Vice-présidente de la région Ile-de-France en charge des lycées, Henriette Zoughebi aborde l’alternance politique avec satisfaction mais aussi avec des exigences. Moratoire sur les suppressions de postes prévues à la rentrée, nouveaux droits pour les lycéens technologiques et professionnels, règlement de la question de la maintenance informatique dans les établissements, elle attend du nouveau gouvernement des avancées vers plus d’égalité et de mixité sociale.
Qu’attendez-vous tout de suite du nouveau gouvernement ?
Je veux d’abord dire ma très grande satisfaction d’entendre le nouveau président parler de jeunesse et de justice. C’est pour moi très important, l’attente des jeunes en particulier des quartiers populaires est immense comme en témoigne leur forte présence dans les rassemblements au soir du 6 mai pour fêter l’élection de François Hollande.
Il faut donner très vite du contenu à ces priorités avec en particulier une nouvelle loi d’orientation et de programmation sur l’école qui réaffirme les missions et les valeurs de l’école, l’objectif d’égalité de réussite et d’élévation des qualifications pour tous les élèves Pour cela il faudra cesser de séparer de trier les élèves, revoir les contenus d’enseignement avec la même exigence pour tous, et développer la mixité sociale dans les établissements, travailler à reconstruire du commun pour tous les jeunes.
L’élaboration de cette loi nécessite une large concertation en amont associant les jeunes comme acteurs et actrices à part entière et plus largement l’ensemble de la communauté scolaire. L’adoption de cette loi devra être accompagnée d’un engagement budgétaire dans la durée (plan triennal ou quinquennal) signe d’une véritable volonté politique.
Le Conseil régional s’est beaucoup battu pour réduire les inégalités territoriales en matière d’éducation. Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement à ce sujet ?
J’attends des annonces fortes sur l’éducation prioritaire. J’ai naturellement en tête le rapport provisoire de la Cour des Comptes qui pointe les inégalités de traitement entre les territoires. Ainsi en 2010 l’État a investit 47% de plus pour un élève Parisien que pour un élève de banlieue. Il est temps de remettre de la justice, de l’équité et du sens dans l’organisation de notre École, de mettre en place une politique de réelle solidarité entre territoires avec un pilotage national qui pose la question de la juste répartition territoriale des moyens financiers et en personnels éducation nationale en tenant compte des inégalités scolaires et sociales .
Nous sommes en réflexion en Ile de France dans le cadre de l’Observatoire régional de l’égalité et de la réussite sur la révision de la liste des établissements bénéficiant d’une dotation de solidarité, avec une conférence sur le sujet le 2 juillet avant des décisions prévues pour la rentrée. Il me semble que dans le même esprit la mise en place d’un observatoire national associant tous les acteurs avec l’objectif de refonder l’éducation prioritaire dans un calendrier précis constituerait un signal important.
Ensuite il faut collectivement travailler à développer la mixité sociale et scolaire dans nos établissements, en finir avec la mise en concurrence des lycées, développer des lycées polyvalents ou les jeunes se mélangent. La région est disponible pour travailler à des critères pour développer cette mixité en apportant toute l’expertise que nous accumulons dans le travail sur le prochain programme d’investissement 2012- 2022.
Certaines décisions peuvent-elles être prises pour la rentrée 2012 ?
Je suis favorable à un moratoire sur les suppressions d’emplois programmées pour la rentrée 2012. Je rappelle à titre d’exemple qu’en Ile de France le ministère a supprimé 988 emplois qui vont se traduire concrètement par la disparition de l’équivalent de 1403 postes d’enseignants, dont 1222 dans les lycées. Il faut repenser cette prochaine rentrée avec l’adoption d’un collectif budgétaire et demander aux recteurs de retravailler sur cette base. J’ai en tète des fermetures de formations particulièrement choquantes comme le BTS Mécanique et Automatismes Industriels suppression à Chelles qui doivent pouvoir être annulées. L’annonce de l’abandon de la politique d’internat d’excellence et l’utilisation des investissements d’avenir prioritairement dans les banlieues et quartiers populaires dans l’esprit de ce que l’on cherche à développer en Ile de France au travers des internats de proximité pourrait constituer un second signal très fort.
Est-ce l’occasion de revoir le partage des rôles entre collectivités territoriales et Etat en matière d’éducation ? Et si oui, comment ? D’une façon plus générale, que doit-on changer dans les rapports entre Etat et collectivités territoriales ?
La priorité est d’abord que l’acte II de la décentralisation soit correctement mis en œuvre. Les collectivités ont beaucoup souffert de ne pas être traitées et respectées comme de véritables partenaires. Je pense notamment aux compétences partagées en particulier au schéma des formations.
