Samedi 6 avril à Saint-Denis (93), le GFEN organise, en partenariat avec le Café pédagogique, les 6èmes Rencontres sur l’Accompagnement du GFEN. Alors que le ministère réforme l’organisation du travail des enseignants, arrête l’aide personnalisée et met en place le « plus de maitres que de classes », le GFEN veut « penser l’aide au coeur des apprentissages ». Face au « millefeuilles » des dispositifs d’aide aux élèves en difficultés et aux « noeuds du savoir », Jacques Bernardin, président du GFEN, donne sa vision de ces rencontres.
Ce sont les sixièmes rencontres sur l’aide du GFEN. Si on fait le tour des intitulés de chacune des rencontres, les thèmes abordés sont riches. Pourquoi ces rencontres ? Pouvez-vous nous en rappeler rapidement l’historique ?
L’idée de ces Rencontres naît comme réponse critique et prospective du GFEN à une politique éducative qui ne cessait d’externaliser la difficulté scolaire : après l’inflation des PRE, PPRE et des classes relais, en 2007 l’accompagnement éducatif est mis en place dans les collèges de l’éducation prioritaire et en 2008, l’aide personnalisée est imposée au prix d’une réduction de l’enseignement commun à 24h par semaine dans l’école primaire. Habilement vendue à l’opinion publique et notamment aux parents comme un mieux pour leurs enfants, et rebondissant sur une demande récurrente des enseignants de pouvoir s’adresser plus spécifiquement aux élèves rencontrant des difficultés, l’aide personnalisée apparaissait à beaucoup comme une bonne chose. Ce fut le déclencheur.
Sans présupposer que cette initiative rencontrerait un tel écho et serait reconduite, nous avons voulu à l’époque – en lien avec d’autres mouvements et associations (OZP, Ligue de l’Enseignement, CEMEA, Francas, PEP, CRAP, ICEM, FNAREN, SNUipp, FCPE Paris) et avec le soutien du Café pédagogique – provoquer un large débat sur la question de l’aide, dans et hors l’Ecole. La formule « L’aide, comment faire… pour qu’ils s’en passent ? » interrogeait autant les acteurs de l’accompagnement à la scolarité que ceux des divers dispositifs scolaires. Que vaut l’aide si elle ne change rien sur le fond, si elle renforce la dépendance ? Combien de dispositifs faudra-t-il cumuler avant d’interroger l’ordinaire scolaire en amont ? Les difficultés scolaires, pour une large part, relèvent-elles de l’extra-ordinaire ou de l’ordinaire de la classe ?
2013, changement de politique… sont à l’ordre du jour l’organisation de l’école, la formation des enseignants, entre autres chantiers de la loi pour la refondation de l’Ecole. On a l’impression que le GFEN, avec d’autres associations sans doute, peut donner à voir en toute sérénité ses convictions sur l’éducation. On ne tourne plus autour de la question qui paraît centrale, on « attaque » le problème de fond. Quand le GFEN affirme « Penser l’aide au coeur des apprentissages », cela signifie-t-il repenser la façon d’enseigner pour que les élèves apprennent mieux ? Que les enseignants comprennent le rapport aux savoirs des élèves, leur entrée dans les apprentissages, les difficultés inhérentes aux savoirs eux-mêmes ?…
En effet, tout comme la motivation est moins à attendre qu’à construire, il s’agit de considérer que la difficulté et les erreurs sont inhérentes à tout apprentissage. Plus on les anticipe, mieux on peut y parer : l’analyse des difficultés récurrentes des élèves comme l’interrogation de l’histoire constitutive des savoirs sont des outils précieux à cet égard. Si cela permet de prévoir une situation initiale pertinente et les étapes pour faire progresser la compréhension, reste la délicate question de la conduite de l’activité. De la façon d’amorcer la séance à la manière de la gérer pour développer l’attention à l’égard de son objet central, jusqu’à sa phase conclusive visant une maîtrise partagée, il existe bien des manières de faire. Selon de récentes recherches, toutes ne sont pas également propices à la réussite des élèves.
Cela va permettre d’expliciter ce qui fait la spécificité du GFEN par rapport à d’autres mouvements pédagogiques ?
Nous ne sommes pas indifférents au bien-être des élèves, à l’organisation de la classe et aux rapports humains qui s’y tissent, ainsi qu’à la pédagogie du projet qui finalise les activités. Mais si l’on souhaite œuvrer à l’émancipation intellectuelle des élèves, il nous semble tout aussi important de ne pas négliger les contenus et leur mode d’appropriation.
