Par Frédérique yvetot
Jeudi 13 décembre, à la Gaïté Lyrique, Vincent Peillon, le ministre de l’éducation nationale a présenté sa stratégie pour « Faire entrer l’école dans l’ère numérique ». Le changement porte notamment sur l’éducation aux médias et à l’information, éducation qui, selon lui, conditionne l’accès à tous les autres savoirs. Il faut « repenser globalement ce que doit être une éducation aux médias adaptée aux supports et outils de communication contemporains, et en particulier à définir les nouvelles compétences et connaissances nécessaires à une véritable maîtrise de l’information». C’est une belle idée qui pourrait bien nous intéresser. Qui va s’en occuper et quelle place pourraient avoir les professeurs documentalistes dans cette éducation aux médias « renouvelée » ?
Comprendre le monde numérique
Non seulement l’éducation aux médias doit permettre aux élèves de « comprendre et d’avoir un regard critique sur les contenus des médias » mais elle doit aussi « leur faire acquérir les connaissances et les capacités à créer avec ces technologies, à co-construire leurs savoirs, à partager leur production, à communiquer, en pleine conscience de leur responsabilité sous leur identité numérique ». Dans cette école refondée imaginée par le ministre, les élèves doivent avoir la possibilité de « maîtriser et comprendre les outils qu’ils utilisent chaque jour » et d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences pour vivre dans notre société où la technologie évolue rapidement. L’éducation aux médias « renouvelée » serait partagée par tous les enseignants, introduite dans les programmes d’enseignement… et le professeur documentaliste ?
Un rôle sous-estimé du professeur documentaliste
Deux documents laissent à penser que le rôle pédagogique du professeur documentaliste dans l’éducation aux médias et à l’information n’est pour l’instant pas vraiment pris en compte.
Petit retour en arrière : En mars 2012, la Fadben publiait son manifeste militant pour la reconnaissance de la mission pédagogique des professeurs documentalistes. En septembre 2012, une question parlementaire, mentionnant le manifeste de la Fadben, était posée sur la reconnaissance et la formalisation des contenus d’enseignement des professeurs documentalistes. Ce mois ci, la réponse à la question ne laissait planer aucun doute. Pour résumer, cette réponse rappelle que l’éducation aux médias est dans tous les programmes, que le professeur documentaliste fait partie de l’équipe pédagogique et qu’il lui appartient d’inscrire sa progression dans la politique documentaire de l’établissement et de prendre appui sur les enseignements et les dispositifs. En d’autres termes : débrouillez-vous, la situation actuelle ne change pas.
Le second document minimisant le rôle du professeur documentaliste dans l’éducation aux médias est un projet de référentiel de compétences professionnelles des professeurs documentalistes. Ce référentiel entre dans le cadre de la mise en place des Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) et devrait permettre de fixer les compétences attendues des futurs enseignants. Dernièrement, les syndicats et la Fadben ont été invités par la DGESCO et la DGRH pour échanger autour ce projet…
Ce qui est attendu du professeur documentaliste
Dans ce projet de référentiel, le professeur documentaliste est le « garant » de l’éducation aux médias et à l’information. Comment doit-on comprendre ce terme de « garant » ? Il participe à la mise en œuvre de l’éducation aux médias et à l’information dans l’établissement en concertation avec les équipes pédagogiques. Les compétences attendues sont d’identifier « les apprentissages propres à l’éducation aux médias et à l’information à mettre en place et les compétences à faire acquérir aux élèves » et de « définir une stratégie pédagogique permettant la mise en place des objectifs de l’éducation aux médias et à l’information ». Le professeur documentaliste est juste là pour prêter main forte aux enseignants. Il « coopère », « contribue », « facilite », « accompagne », etc… en fournissant le contexte et les aides nécessaires aux enseignants et aux élèves et en veillant à une cohérence des apprentissages. Le professeur documentaliste n’est pas en charge de cette éducation : il veille à son bon déroulement. Il peut cependant lui arriver d’intervenir auprès des élèves, à la demande des enseignants ou de sa propre initiative, mais ce sera seulement « à travers des situations pédagogiques correspondant aux objectifs des programmes des diverses disciplines ». Comme d’habitude, le professeur documentaliste reste fortement dépendant du bon vouloir de ses collègues. Mais ce projet de référentiel, qui comporte de nombreux autres points fâcheux non mentionnés ici, n’est pour l’instant qu’un projet. Il est en cours de construction et sera sûrement modifiés suite à la consultation des syndicats et de la Fadben. Pas de panique mais restons tout de même vigilants…
Où le changement doit-il se situer ?
