La nouvelle loi d’orientation peine à dire ce qu’elle met au centre de son dispositif. S’il semble bien que ce soit l’acte d’enseigner, son projet est brouillé par la multiplicité des acteurs et des détails.
Sans doute est-il trop tôt pour discerner réellement la nouvelle maison Ecole que construit Vincent Peillon. Le ministre a bien une vision de l’Ecole. Mais les plans de l’architecte se transforment en lois, comme la loi d’orientation, en décrets , en arrêtés , en circulaire et même, pour des aspects qui sont loin d’être négligeables, en pratiques pédagogiques ou en postures éducatives, qui vont s’égrener tout au long des mois et des années à venir. C’est peut-être seulement quand la maison sera debout qu’on en aura les plans.
Les lois d’orientation précédentes étaient plus lisibles. Celle de 1989 posait l’élève au centre du système éducatif. La loi de 2005, mettait le socle et la question de la transmission des connaissances et compétences au centre. On distingue plus difficilement ce que la loi de 2012 met au centre. C’est affirmé avec moins de netteté. Mais peut-être est-ce la relation pédagogique, l’acte d’enseignement.
La pédagogie au centre cela se distingue dans plusieurs aspects de cette loi. D’abord par la priorité donnée à la formation des enseignants. Ce sujet occupe un bon quart des pages relatives au projet de loi et l’ouverture des Espé est une des rares dates fixées dans la loi. La réorganisation du pilotage avec l’arrivée de Conseils indépendants chargés de suivre les programmes et d’évaluer l’efficacité de l ‘Ecole vont en ce sens. La réécriture du socle, sa transformation en socle des connaissances, des compétences et de la culture, la réforme des cycles, l’intérêt porté aux enseignement non fondamentaux illustrent qu’on est bien en train d’agir sur ce terrain. L’importance toute nouvelle accordée au numérique sont aussi à lier au souci de transmettre des savoirs du 21ème siècle. L’accent mis sur le primaire, avec des missions définis et un vrai appui budgétaire s’inscrit dans la même perspective.
Mais cette vision est brouillée par la dispersion des acteurs. La loi n’apporte pas vraiment de réponse claire entre ce qui doit rester national et ce qui doit relever de la gestion locale. A vrai dire, les efforts ministériels n’y sont pour rien. Cela tient à la passion française d’égalité et d’uniformité, inscrite dans le préambule de la constitution. « La France est une république indivisible ». Entendez : le projet politique de la France c’est d’instituer une uniformité. Depuis le début de la refondation, la nature des relations entre Etat et collectivités locales a parasité le débat au point que la question des rythmes a absorbé toute la question de l’Ecole. L’insistance à faire entrer les collectivités locales , parce qu’elles sont des bailleurs de fonds indispensables, dans la refondation a complexifié l’organigramme de la nouvelle Ecole. Comment reconnaitre des projets éducatifs locaux dans une éducation qui veut rester nationale ? On nous dira que cela a permis de régler enfin la question du numérique et de l’entretien du matériel numérique dans les EPLE. Ce sera peut-être le cas dans les décrets qui vont suivre. Mais les articles de la loi d’orientation laissent encore place à des ambiguïtés. Il est clair que l’Ecole ne peut se passer du soutien financier des collectivités locales. Mais il est clair aussi que la loi n’a pas su définir clairement le champ d’action de ces collectivités. On reste dans un système unique en Europe où les responsabilités éducatives sont étatiques, tempérées par des arrangements locaux très complexes. Le résultat c’est que les moyens importants mis par les collectivités restent souvent à la marge de l’action éducative. Au final beaucoup de dépenses et peu de résultats en terme de niveau scolaire.
Si la refondation reconnaît l’importance de l’enseignant et de sa pédagogie, elle instaure des machines administratives qui tournent autour de lui sans pouvoir souvent le servir. Où est la prise de responsabilité de l’enseignant ? Comment sont instituées les équipes pédagogiques ? De quels moyens vont-elles disposer vraiment ? Quelle vision du métier veut-on donner ? Que fait-on pour redynamiser le corps enseignant, recouvrir les plaies et combler les fossés ? Les futurs décrets le diront peut-être. Pour le moment la loi semble plutôt complexifier la chaine hiérarchique, ajouter des contraintes, là où il faudrait éveiller l’innovation et impulser la confiance. Le danger se dessine : va-t-on refonder l’Ecole sans les enseignants ? Va-t-on faire une révolution pédagogique sans atteindre l’acte d’enseignement ? Va-t-on mettre des moyens nouveaux dans l’Ecole tout en laissant l’enseignant dans sa classe totalement démuni ? Les moyens doivent-ils être à son service ou lui davantage assujetti au service des logiques bureaucratiques porteuses des moyens ? Ces débats ne sont pas propres à la France. On voit bien comment outre-Atlantique le développement du numérique, l’intérêt porté à l’efficacité de l’enseignement sont dévoyés vers une contrainte accrue des enseignants et la mascarade de l’évaluationnite.
C’est pour ces raisons là également que le défi de l’enseignement prioritaire n’arrive pas à émerger de la loi d’orientation. C’est pourtant vraiment là que va se mesurer l’utilité cette loi. Elle aura servi la nation si elle arrive à diminuer le décrochage et à réduire l’écart de niveau entre les établissements et les catégories sociales. Cet objectif est vu par la loi qui veut faire de l’indicateur de l’écart entre établissements un véritable baromètre. Alors que les gouvernements précédents avaient écarté ces statistiques tout en instituant un véritable marché scolaire, le ministère Peillon veut faire le contraire. C’est excellent. Mais la loi ne dit rien de l’enseignement prioritaire, si ce n’est dans une annexe qui n’a pas force légale.
La loi est faite mais presque tout reste à faire. Le travail qui reste à accomplir pour l’équipe Peillon est immense. Pour gravir la montagne de la refondation, la loi proposée actuellement semble un marchepied un peu court. L’Ecole a encore besoin du courage de tous.
François Jarraud