Par François Jarraud
Le petit dernier vous le mettrez à Nay-Bourdettes à Lectoure ? A Jean Rostand de Roubaix ? Ou à Lurçat à Paris ? Ces établissements, qui vous sont probablement inconnus, sont les lycées les plus performants de France. Et s’ils sont très différents, entre le privé Nay-Bourdettes et le populaire Lurçat, c’est que les indicateurs des lycées publiés par le ministère puis par la presse le 4 avril, peuvent être lus de bien des manières…
Les indicateurs. Le ministère publie trois indicateurs établis à partir des résultats des élèves à la session 2010 du baccalauréat. A côté du taux constaté de réussite au bac, un taux brut qui ne dit pas grand chose sur l’efficacité d’un établissement, la Depp propose la valeur ajoutée par l’établissement ainsi que le taux d’accès de la seconde et de la première au baccalauréat et la proportion de bacheliers parmi les sortants. « Ces indicateurs donnent des points de vue complémentaires sur les résultats des lycées. Ils proposent une appréciation relative de la valeur ajoutée de ces établissements, en tenant compte de leur offre de formation et des caractéristiques de leurs élèves en termes d’âge, d’origine sociale et de sexe », précise le ministère. Mais les familles oublient souvent les deux derniers, ne serait ce que parce que le taux de réussite au bac est une donnée facile à comprendre.
Ce que montre la consultation des indicateurs, c’est d’abord que chaque média dresse un classement et que chacun en fait un différent, bien qu’utilisant strictement les données ministérielles. Ainsi, pour L’étudiant, les meilleurs lycées sont privés : St Joseph à Lectoure, Nay Bourdettes à Nay et Ste Thérèse à Saint Gaudens. Pour Le monde c’est Marie Immaculée à Sées, St Joseph à Nay et St Charles à Marseille. Voilà pour un taux brut de classement. Mais le classement varie du tout au tout si on observe, comme le permettent les indicateurs ministériels, la plus value apportée par l’établissement et sa capacité à faire progresser tous les élèves sans éliminer.
Et là, surprise ! Nos trois premiers lycées de France arrivent à ces résultats en éliminant avant le bac une bonne partie des élèves. Ils trient en ne gardant que les meilleurs. Si on prend en compte la capacité d’un établissement à faire progresser tous les jeunes, alors le lycée Lurçat de Paris, avec seulement 78% de reçus au bac fait partie des champions.
Finalement les indicateurs, tels qu’ils sont utilisés, montrent surtout la permanence de pesanteurs sociologiques. Ainsi le taux de réussite au bac est de l’ordre de 80% pour les enfants d’ouvriers mais de 92% pour ceux des cadres. L’écart est fort aussi entre les genres (70% chez les filles, 60% pour les garçons). Le passé scolaire pèse encore plus lourd. Les candidats arrivés avec deux ans de retard ont un taux de réussite de 72% quand celui de ceux qui sont à l’heure est à 92% ! Les mêmes pesanteurs dessinent des cartes différentes pour le taux de réussite et le taux d’accès de la seconde et de la première au bac.
Cette réalité là le ministère ne veut pas la voir. Il publie avec les indicateurs des lycées, les résultats définitifs du bac 2011. Une année record du fait du passage partiel du bac pro à 3 ans. Tout au plus signale-t-il l’écart entre les genres (les filles réussissent mieux que les garçons) et les académies. Entre Nantes et Créteil l’écart est de 12 points.
François Jarraud
Les indicateurs chez L’Etudiant
http://www.letudiant.fr/palmares/classement-lycees.html
Au Monde
http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/[…]
Sur le site ministériel
http://www.education.gouv.fr/cid3014/indicateurs-de[…]
Les résultats du bac 2011
http://media.education.gouv.fr/file/2012/26/2/DEPP-NI-2012-0[…]
A quoi servent les indicateurs des lycées ?
Alors que le programme du candidat UMP demande la généralisation de la publication des résultats des établissements scolaires, revenons sur l’impact des indicateurs des lycées.