Que ce soit dans la réponse du ministère à la question parlementaire ou dans le discours de V. Peillon, l’éducation aux médias serait facilitée par les ressources et les espaces. Elle « trouvera les moyens de s’exercer dans des espaces documentaires repensés, accessibles tout au long de la journée ; elle sera l’occasion de développer l’autonomie et la responsabilité des élèves dans des activités de recherche, de production et de communication. » et il faut « offrir des ressources variées, imprimées et numériques, au sein d’espaces de ressources dans des espaces où les élèves peuvent se cultiver, satisfaire et développer leur curiosité, effectuer leur travail scolaire, lire et écrire… ». Les centres de connaissances et de culture pointraient-ils encore le bout de leur nez ?
Il est étonnant que l’on veuille développer une éducation aux médias et à l’information « renouvelée » sans s’appuyer plus fortement sur le professeur documentaliste. Certes, l’éducation aux médias et à l’information se situe transversalement à toutes les disciplines scolaires mais l’intégrer dans les différents programmes d’enseignement est-il vraiment suffisant ? Sera-t-elle réellement dispensée, partagée par tous, dans toutes les classes et tous les établissements ? Ne va-t-on pas faire l’impasse ou la survoler parce que le temps manque, qu’il faut boucler le programme ou que tel ou tel examen est bien plus important ?
Il n’est pas possible de vouloir développer une réelle et solide éducation aux médias et à l’information uniquement en l’intégrant dans les programmes, en fournissant des ressources et en permettant un accès à ces ressources n’importe où et n’importe quand. Il faut plus que cela. Si l’on veut se donner les moyens d’une éducation aux médias et à l’information « renouvelée », nous pouvons peut-être commencer par utiliser les moyens humains existant déjà dans chaque établissement : le professeur documentaliste. L’éducation aux médias est quand même une de ses préoccupations majeures, elle est au cœur de ses missions et il a même été formé pour cela ! Faire du professeur documentaliste le super pilote de la mise en œuvre de l’éducation aux médias, le veilleur de son bon déroulement, pourquoi pas, mais le partage n’est pas équitable. Comme ses collègues, le professeur documentaliste doit pouvoir bénéficier d’un temps pour transmettre ses savoirs, un temps bien défini, institué qui lui permettrait de travailler sans être dépendant de ses collègues et de programmer sereinement ses enseignements.
Il ne s’agit pas de lui confier la totalité de l’éducation aux médias et à l’information, il s’agit juste de réellement partager cette éducation entre tous, professeur documentaliste compris parce que c’est lui aussi un enseignant. On connaît la situation actuelle des professeurs documentalistes, leur difficulté à travailler régulièrement avec toutes les classes ou à respecter une progression faute de temps ou d’élèves… il ne faudrait pas que l’histoire se répète.
L’article de l’Expresso du Café Pédagogique à l’occasion de l’intervention du Ministre
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/12[…]
Sur le site du ministère, le dossier de presse
http://www.education.gouv.fr[…]faire-entrer-l-ecole-dans-l-ere-du-numerique.html
Le discours de V. Peillon
http://cafepedagogique.studio-thil.com[…]DiscoursEcoleEreNumerique131212.pdf
Sur le site de l’Assemblée Nationale, question parlementaire et réponse du ministère
http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-3988QE.htm
Le projet de référentiel de compétences professionnelles des professeurs documentalistes
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel[…]ReferentielDoc.pdf
Sur le site du snes, un article sur le projet de référentiel
http://www.snes.edu/Professeur-documentaliste-le.html
Sur le site du Se-Unsa, un article sur le projet de référentiel
http://www.se-unsa.org/spip.php?article5284