Bonjour Madame Claude Richerme-Manchet. Pour le Forum des enseignants innovants 2012, vous avez déposé un projet intitulé « Ouverture aux langues du monde à l’école maternelle : apprendre à parler et à penser avec une mascotte voyageuse. » que vous avez mené avec 10 enseignantes de deux écoles maternelles classées en ZEP dans la circonscription de Toulon 2 : l’école maternelle La Serinette et l’école maternelle Casanova. Pouvez-vous nous décrire votre projet ?
Une marionnette-mascotte francophone représentant un animal part en vacances autour du monde et envoie des cartes postales à la classe. Sur la carte, quelques mots (bonjour, au revoir, à bientôt) dans une des langues des pays visités. La Mascotte revient de temps en temps dans la classe avec un ami étranger (une marionnette ou une peluche) accompagné d’un traducteur (le plus souvent un parent qui comprend la langue de l’ami). Cela sert de déclencheur à des activités culturelles et plurilingues.
Quel a été l’objectif de ce projet ?
Nous avons choisi des établissements dont la population était culturellement mixte car notre but était avant tout une meilleure intégration des enfants nouvellement arrivés (ENAF) dès l’école maternelle. Ici, l’ouverture aux langues ne repose pas sur les apprentissages classiques mais sur les vécus familiaux et affectifs en créant un lien fort avec les familles et en facilitant leur entrée dans l’école.
Ce projet part d’une analyse sociolinguistique des classes pour le choix des langues-cultures rencontrées et met en place dans les classes maternelles des situations d’apprentissage inclusives de la diversité des langues-cultures pour permettre une réelle construction d’une communauté d’apprentissage, favoriser le vivre et agir ensemble dans une société solidaire et faciliter l’appropriation du langage dans toutes ses dimensions et variations.
Comment en êtes-vous venue à organiser ce projet ? Avez-vous aussi travaillé avec des universitaires ?
J’ai pu coordonner ce projet en tant que chargée de mission-formatrice dans l’équipe de circonscription de Toulon 2. Auparavant, j’étais sur un poste CRI spécialisée en FLS et l’apprentissage du français passait dans ma classe par une approche plurilingue et pluriculturelle (en comparant les langues entre elles, en valorisant leur culture et en intégrant les familles dans différents projets). Je recevais des étudiants en MASTER de l’Université de Provence et j’ai rencontré Stéphanie Clerc, maître de conférence titulaire de l’HDR, avec laquelle j’ai travaillé. Cette action contribue à l’élaboration d’un livret de séquences didactiques pour l’école maternelle, intitulé « A la découverte du monde des langues » initié et coordonné par Martine KERVRAN, maître de conférence à l’Université du Maine, aux Editions du CRDP de Bretagne.
Comment s’appellent les mascottes ? Les noms sont-ils importants ?
Chaque classe a choisi des animaux différents : Gigi la girafe, Zézé le zèbre, Chouchou la chouette, Lala le lapin, Panpan le panda, etc. Le principe du redoublement de la première syllabe pour donner un nom doux aux mascottes est le même pour les invités mais part du nom de l’animal dans la langue du pays (Rara pour la rana, grenouille en espagnol par exemple).
Comment avez-vous choisi les pays que la mascotte a visités ?
Les destinations sont choisies principalement en fonction des pays représentés dans la classe. Chaque mascotte francophone part dans 2, 3 ou 4 pays dans l’année et ce sont les parents de la classe originaires du pays représenté qui au retour de voyage jouent le rôle de traducteur. Les enfants préparent un questionnaire pour mieux connaître leur invité, le parent traduit ces questions à l’animal étranger puis les réponses sont à leur tour traduites en français pour la classe. L’animal étranger parle à l’oreille du parent (du fait de sa grande timidité !). Les mots appris sont les bonjours, au revoir et merci, ainsi que des comptines reprises dans la chorale de l’école.
Les pays ou régions représentés pour le moment: la Tunisie, l’Espagne, L’Italie, l’Allemagne, la Colombie, l’Angleterre, le Vietnam, la Chine, la Polynésie, la Provence, la Turquie, le Maroc, la Russie, la Moldavie. (Il y a des pays que l’on retrouve dans plusieurs classes).
Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?
Par exemple, la dernière intervention a été celle d’une maman turque dans une petite section à l’école maternelle de La Serinette. L’animal invité était un chien (Koko car « köpek » en turc) ; la maman a joué la traductrice auprès des enfants, a appris les formules de politesse (bonjour, au revoir, merci), une comptine turque, a apporté un élément du costume traditionnel de sa région et a fait goûter aux enfants une spécialité sucrée. Les différents panneaux de l’école s’en trouvent alors enrichis : la fleur des langues (les bonjours, les au revoir), le panneau des mascottes, une affiche dans la classe avec le résumé de la rencontre (carte postale, photos).
Y a-t-il eu d’autres intervenants que les parents ?
La rencontre avec les langues-culture de la classe a donné aussi l’occasion de faire intervenir différentes personnes extérieures à la classe comme une plasticienne chinoise puis un calligraphe arabe (favorisant ainsi la rencontre avec d’autres systèmes d’écriture), un maître d’art martial (Maître Xuan Pham Tong fondateur du Qwan Ki Do)…
Certains enfants ont-ils fait eux-mêmes l’apport linguistique ?
Dans une classe de petite section, il est difficile pour les enfants de mettre en œuvre leur expertise de la langue auprès de leurs camarades mais en grande section en revanche, ils sont très demandeurs et reconnus dans cette expertise par leurs pairs. Si leur langue n’a pas encore été rencontrée, ils le demandent. Par exemple, un petit garçon marocain de grande section a demandé à la maîtresse, au moment où ils chantaient dans la classe les comptines étrangères apprises, à quel moment ils allaient en apprendre en langue arabe : la semaine suivante l’enseignante en apportait une.
Quel a été l’apport pour les élèves ?
En apprenant à communiquer sur des réalités et des événements variés issus d’univers linguistiques et culturels multiples, l’élève enrichit son langage et échange avec ses camarades et l’enseignant à partir d’expériences partagées et diversifiées. Les enseignantes ont noté que des enfants très effacés prenaient la parole plus facilement et progressaient grâce à cette envie de participer à des situations d’apprentissage motivantes. Lors d’une de mes observations dans une classe de moyenne section pendant une intervention de parent, un enfant c’est tourné vers moi et m’a dit « c’est magique ! ».
Cela a-t-il aussi eu des incidences sur leur maîtrise du français ?
On a aussi développé leur curiosité envers le langage et le plaisir de jouer avec différentes sonorités. Les enfants s’entraînent à discriminer des sonorités et énoncés en langues diverses. Par exemple « à quel mot vous fait penser buongiorno écrit en haut sur la carte ? » ; comment trouver le mot doux à donner à l’invité venu d’ailleurs ? Ce qui a des incidences sur le développement de la conscience phonologique, le repérage des similitudes et différences entre les langues de l’environnement de la classe. Les démarches de réflexion et de comparaison entre langue de l’école et langue familiale permettent alors le développement de compétences métalinguistiques favorables à une meilleure maitrise de la langue commune, le français.
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