Tout le monde connait la thèse de Bourdieu et Passeron : l’Ecole serait l’outil principal de la reproduction sociale. C4est elle qui ferait le tri entre les jeunes, réservant les filières « nobles » aux enfants des familles favorisées et aiguillant les enfants des familles populaires vers les filières de relégation. Et bien ce n’est pas aussi simple que cela, affirme la sociologue Marie Duru Bellat dans un article publié dans Education comparée. S’il y a bien reproduction sociale, l’Ecole n’y joue pas forcément la première place.
Les verdicts scolaires construisent-ils toujours et partout la destinée sociale ? En France on est tenté de répondre globalement « oui ». Depuis la thèse de Bourdieu et Passeron (1970), le rôle central de l’Ecole dans la reproduction des élites sociales fait partie des idées communément acquises sur l’Ecole. Elle pèse sur la représentation que les enseignants se font de leur métier. Ils s’acharnent à défendre l’idée de méritocratie républicaine alors que l’image du gendarme social les hante.
Consacré aux « coulisses des évaluations internationales », le numéro 7 d’Education comparée publie un article de Marie Duru-Bellat qui invite à utiliser les données internationales pour vérifier l’efficacité de cette thèse. Si l’école joue partout le rôle de tri social, est-ce partout avec la même intensité ? se demande la sociologue. Pour elle, le lien entre inégalités scolaires et sociales en amont et entre inégalités scolaires et positions sociales en aval est postulé par Bourdieu mais pas démontré.
Elle invite à y aller voir de plus prêt en introduisant deux indicateurs nouveaux. Le premier c’est l’emprise : ce qu’apporte un diplôme en terme de gain social pour son détenteur. M Duru-Bellat peut s’appuyer sur des données de Pisa qui évaluent précisément par exemple le gain en terme de revenu pour un détenteur de diplôme supérieur par rapport à un sans diplôme ou à un bachelier. Le second indicateur est construit par M Duru-Bellat pour seulement 12 pays. Il mesure la ressemblance entre le revenu des parents et des enfants. C’est un indicateur de reproduction sociale.
Or ce que constate M Duru-Bellat c’est que les situations varient beaucoup d’un pays à l’autre. Ainsi en Allemagne, le système scolaire est très inégalitaire mais la reproduction sociale est modéré malgré une emprise des diplômes assez forte grâce au système de formation professionnelle. La société est plus juste que l’école. En Australie, au Canada ou au Danemark, l’emprise de l’école est beaucoup plus faible et la reproduction peu marquée. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il y a à la fois une forte emprise des diplômes et une forte inégalité sociale. Dans l’Europe du sud, l’école est plus égalitaire mais les inégalités sociales fortes.
Pour Marie Duru-Bellat, « l’école n’est donc pas l’agent hégémonique et total de la reproduction et on ne peut comprendre celle-ci en se cantonnant au monde scolaire. De fait la reproduction sociale dépend plus de l’emprise scolaire que des inégalités scolaires ».
François Jarraud
Des coulisses des évaluations internationales à leur influence, Education comparée, vol 7, 2012.