Par Frédérique Yvetot
Lors du séminaire « Ressources numériques au CDI : un défi pour le développement des usages », les 10 et 11 mai 2012 au CDDP de Boulogne Billancourt, la sortie du vademecum « Vers des centres de connaissances et de culture » a été officiellement annoncée.
Rappelez-vous… En avril dernier, la circulaire de rentrée avait mentionné la possibilité donnée aux établissements de réfléchir à la mise en œuvre de «centres de connaissances et de culture » (3C) ». Sur le site Éduscol, une présentation des 3C était faite, en prenant en exemple le lycée Émile-Mathis de Schiltigheim. Voilà qu’est maintenant proposé un vademecum, une démarche pour repenser les CDI et les faire évoluer en Centres de Connaissances et de Culture. Ce vademecum présente réflexions, pistes d’action et ressources en treize fiches, réparties autour de trois axes majeurs : « Engager une démarche collective et concertée », « Mettre les espaces et les temps au service de chacun des élèves » et « Diversifier et personnaliser ressources et services ». Il y est question de formation des enseignants et des élèves, de temps, d’espaces, d’accès aux ressources…
« Réinventer le CDI »
On le dit et redit constamment, on le constate tous les jours : les évolutions technologiques ont bouleversé les conditions d’accès à l’information et aux connaissances, et ont créé de nouveaux besoins et de nouvelles conditions de formation. Ces évolutions technologiques doivent entrer dans l’école et celle-ci doit s’en emparer, profiter de ses possibilités et utiliser tous les outils mis à disposition .
« La démarche de centre de connaissances et de culture manifeste une évolution significative de la pratique pédagogique et éducative. […] Pour tous, elle signifie une autre manière d’enseigner et d’apprendre, de s’informer et de participer à la vie de l’établissement dans un cadre de vie et de travail renouvelé. ». Le CDI doit évoluer et devenir « un espace de ressources, de lecture, d’accompagnement, d’étude, de développement de l’autonomie, d’initiative, de pratiques numériques encadrées et spontanées, où s’acquiert et s’affirme la culture de l’information du 21è siècle » pour les élèves, «un espace de ressources, numériques notamment, d’action pédagogique, d’échange, d’information, de mutualisation, de veille informationnelle, d’innovation, de formation, de projets d’équipe, de suivi personnalisé des élèves, de valorisation des travaux d’élèves » pour les personnels et « un espace d’information et d’accès balisé au numérique, profitable à la réussite de tous les élèves, d’échange avec les personnels » pour les familles. Lieu multiple aux multiples possibilités !
Projet collectif et concerté
Le 3C est un outil qui doit répondre aux besoins de tous. Il doit contribuer à la réussite de l’élève en mettant à disposition les ressources, services, espaces nécessaires aux apprentissages et en développant le numérique et ses usages.
Mettre en œuvre un projet de 3C nécessite donc une réflexion en amont (sur la sélection, l’organisation et l’accessibilité des ressources, sur l’usage du 3C, sur l’organisation des temps scolaires, sur le cadre de vie et de travail…), et une analyse de la situation (besoins en ressources, pratiques numériques des usagers, attentes et besoins des usagers en matière de recherche documentaire, de culture de l’information, de lecture, de travail en dehors du temps de la classe…). Mais il faut aussi, bien sûr, définir des objectifs, opter pour une stratégie, désigner un comité de pilotage, etc : passer par toutes les étapes nécessaires à une démarche de projet.
Élèves, parents et personnels de l’établissement sont bien évidemment concernés, tous ont à y gagner. Un projet de 3C doit donc reposer sur une « démarche collective et concertée » car pour imaginer un tel projet mais aussi le faire vivre, il faut que tous y soient associés et que tous s’impliquent. Comment participer et faire participer à la mise en place d’un 3C et à son fonctionnement ? En mobilisant les instances de dialogue, de concertation et de décision de l’établissement : les élèves ont par exemple la possibilité de s’exprimer par le biais du Conseil de Vie lycéenne ou en conférence de délégués. Les parents, personnels et partenaires peuvent, eux aussi, être mobilisés par le biais notamment du conseil pédagogique, de commissions ou du conseil d’administration. Enfin, les collectivités territoriales (Conseil Régional, Conseil Général) doivent, elles aussi, être parties prenantes dans le projet, car elles sont en charge des investissements et du fonctionnement des établissements scolaires.