Il convient ensuite de régler au plus vite la question de la maintenance informatique dans les collèges et lycées, compétence qui n’a pas été transférée en 2004. Les régions et les départements ont beaucoup investi dans les TICE et on se trouve aujourd’hui dans une situation de blocage, l’Etat n’assumant pas ses responsabilités en ce domaine. Les régions sont prêtes à assurer cette compétence à condition que la responsabilité lui en soit déléguée avec les moyens correspondants. On continue par ailleurs d’attendre de l’Etat de vrais moyens de formation et d’accompagnement pour les enseignants sans quoi tous les efforts des collectivités seront vains.
Pour le reste je suis pour ma part très attachée au service public national de l’éducation. Le débat est ouvert sur un acte III de la décentralisation avec la question d’un service public régional de la formation. Si je partage l’objectif d’une mise en œuvre d’une sécurisation des parcours professionnels, la nécessité de penser ensemble formation initiale et continue, la nécessité de renforcer la place du service public et en particulier de l’éducation dans la formation des adultes, je ne suis pas favorable à une place spécifique de la formation professionnelle initiale détachée des autres formations générales ou technologiques. La formation professionnelle initiale doit demeurer de mon point de vue dans le service public national de l’éducation. C’est la condition nécessaire pour rétablir des passerelles entre les trois voies de formation au lycée, une de formes de reconnaissance du droit à l’erreur d’une part tant revendiqué par les jeunes et de poursuivre après une reprise de confiance en soi grâce à la voie professionnelle d’autre part.
Aujourd’hui l’Etat représente la moitié de la dépense intérieure d’éducation, les collectivités locales un quart. Comment pensez vous que ce partage puisse évoluer ? Faut-il aussi établir des règles de péréquation entre collectivités territoriales ?
Les collectivités territoriales sont de vrais partenaires et doivent être considérés comme telles. Bien sur que des règles de péréquation sont nécessaires parce que c’est une condition nécessaire à l’égalité. Je pense à la nécessité d’une tarification au quotient familial dans la restauration scolaire pour tous les établissements publics.
Mais plus encore que la question de la répartition des dépenses, c’est d’abord la question des besoins et de comment on peut y répondre qui m’intéresse. Une politique ambitieuse pour la jeunesse, qui se donne les moyens de l’égalité et de la réussite doit – donner la perspective de la gratuité de l’école avec une mise en œuvre progressive par l’Etat et les collectivités dans le cadre de leurs compétences respectives.
Je suis dans mes responsabilités choquée de constater que la plupart des élèves des filières technologiques et professionnelles travaillent en dehors des heures de cours le soir et le week-end pour financer leurs études. Ils supportent les plus longs trajets pour rejoindre leur lycée. Le coût de leur équipement est le plus élevé du second degré. En bac professionnel, les 22 semaines de stages en entreprise, obligatoires pour obtenir leur diplôme, ne font l’objet d’aucune obligation de rémunération. L’ouverture de droits spécifiques pour les lycéen-ne-s est aujourd’hui indispensable : rémunération pendant les stages, aides spécifiques dans le transport, développement d’internats de proximité, aide à mobilité internationale… Tout cela peut et doit être développé avec une répartition de la dépense dans le cadre des compétences de l’Etat et des collectivités.
L’Ile-de-France a la particularité d’être divisée en 3 académies. Et, juste avant de partir, Luc Châtel a modifié les pouvoirs des recteurs. D’après votre expérience, faut-il unifier ces 3 académies ? Augmenter ou diminuer l’autonomie du pilotage rectoral ?
Je ne sais pas ce que vous entendez par unifier les 3 académies. En tout état de cause je suis respectueuse des règles de gestion et des droits des personnels qui sont affectés dans des académies distinctes. Mais dans le même temps, la spécificité de l’Ile de France doit être prise en compte dans l’intérêt général et pour cela il est nécessaire de rechercher un mode d’organisation adapté. Ce qui me semble essentiel c’est un travail commun des trois rectorats pour qu’émerge une orientation cohérente de l’Etat à l’échelle régionale permettant un vrai dialogue avec la Région. Par ailleurs certains sujets comme l’offre de formation nécessite une réflexion transacadémique que je mets en œuvre avec les rectorats dans le cadre de la concertation sur le prochain plan d’investissement
La question des rythmes scolaires va arriver probablement en discussion cet été et elle impacte fortement les collectivités locales. Quelle est votre position ? Faut-il modifier les rythmes ? Si oui, faut-il une règle nationale ou des accords locaux ?
La question des rythmes scolaires est importante et toute modification aura effectivement des conséquences pour les collectivités territoriales en ce sens qu’elles impacteront l’usage des bâtiments, les services des agents, les transports scolaires. S’il faut modifier les rythmes, cela doit se faire après une large concertation de tous les acteurs concernés et avec des modalités négociées avec les collectivités prenant en compte les contraintes et les conséquences des modifications opérées.
Propos recueillis par François Jarraud
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