Notamment à l’égard des élèves qui nous préoccupent – mais cela vaut pour tous – les savoirs sont à travailler comme outils de résolution de problèmes, inventions opératoires conjuguant créativité, examen critique et construction solidaire, outils témoins de l’intelligence humaine face aux défis du réel. Viser une compréhension partagée, bien sûr, mais aussi contribuer ainsi à une autre perception du savoir et de sa valeur émancipatrice : véritable changement de rapport à la culture. Avec de telles pratiques – auprès d’enfants, d’adolescents ou d’adultes peu qualifiés – nous constatons que la conquête d’un savoir génère de la jubilation et de la fierté, nourrit l’estime de soi tout en développant la solidarité dans l’espace d’apprentissage. Le tout alimente la dynamique de progrès, invitant chacun au dépassement.
Quel est le positionnement du GFEN dans la réflexion actuelle sur la formation des enseignants?
Au niveau des contenus de formation, on ne peut éviter le travail exigeant sur la conception et la conduite des situations d’apprentissage, éclairé par l’épistémologie des disciplines, mais la formation gagnerait à échapper à une didactisation étroite. Démocratiser l’accès aux objets culturels exige de sortir d’une vision « ethnocentrée », de comprendre les logiques sociales pouvant rendre compte du comportement des élèves à l’école. Par ailleurs, l’éducateur ne saurait oublier les visées éducatives plus larges : derrière l’appropriation des contenus, c’est le développement de chacun des jeunes qui est en jeu, ainsi que l’initiation à des valeurs, à une manière d’être au monde et aux autres. On l’oublie parfois…
Au niveau des modalités, avant de pouvoir en imaginer pour leurs élèves, les futurs enseignants ont besoin de vivre eux-mêmes des situations d’apprentissage, d’en éprouver les caractéristiques : déstabilisation des certitudes, crainte de ne pouvoir y arriver, relance grâce à l’inventivité et à l’interaction avec les pairs, déplacement de la façon de saisir le problème, rôle clé de la formalisation permettant de comprendre ce qui était au principe de la situation au-delà de son habillage. La formation devrait également et de façon plus systématique initier au travail d’équipe : conception de séances et de projets, retours réflexifs pour analyse et régulation, apports théoriques en situation, stratégie conjointe à l’échelle de l’établissement à l’égard des élèves, place faite aux parents, aux autres partenaires, etc.
En 6 ans, vous avez reçu le soutien de chercheurs reconnus et bien connus des lecteurs du Café : Elisabeth Bautier, Yves Reuter, Stéphane Bonnéry, Pierre Périer. En 2009, vous avez réussi à mobiliser en deux jours Bruno Suchaut, Serge Boimare, Yves Clot, Jean-Yves Rochex et Philippe Meirieu. C’est la grande force du mouvement ?
Il s’agit d’« éclairer l’action par la pensée, de vivifier la pensée par l’action » disait H. Wallon. Cela reste vrai, tant l’Education nouvelle ne peut véritablement rester nouvelle qu’en étant en phase avec les besoins de son époque tout en restant ouverte aux nouvelles connaissances. La recherche prend distance, produit des outils d’intelligibilité, éclaire tel segment de la réalité ou propose de renouveler notre grille de lecture. Mais la recherche d’une part se refuse à prescrire (question de posture autant que de prudence scientifique), d’autre part est débordée par la complexité du réel. De leur côté, les praticiens sont dans une logique d’action qui parfois les aveugle : le pas de côté est toujours salutaire. Au GFEN, nous ne cessons d’élaborer des problématiques et des pratiques dans cet apport réciproque : ainsi, les travaux sur le rapport au savoir nous ont éclairés sur les postures des élèves, sans pour autant aller au-delà d’orientations souhaitables. Or nos ateliers et démarches, élaborées antérieurement ou en parallèle offrent de belles opportunités de transformation dans les classes. Cela vaut dans le sens inverse : il arrive aussi que nous soyons prospecteurs de nouvelles pistes de recherche, lors du travail de formalisation des pratiques.
Venons-en à la déclinaison 2013 de ces rencontres. Quels objectifs cette année ?
Après avoir depuis 2007 plaidé cette cause, vient le moment d’interroger le cœur des situations d’apprentissage. Nous avons sollicité des didacticiens des apprentissages fondamentaux (Roland Charnay, Roland Goigoux, Dominique Bucheton), qui travaillent tous avec des classes, cherchent à comprendre la nature des difficultés des élèves et sont préoccupés par la formation des enseignants. Comme les années passées, leurs interventions croiseront des ateliers de pratiques, supports de réflexion sur les facteurs déterminants d’une réussite élargie.
Pour quels publics ?
Si le thème apparaît cette année davantage centré sur les pratiques enseignantes, les contenus développés tant lors des ateliers que des interventions n’intéresseront pas moins l’ensemble des acteurs éducatifs : l’étayage des apprentissages fondamentaux est au centre des préoccupations des acteurs de l’accompagnement et de la lutte contre l’illettrisme. Les responsables des associations et des collectivités locales n’y sont pas non plus indifférents.
Propos recueillis par Isabelle Lardon
Les Rencontres ont lieu samedi 6 avril 2013 à partir de 8h30 à l’IUT de la Halle Montjoie – 3-7 rue de la Croix Faron à SAINT-DENIS