Le Centre de Connaissances et de Culture est donc un projet de longue haleine qui ne se fait pas à la légère et qui doit être inscrit dans le cadre de la politique documentaire, du projet d’établissement et des politiques du département ou de la région. Ce projet à long terme est un projet en constante évolution, il demande de l’anticipation et doit pouvoir continuer à être mener indépendamment des individus impliqués (changement des personnels de l‘établissement, des élus…).
Accès à des ressources et services répondant aux besoins de la communauté éducative
Avec ce 3C, tout doit être fait pour faciliter la vie de l’usager : un accès aux ressources et services, quel que soit le lieu, quel que soit le temps et quel que soit l’outil. L’usager a recours à ces ressources et services via l’Environnement Numérique de Travail (ENT) ou via le catalogue (si possible simple à utiliser, intelligible, convivial et pratique!). Toujours pour encourager les usagers à se tourner vers ce 3C virtuel, l’utilisation du matériel personnel devrait être autorisée. Les élèves devraient par exemple avoir la possibilité d’utiliser leur propre Smartphone. Ce matériel leur est familier, pourquoi ne pas en tirer profit ? C’est d’autant plus important qu’il est nécessaire, à présent, de prendre en compte cette nouvelle pratique qu’est le nomadisme (cette manie d’être connecté où que l’on soit via son Smartphone ou sa tablette). Alors pourquoi ne pas non plus imaginer de faciliter l’accès aux ressources et services du 3C via un site web mobile ou pourquoi ne pas développer le prêt d’outils numériques nomades aux usagers ?
L’offre du 3C devra quant à elle être bien évidemment de qualité et en lien avec les programmes, mais aussi équilibrée et complémentaire entre papier et numérique. Il serait même envisageable d’avoir recours à un catalogue partagé (des bases des établissements voisins, des bibliothèques…) pour enrichir cette offre et échanger des ressources. Petite nouveauté intéressante : les productions (tutoriels, supports de cours, guides pratiques…) des différents membres de l’établissement (élèves, enseignants…) auraient leur place dans le 3C. Non seulement cela permettrait de valoriser le travail de chacun ou leurs initiatives, mais cela permettrait aussi de proposer des documents ciblés, adaptés à un public et à un moment précis et pour une situation particulière. Répondre aux besoins des usagers, toujours ce maître mot !
Repenser le temps et l’espace
Le Centre de Connaissances et de Culture est un espace de recherche et d’apprentissage, un espace social et éducatif, un lieu d’accueil, de rencontre et d’échange. Il doit pouvoir répondre aux différentes situations pédagogiques concertées et doit permettre de diversifier les actions éducatives notamment grâce à la dimension numérique de la formation (travail collaboratif entre pairs, aide personnalisée, accompagnement, tutorat, entretien individuel…). Et enfin il doit inciter les élèves à s’engager, agir et s’exprimer. Que de missions pour un seul lieu !
La clé de la réussite d’un tel lieu passe nécessairement par un décloisonnement général : décloisonner la vie scolaire et le CDI, les enseignements de disciplines et les apprentissages transversaux (donner du sens en liant les connaissances), les programmes d’enseignement et le socle commun. Il faut engager une réflexion sur les espaces et les temps scolaires, décloisonner les différentes sphères de l’élève et décloisonner les espaces de vie et de travail (salles de classe, permanence, foyer…). Plutôt que distincts, ces sphères et espaces doivent être considérés comme complémentaires et en continuité les uns avec les autres. Le 3C, quant à lui, doit s’adapter aux différents temps de l’élève (scolaire ou personnel) pour être disponible et performant. On doit pouvoir y diversifier les activités, moduler les temps et les durées d’apprentissage (individuellement ou collectivement), innover, développer la transdisciplinarité… Le 3C est un ensemble d’espaces clairement différenciés et identifiés : espaces physique et virtuel utilisables au moment voulu, lieu de travail et de formation, espace d’échanges grâce aux ressources et services mis à disposition et grâce aux activités qui y sont menées. Il est complémentaire aux autres espaces de l’établissement (éducatifs, d’enseignement, espaces de vie et de travail des élèves), mieux il les prolonge ! Le 3C est « un espace augmenté » qui prolongerait les autres lieux de l’établissement, aussi bien physiquement que virtuellement, à l’intérieur comme à l’extérieur. Quel chantier !
