la pédagogie et plus généralement de la prise en compte des problèmes de la vie collective. En l’occurrence, dans la plupart des établissements, on peut repérer des avatars de la maltraitance institutionnelle, ni une violence actée, ni brusquerie factuelle, mais dérèglement institutionnel polymorphe…
Premier conseil : Instituer un moratoire
Le dossier scolaire sert souvent à transformer passé scolaire d’un élève en passif. À période régulière, toute situation scolaire individuelle devrait être amnistiée (concernant le niveau, l’orientation et le comportement…). Ainsi, des rajustements deviendraient possibles pour éviter que l’affectation forcée dans une voie (une option) ne se transforme en fiasco (voire en souffrance).
Deuxième conseil : Neutraliser les archaïsmes de la notation (évaluation)
Selon les travaux d’André Antibi (7), les enseignants se sentent obligés inconsciemment de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. Il faut éradiquer cette constante macabre. Par ailleurs, les conseils de classes peuvent cesser d’être des instances rituelles ou des psychodrames pour devenir des bilans de progrès assignant des objectifs réalistes propres à chaque élève.
Troisième conseil : Majorer le rêve sans créer d’illusion.
Un élève qui est en difficulté intériorise une dépréciation qui contracte son avenir. Ainsi, les collégiens peu brillants intègrent-ils l’idée qu’ils seront orientés contre leur gré le cas échéant dans des filières sans réputation. Or, une action éducative digne de ce nom devrait faire l’inverse en élargissant les projets et donnant la possibilité d’amplifier les rêves des adolescents notamment pour les moins enclins à nourrir une ambition.
Quatrième conseil : Réduire l’obnubilation entrepreneuriale.
Lorsqu’un élève est en difficulté, on lui propose la voie professionnelle (8) . Si en plus il paraît allergique aux études on lui conseille un CFA. Or il est possible d’utiliser les avantages de l’alternance sans le risque d’imposer un métier non choisi. Il suffit de mettre en place un va-et-vient ne reposant plus sur une professionnalisation mais sur des activités de création et d’ouverture à autrui : musique, sport, théâtre, action sociale…
Cinquième conseil : Modérer l’ethnicisation
La carte scolaire consiste à faire dépendre l’affectation des élèves de leur domicile. Dans certains quartiers, ce procédé induit une ghettoïsation des établissements. Compte tenu de la composition des catégories défavorisées, ce phénomène se double parfois d’une ethnicisation (9) qui génère une forme d’inappétence scolaire spécifique liée à l’impression qu’ont certains adolescents d’être victimes d’une racialisation instituant une corrélation entre leurs origines et des filières ou des établissements dépréciés.
Sixième conseil : Générer une quiétude institutionnelle
Dans chaque famille, durant une vingtaine d’années, les multiples politiques éducatives ont institué une imprévisibilité quant au cursus personnel d’un enfant. Le système scolaire finit par projeter sur la société plus d’incertitudes que de repères. Les ministres de l’éducation devraient s’astreindre à prendre les seules décisions constituant un avantage pour la sérénité des élèves sans aucune concession.
Septième conseil : Établir des procédures de repérage du déficit de bienveillance
Tout projet d’établissement devrait comprendre un axe fixant des objectifs sur la qualité de vie des élèves et permettre aux élèves eux-mêmes d’évaluer le niveau de bienveillance à leur égard. Les conseils d’administration et les conseils d’école devraient pouvoir fixer les marges de progrès que les adultes d’un établissement auraient à combler pour un accroissement de la bienveillance scolaire. Dans le secondaire, l’évaluation (classement) des lycées devrait introduire un quatrième indicateur intégrant la notion de qualité de vie des élèves. (Indicateur identique à créer pour les collèges).
Huitième conseil : Perfectionner l’architectonique et améliorer les équipements
De multiples locaux scolaires engendrent un inconfort patent et imposent des aberrations ergonomiques. Certains manquent parfois d’hygiène en raison d’un défaut d’entretien et de maintenance. Les équipements pédagogiques sont de temps à autre désuets ou inefficaces. Globalement, les établissements restent panoptiques. L’espace y est distribué moins pour convenir aux élèves qu’aux adultes.
