Il y a bien longtemps que les parents d’élève se questionnent sur la place qu’ils ont à tenir dans le parcours scolaire de leurs enfants. Alors que l’histoire de l’éducation nous enseigne qu’ils ont longtemps été rejetés de cette institution du fait de leur incapacité à « élever » leurs enfants, il a fallu attendre les années 60 pour voir le monde scolaire renvoyer aux familles un travail dont elles avaient été interdites initialement. La fin des « études » de fin de journée et le développement d’une organisation scolaire basée uniquement sur les temps de cours ont mis les parents à contribution à la maison. Assurer la réussite scolaire de ses enfants dépendait ainsi de la capacité des parents à aider aux devoirs. Ce n’est que récemment (2002) que la place des parents est revenue au devant de la scène avec le numérique.
En effet « Le Projet Proxima, Pour une appropriation de l’Internet à l’Ecole et dans les Familles » par Bernard Benhamou publié en septembre 2003 marque clairement une rupture (http://eduscol.education.fr/chrgt/ProjetProxima.pdf). D’abord ce document est un travail conjoint entre le ministère de la famille et celui de l’éducation. Ensuite l’intention politique claire est énoncée dans ces passages : » En effet, avec la sphère de l’Ecole et celle du travail, la famille constitue l’un des lieux fondamentaux pour l’apprentissage, la maîtrise des réseaux et leurs utilisations. Les familles sont amenées à jouer un rôle majeur dans l’appropriation de l’Internet notamment dans l’attente des bénéfices scolaires que les enfants pourront en espérer. » (Christian Jacob ministre de la famille, 2003).
En réalité le rapport juxtapose les deux lieux, mais ne va pas bien loin dans les propositions réelles. La place des familles dans le monde scolaire est depuis constamment réaffirmée et rappelée par les ministres depuis cette date. Même l’actuel ministre Vincent Peillon dans la circulaire de juillet 2012 (circulaire n° 2012-119 du 31-7-2012). Mais c’est avec la mise en place officielle des ENT et du Cahier De Texte Numérique confirmé par deux textes en 2010 et 2011 que la famille va véritablement trouver, grâce au numérique, une place renouvelée par rapport au fonctionnement de l’école. Certes, depuis longtemps des relations instituées existent, (participation à divers conseils, réunion parents enseignants etc…) mais globalement le monde scolaire est resté obscur pour la plupart des familles. Il suffit d’ailleurs de réfléchir aux questions d’orientation et d’interroger les parents pour s’en rendre compte. Le numérique simplifie-t-il les choses ? Par exemple en matière d’orientation quand on est devant l’Application Post Bac, ou de nombreux autres outils numériques développés en éducation, on peut se demander si ces outils sont réellement accessibles aux parents.
L’accès à des informations, indépendamment des canaux de diffusion officiel est en train de révolutionner la relation des usagers (clients) avec les fournisseurs de services (vendeurs). Si comme dans le commerce ou la santé, les usagers vont se renseigner avant de rencontrer un professionnel, il y a fort à parier qu’en éducation il en sera de même. On le sait pour la petite enfance, période pendant laquelle les parents cherchent souvent des informations pour se sentir aidés, soutenus. Avec la scolarisation, tant que les adultes pensent pouvoir influer sur leur progéniture, ils utilisent tous les moyens pour en jouer et le numérique est désormais un élément clé. Certains parents renoncent très vite, s’en remettant à leurs enfants et éventuellement à leurs enseignants. D’autres, au contraire, ne renoncent jamais, allant parfois au bout de leurs idées, voire de leurs désirs, pour leurs enfants. Internet leur offre désormais, à ceux qui le veulent, de plus en plus de moyens d’en savoir plus sur l’apprentissage scolaire et ainsi d’intervenir dans le potentiel de réussite de leurs enfants.