Et le prof doc dans tout cela ?
Le projet de 3C a pour objectif de faire réussir l’élève et de le faire apprendre dans la société numérique. Bien évidemment le professeur documentaliste y joue un rôle, il est d’ailleurs spécifiquement mentionné dans quelques passages du vademecum. Il y est désigné comme « le porteur de projet principal », projet s’appuyant sur ses compétences et son expertise. Il organise « les modalités et les temps d’accès aux ressources ». Il assure aussi des « missions d’accompagnement, de conseils et d’expertise » ainsi qu’une « une formation des élèves à la culture de l’information et des médias en développant les collaborations avec ses collègues ». Voilà les quelques références au professeur documentaliste, elles donnent une vision bien imprécise de sa place au sein du 3C. On peut cependant deviner, tout au long de la lecture, que le professeur documentaliste a aussi un rôle dans les apprentissages des élèves, notamment dans le développement de la culture de l’information (on voit le PACIFI pointer le bout de son nez), dans la recherche et la production d’information, dans le développement des usages responsables d’internet, dans l’appropriation des outils numériques, dans le développement de la culture humaniste. Malheureusement, cela reste insuffisant.
Les pistes proposées par le vademecum sont principalement d’offrir les ressources et services, de faciliter leur accès, de décloisonner l’espace et le temps et de diversifier les pratiques pédagogiques. Ce sont de bonnes pistes d’action, sûrement très efficaces, mais qu’en est-il du rôle de chacun ? Ce vademecum est incomplet, pour réellement accompagner dans la réalisation d’un 3C, il lui manque une réflexion et des pistes sur l’identité, le rôle et le statut de chacune des personnes en charge du lieu. Pour mettre toutes les chances de notre côté et pour être sûr que ce projet soit une réussite, il aurait fallu aborder ces éléments, ou tout du moins insister sur la nécessité d’y réfléchir et de les déterminer. Identité, rôle et statut auraient pu représenter une quatrième entrée de ce vademecum. Quel est la place de chacun dans la gestion ou l’organisation du 3C ? Qui en a la responsabilité ? Mais aussi quelles actions de chacun pour développer l’autonomie de l’élève ou son investissement dans la création de son parcours personnel ? Qui peut lui offrir les meilleures conditions pour qu’il puisse développer ses propres méthodes de travail ? Comment ? Dans quel cadre ? Quel accompagnement pour qu’il puisse travailler à son rythme ? Les ressources, les temps et les diverses possibilités des espaces ne peuvent seuls contribuer à cela. Si l’on veut vraiment proposer une démarche pour réinventer le CDI, on ne peut pas faire l’impasse sur les personnes. La place de chacun doit être clairement définie, et plus particulièrement celle du professeur documentaliste, du CPE, des assistants d’éducation et du COP. Car après tout, si le CDI évolue vers le 3C, est-ce que le travail du professeur documentaliste doit évoluer lui aussi ? Et si oui, dans quelle direction ? Le vademecum n’aborde pas ce sujet, il en fait à peine un simple survol…
Sur Eduscol, le vademecum « Vers des centres de connaissances et de culture
http://media.eduscol.education.fr[…]2012_vademecum_culture_int_web_214771.pdf
Sur le Café Pédagogique, l’article présentant les Centres de connaissances et de culture
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel[…]2012/132_CDI_Une.aspx
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