» Pas plus qu’il viendrait à l’idée d’obliger un enfant sur fauteuil roulant à monter un escalier, il n’est possible de demander à un enfant présentant un handicap mental de recevoir un enseignement qui n’est pas adapté à ses besoins. L’école que nous appelons de nos vœux doit être accessible à tous. » Jean Paul Champeaux, directeur de Trisomie France, et Serge Thomazet, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, demandent que la refondation soit l’occasion de construire une école qui s’ouvre réellement aux enfants handicapés.
Nous sommes nombreux à nous féliciter de la réflexion de grande ampleur menée actuellement sur l’école, réflexion qui doit déboucher sur une loi fondatrice. Nous avons en effet de nombreuses raisons pour souhaiter une évolution de notre école pour la rendre plus juste, et plus ouverte. La lutte contre les inégalités scolaires ne date pas d’hier. C’est en 1975 que l’école s’ouvrait au handicap et en 1981 qu’Alain Savary créait les ZEP (Zones d’Education Prioritaire). Ainsi, depuis plus de 30 ans, des efforts et de l’argent ont été investis sans parvenir toutefois à une situation satisfaisante. En effet, les dispositifs mis en œuvre ont été construits « en périphérie » de l’école (services d’accompagnement, classes spéciales), sans transformation véritable de l’école. La « refondation de l’école » se doit de conduire à une mutation en profondeur de l’école.
En 2012, lors de la campagne pour l’élection du Président de la République, le candidat François Hollande, a pris l’engagement de faire du handicap une préoccupation générale de l’action du gouvernement. Le 4 septembre dernier, le Premier Ministre demande par circulaire à ses ministres de prendre en compte le handicap « dans les politiques publiques qu’ils sont amenés à conduire », notamment pour la préparation des projets de loi à venir (JORF n°0206 du 5 septembre 2012 page 14345). En prenant cette initiative, le gouvernement répond à la demande des personnes handicapées et de leurs familles. Il signifie que le handicap ne peut être traité à part : il devient un sujet transversal des politiques publiques. Nous attendons donc de la future loi de rénovation de l’école qu’elle intègre dans la loi ordinaire, les dispositifs en direction des élèves à besoins particuliers.
C’est une question de droit, c’est aussi une question de pertinence. En effet, les dispositions attendues, déjà prévues dans la loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » ont conduit à la mise en place d’une politique « d’école inclusive ». Cette politique est également clairement inscrite dans les textes internationaux que la France a signés. Il ne s’agit donc plus de demander aux enfants handicapés de s’adapter à l’école, mais bien de rendre celle-ci accessible. La mise en accessibilité des locaux avance, la difficulté est maintenant de permettre aux enfants, adolescents et jeunes adultes d’accéder à l’école, même si leurs capacités cognitives sont a-priori réduites. Pas plus qu’il viendrait à l’idée d’obliger un enfant sur fauteuil roulant à monter un escalier, il n’est possible de demander à un enfant présentant un handicap mental de recevoir un enseignement qui n’est pas adapté à ses besoins. L’école que nous appelons de nos vœux doit être accessible à tous. Parce que l’on apprend avec les autres et parce qu’en apprenant avec les autres on développe à la fois des compétences et une culture commune, de nombreux acteurs de la scolarisation et notamment les parents d’enfants en situation de handicap ont fait de l’accès à l’école ordinaire un axe fort de leur action.
Depuis 1975, pour répondre à la demande légitime des parents, les Ministres qui se sont succédés rue de Grenelle ont superposé des dispositifs et moyens spécifiques, héritiers de l’éducation spécialisée : accompagnements spécifiques (Auxiliaires de Vie Scolaire), commissions spécifiques, enseignants spécialisés, dispositifs adaptés, projets formalisés (Projet Personnalisé de Scolarisation )… Aujourd’hui, au-delà de l’affirmation qui date en droit de la loi de 1882 (loi dite Jules Ferry), les enfants et adolescents en situation de handicap ont gagné le droit d’être effectivement des élèves : personne ne refuserait ouvertement l’accès à l’école à un élève sous prétexte qu’il est porteur de trisomie 21 ou d’un autre handicap. Pourtant, L’effort d’adaptation est demandé d’une part aux enfants, qui doivent s’accommoder d’une école qui ne correspond pas à leurs besoins et aux enseignants, qui se retrouvent souvent dans des situations impossibles, enjoints d’accueillir dans leur classe des élèves aux besoins toujours plus hétérogènes, sans avoir reçu de réelle formation pour gérer cette hétérogénéité.
La « rénovation en profondeur », ne peut se résumer à renforcer les dispositifs existants, qui ont atteints leurs limites ou à ajouter un dispositif spécifique supplémentaire, sur une pile toujours plus fragile qui menace de s’écrouler. Pour donner un exemple, la question des rythmes scolaires, largement discutée actuellement, est fondamentale pour scolariser efficacement un jeune handicapé ou en grande difficulté. Les travaux de recherche montrent que, lorsque les apprentissages sont plus difficiles, ils sont aussi plus lents, entrainent un surcroît de fatigue, ainsi l’organisation de la journée scolaire s’avère d’une importance déterminante, de même que la durée des temps d’enseignement. Les enjeux sont majeurs pour notre école… bien au-delà de la question des zones de vacances… Prenons également le Projet Personnalisé de Scolarisation. La loi de 2005 a prévu l’obligation d’en rédiger un pour chaque enfant en situation de handicap. Participent à l’élaboration de ce projet les parents, l’enseignant, les autres acteurs de la scolarisation. On ne formalise pas de tels projets pour tous les élèves. Les parents d’enfants en situation de handicap ont donc le sentiment que cette procédure stigmatise leur enfant : il n’est pas traité comme les autres. La généralisation de cette démarche partenariale de projet pour tous les élèves serait intéressante à bien des égards et relèverait non seulement de l’égalité de traitement, mais constituerait de plus un signal fort de l’ouverture de l’école, de son adaptation aux besoins de chacun. Parce que leurs parents ont eu hier une pugnacité peu ordinaire et ont rencontré des professionnels de l’enseignement et de l’accompagnement engagés, aujourd’hui de jeunes adultes porteurs de la trisomie 21, handicap emblématique, font des choix citoyens, accèdent au monde de l’entreprise, à un logement autonome.
Pour préparer demain, nous attendons une loi ambitieuse, une loi qui mettra en œuvre la prise en compte de tous les élèves, et ce quelques soient leur milieu socio économique, leurs besoins et leurs compétences (même a minima), leurs potentialités. Nous voulons une école de République capable de s’adapter à chacun pour devenir effectivement l’école de tous.
Jean Paul Champeaux, directeur de Trisomie France. Trisomie 21 France regroupe 63 Associations départementales Trisomie 21 sur l’ensemble du territoire français.
Serge Thomazet, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, sciences de l’éducation.