Dans quelques années peut-être, regarderons-nous le chemin parcouru et, nous retournant, nous dirons : « tout a commencé là ». Comme la plupart des grandes réformes, la décision de publier les indicateurs des lycées s’est faite sans loi, sans décret, par la seule volonté d’un pouvoir politique autrement jaloux de conserver d’autres statistiques. Pourtant elle a peut-être posé la première pierre d’une reconstruction de l’école sur d’autres principes.
Aujourd’hui, quand on interroge les acteurs de cette publication, Michel Quéré, directeur de la Depp (le service statistique du ministère de l’éducation nationale) nous dit qu’elle « aide les familles à utiliser efficacement l’offre de formation locale ». Jean-Michel Blanquer, le puissant patron de l’enseignement scolaire explique qu’elle » crée une culture de l’évaluation ». Deux réponses que l’on pourra trouver en net décalage par rapport au phénomène médiatique qui accompagne la sortie des statistiques aussi bien sur le site ministériel que dans les médias. Et si on allait y voir de plus près ?
Comment les parents utilisent-ils les indicateurs ? En publiant ces données sur l’accès au bac, le ministère prend le risque de (ou souhaite ?) créer une véritable concurrence entre établissements. Est-ce ce qui se passe ? En 2009, les travaux d’Agnès Van Zanten (Choisir son école, Le lien social, Puf, 2009, 284 p), montraient que les parents ont leur propre critère de choix. « Certes, les évolutions du marché du travail ainsi que les modalités d’orientation dans le système scolaire poussent beaucoup de parents à se soucier particulièrement de la capacité des établissements à améliorer le « niveau » de leurs enfants » nous déclarait Agnès Van Zanten. « Pourtant les parents des classes moyennes ne font pas que des choix « instrumentaux ». Ils font aussi des choix « expressifs », c’est-à-dire orientés vers le bien-être, le bonheur et le développement global de leur enfant ». Pourtant, si quelques médias tentent de diversifier les modes de lecture des indicateurs, comme Le Monde, c’est bien le classement que publient majoritairement les médias et que cherchent les parents. La course est lancée pour placer son enfant dans l’établissement le mieux classé même quand sa plus-value pédagogique est faible ou négative ce qui est le cas de nombre de ces établissements.
A vrai dire la course commence là où il n’y a pas de publication officielle d’indicateurs, au collège. C’est un autre fait nouveau qui a tout changé. La politique « d’assouplissement » de la carte scolaire (2007) a considérablement relancé la mise en concurrence des établissements. Les travaux de C Ben Ayed ou de B Monfroit montrent que l’assouplissement a levé les obstacles idéologiques et légitimé l’évitement scolaire. Finalement il a renforcé la ségrégation et les inégalités. Un verrou semble avoir sauté et les demandes de dérogations explosent là où la concurrence entre établissements est possible. Ce n’est pas seulement la performance pédagogique qui intéresse les parents. Si le classement fonde la rareté, c’est au final le sentiment d’entre soi qui pilote le marché scolaire. Par exemple, M Oberti, en Ile-de-France, montre que la ségrégation scolaire accentue la ségrégation sociale et ethnique au niveau des collèges. Le fils du pauvre est davantage ségrégé que ses parents à l’école ! Dans cette perspective, la publication des indicateurs, sans être nécessaire, est essentielle. Acte administratif, elle autorise la mise en concurrence et libère le chacun pour soi.
Comment l’institution utilise-t-elle les indicateurs ? Après tout, à travers la « plus value », ils montrent les lycées où le rendement scolaire est faible et ceux qui sont méritants. Dans d’autres pays ces résultats se traduiraient par une sanction ou un soutien financier, voire par la fermeture. « Avec les indicateurs, à l’échelle de l’école, de la circonscription, du département on dispose d’un outil de pilotage très poussé », nous a répondu Jean-Michel Blanquer. Ces indicateurs alimentent les contrats passés entre l’Etat et les académies puis entre celles-ci et les établissements. Oui mais comment ? Si l’on fixe des objectifs à tel ou tel proviseur, quels moyens les accompagnent ? Peut on vraiment parler d’un pilotage national ? Dans la situation actuelle où la réduction des moyens frappe même les établissements prioritaires, s’agit-il vraiment d’un pilotage ou d’une déclinaison locale du « débrouillez-vous » ? Il semble bien qu’aucune règle nationale n’accompagne l’exploitation de ces indicateurs.