Neuvième conseil : Contenir les pratiques discrétionnaires
La plupart des établissements neutralisent l’expression des élèves. Les délégués de classe sont transformés en Missi Dominici de l’administration et du professeur principal. On observe couramment une hypertrophie de la parole des adultes. La direction peut instaurer des manipulations (par exemple : obtenir la démission un élève pour éviter un débat contradictoire en conseil de discipline). Les adultes d’un établissement fonctionnent fréquemment en caste bureaucratique opposée aux élèves.
Dernier conseil : Garantir une instruction authentique
Les enseignements prennent couramment du retard sur les savoirs disponibles. Les pédagogies ne font pas toujours appel à l’intelligence des élèves. L’enseignement prodigué est souvent inerte (didactiques obsolètes, méthodes dolosives, cours empruntés, photocopillage passif, bachotage…).
Gilbert Longhi
Notes :
1- http://deontoenseignement.blogspot.com / & observe.enseignement @gmx.fr L’ODE est un cercle d’études regroupant des chercheurs en psychopédagogie et des cadres du système éducatif prônant un déontologie de l’enseignement par analogie au code de déontologie de la médecine.
2- Alain Dupré Inspecteur de l’éducation nationale (IEN) dans l’Ain.
http://instits.org/index.php?page=violence
3- http://blogs.mediapart.fr/blog/etoile66/090908/les-enfants-fra[…] …
En France, 7.154 élèves de 11 à 15 ans ont répondu à un questionnaire anonyme. Enquête : Health Behaviour in school-aged children
4- Dans des maternelles notamment, est dans ce qu’il est convenu d’appeler les écoles différentes ou expérimentales…
5- Pour cette notion Cf. Stefano Molina è dirigente di ricerca presso la Fondazione Giovanni Agnelli di Torino, dove lavora dal 1988. Stefano Molina, utilise le terme dans le domaine démographique… malgré les apparences, l’Italie a une société pédophobe : rien, dans son tissu urbain ou ses services publics, n’y est pensé en fonction des enfants, considérés comme bien mignons, mais relevant de la sphère privée…
http://www.fga.it/fileadmin/storico/1024-1/CN2877.htm
http://www.telerama.fr/monde/au-revoir-les-enfants,76359.php http://www.neodemos.it/index.php?file=autore&id=104 .
6- Jacques Pain professeur de Sciences de l’éducation. Octobre 2002. http://probo.free.fr/textes_amis/violence_institutionnelle_j_pain.pdf. Jacques Pain est professeur émérite de Sciences de l’Éducation à l’université de Paris Ouest la défense, Nanterre. Spécialisé en pédagogie et intervention institutionnelles, violences à l’école et dans les institutions.
7- Cf. les travaux d’André Antibi, Professeur à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, où il dirige le laboratoire de didactique. André Antibi est l’auteur de « La constante macabre » paru en 2003 (Math’adore-Nathan). Déjà 30 000 professeurs mettraient en pratique le système d’évaluation par contrat de confiance préconisé dans son ouvrage.
8- On note un contraste important entre les élèves effectuant leur scolarité au lycée général à ceux qui connaissent une orientation en filière professionnelle, avec des fins d’études très rapides ou des études courtes de type CAP ou BEP ». Les différentes trajectoires scolaires sont déterminées par les profils socioéconomiques. En l’occurrence, les élèves ayant des caractéristiques sociales favorables aux études accomplissent une scolarité conventionnelle. Même si les filières professionnelles, semblent avoir un effet protecteur, ce sont les jeunes qui ont suivi les trajectoires scolaires les plus classiques qui ont le taux de chômage le plus faible et les trajectoires professionnelles les plus stables… L’AEF Dépêche n°158954 Paris, jeudi 1 décembre 2011. Insee (Article « Être sans diplôme aujourd’hui en France : quelles caractéristiques, quel parcours et quel destin ? » Revue « Économie et statistique », publiée le 1er décembre 2011.
9- Concentration dans une filière d’élèves ayant les mêmes origines raciales.
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