En ouvrant aux familles un nouveau regard sur le vécu de l’école, les équipes éducatives, à l’instar du ministère, donnent une perspective nouvelle à la relation partenariale qui se noue. Les sites web d’établissements scolaires ont été à l’origine de cette ouverture, dans la continuité des systèmes de correspondance entre les familles et la classe déjà développés à l’époque du minitel. Vouloir montrer ce que font les enfants en classe au travers de pages sur Internet (facebook ou pas, peu importe) relève du même souci : permettre aux enfants de poursuivre en famille l’impact de ce qu’ils vivent à l’école. Petit à petit les outils ont évolué et ont transformé ce regard. Certes modestement, mais pas sans effets. Les premiers outils concernent les notes. Le suivi à distance des résultats chiffrés des évaluations a ouvert un nouveau front aux échanges. En effet l’importance capitale des résultats scolaires dans l’imaginaire individuel et collectif a renforcé ces initiatives qui avaient déjà permis aux enseignants de « scientificiser » le travail d’évaluation à l’aide des logiciels de note internes. Voir en temps réel s’égrener les résultats chiffrés de son enfant offre au parent un terrain nouveau d’interaction avec son enfant non sans conséquences pour ce dernier. En particulier lorsqu’il arrive que la note soit connue des parents avant même que l’enfant ait accès à sa propre évaluation… ce qui s’est parfois vu.
Un nouveau front s’ouvre avec la gestion des retards et des absences, voire des sanctions. Pas encore généralisé, le suivi en ligne de cet élément important de la vie scolaire est un levier nouveau de la relation entre l’école et ses partenaires. L’idée qu’un SMS parte automatiquement en direction du responsable légal dès qu’une irrégularité est repérée élargit les possibilités d’interaction. Pour l’enfant il s’agit aussi d’un nouveau regard sur un espace qu’il pouvait espérer maîtriser mais dont il doit désormais partager la « propriété ». Vouloir impliquer les parents avec le numérique, c’est aussi répondre à une conception de la parentalité qui vue de l’école se déliterait et qu’il convient de redresser. Impliquer les parents est une demande souvent entendue à propos d’élèves difficiles, mais à condition que cela ne devienne pas de l’ingérence. Autrement dit, le numérique a ouvert une brèche dans l’autorité de l’école qu’il convient de ne pas laisser s’élargir.
Avec l’arrivée du cahier de texte numérique c’est un nouvel axe qui apparaît : le contenu du travail scolaire de l’élève est directement accessible. Et donc aussi le contenu du travail des enseignants. Selon les différentes manières de faire vivre ce cahier de texte (il semble qu’elles soient assez variées) on va pouvoir observer différemment ce qui se passe au cœur du processus d’apprentissage scolaire. D’une part les parents peuvent contrôler le travail à la maison. D’autre part l’élève peut s’affranchir d’une partie de la corvée de cahier de texte papier. Enfin l’enseignant peut enrichir (ou pas) le travail qui suit le temps de classe. Le potentiel pédagogique et psychosociologique est bien plus important qu’il n’y parait de prime abord.
Le livret de compétence, bien mal conçu, dans version longue ou abrégée, ne donner vraiment pas grand chose aux parents. A peine à la hauteur du bulletin de note en ligne, il ne gagnera pas rapidement les galons d’outils incontournables. Il y avait davantage à parier sur les démarches compétences et e-portfolio. Mais leur éloignement de la culture scolaire française ne leur donne pas (encore ?) une place légitime dans la relation des familles à l’école. Alors que dans le monde universitaire et adulte ces outils se développent, permettant à l’apprenant de participer à la gestion de sa progression, on voit bien qu’une école dont le pilotage en amont (par l’institution) est prioritaire au pilotage en aval (ce qu’apprennent les élèves) il est très difficile de changer les choses. Et cela d’autant plus que les modalités d’organisation du monde scolaire ont très peu changé depuis cinquante ans.
Les parents ne sont pas vraiment bienvenus dans le cœur de l’acte d’enseignement. Et le numérique n’y changera rien, quoiqu’en espèrent les responsables, à court terme. Etre parent d’élève dans un système de concurrence scolaire comme le notre n’encourage pas à l’utilisation de ces outils s’ils ne favorisent pas l’image de réussite souhaitée par certains. Ce que le numérique permet, c’est un regard augmenté sur l’école. Mais augmenté ne signifie pas encore partagé ce qui serait pourtant possible si le numérique était aussi vraiment au cœur d’une pédagogie d’accompagnement, dans laquelle les parents et responsables éducatifs auraient autant d’intérêt à collaborer avec les enseignants que réciproquement. Car le collaboratif, au cœur des évolutions récentes du numérique, est pourtant un puissant levier pour renouveler cette relation… mais le chemin est encore long à parcourir.
Bruno Devauchelle