Pour le système, à quoi servent les indicateurs ? Il faut regarder quel usage en ont fait les pays qui ont les premiers publiés les résultats d’établissements. Et là les évolutions anglaise et américaine s’imposent. Aux Etats-Unis, la loi No Child Left Behind lie depuis 10 ans les résultats aux aides fédérales données aux établissements. Ce pilotage par l’évaluation a des effets ravageurs sur le système éducatif. Les écoles les ont atténué en pratiquant une fraude qui semble, là où des enquêtes ont eu lieu, massive. Partout elles se sont recentrées sur les disciplines évaluées et ont laissé tomber le reste. On est incapable au vu de la fraude de dire si cela a réellement servi l’anglais et les maths. Ce qui est certain c’est que le détour culturel n’est pas un gadget marginal. Pour les élèves qui s’empêchent d’apprendre, comme dit S Boimare, c’est le bon chemin du progrès scolaire.
Ce pilotage par les indicateurs est aussi en train de transformer en profondeur le métier d’enseignant. A New York les résultats individuels des enseignants sont publiés. Les parents peuvent savoir si les professeurs sont « bons » ou « mauvais » dans telle ou telle école. Les écoles peuvent peut-être s’arracher les services de Mme X, bien classée. Mais globalement les indicateurs ont servi à faire sauter les accords statutaires et se traduisent par une détérioration salariale et sociale du métier d’enseignant. Osons les mots, une prolétarisation et une précarisation.
En quelques années les indicateurs ont permis la privatisation des systèmes éducatifs. Reprenons la carte new yorkaise des « bons » et des « mauvais » professeurs. On voit tout de suite la multiplication des Charter schools, ces écoles à fond public mais gestion privée. Dans d’autres états, le chèque éducation permet le départ vers le privé des classes moyennes tout en pompant l’argent public et les élèves moyens pour les écoles publiques. En Angleterre, le retour au pouvoir des conservateurs a considérablement accéléré le glissement vers la privatisation. Les travaillistes avaient essayé les « academies » sur le modèle des charter schools. Les conservateurs multiplient les « free schools ». Dès qu’une école n’atteint pas les résultats attendus par les indicateurs (d’ailleurs relevés au nom de l’excellence) on la transforme en « free school » confiée à des parents ou des firmes internationales. Le gouvernement vient d’admettre que les free schools pourraient être gérées dans un but lucratif. C’est très précisément la fin de l’école publique.
Faut-il supprimer les indicateurs ? Le système éducatif a évidemment besoin de données fiables pour sa gestion et son évaluation. Toutes les données doivent-elles être publiques ? Aujourd’hui l’Etat français répond non. Les évaluations des enseignants, celles des écoles et des collèges ne sont pas publiées. L’exemple anglais montre que tous les verrous peuvent sauter très rapidement et faire glisser l’Ecole vers la privatisation en 2 ou 3 ans. En demandant la publication des indicateurs de tous les établissements, en démantelant la carte scolaire et le collège unique c’est bien sur ce terrain que le candidat président veut aller. La publication des indicateurs se situe dans ce débat. Pour le moment elle n’a pas contribué réellement à éclairer le public sur les enjeux éducatifs et à faire avancer l’Ecole.
François Jarraud
Agnès Van Zanten
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2009/105_A[…]
Sur l’assouplissement
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/16022012_A[…]
Nathalie Mons
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/21022012_[…]
L’Ile-de-France dénonce la « machine infernale » des indicateurs des lycées.
« Les lycéens d’Ile-de-France sont les premières victimes » de la publication des indicateurs des lycées, écrit Henriette Zoughebi, vice-présidente du conseil régional en charge des lycées. « Dans une région où la densité urbaine permet aux effets de mise en concurrence des établissements de jouer à plein » elle déplore la ghettoïsation de certains lycées. « Tous les lycées y perdent de la mixité sociale et scolaire », ajoute-elle. »IL est temps d’en finir avec cette conception élitiste de l’école ».
A quoi servent les indicateurs des lycées ?
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/201[…]
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