Par Nathalie Mons
« Si dans le cadre de ce drame (de Toulouse), les élites éducatives n’ont pas été en capacité de définir, à l’adresse des enseignants, ces valeurs et ces normes qui fondent la cohésion sociale à la française, c’est parce que, depuis vingt ans, les politiques scolaires… ont progressivement déconstruit cet ensemble de valeurs et de normes qui fondaient la fameuse « école républicaine » ». Nathalie Mons, maître de conférences à l’UPE MLV, analyse la déconstruction régulière de l’école républicaine accélérée sous Sarkozy. Elle pose surtout l’exigence de sa rénovation.
Si l’éducation est une des thématiques valorisées durant cette campagne présidentielle, c’est parce que la société française s’interroge, de façon aiguë en 2012, à la fois sur la réalité de son principe méritocratique – la panne de l’ascenseur social, l’accroissement des inégalités de réussite, l’impasse sociale des ghettos scolaires… mais aussi plus largement sur sa capacité de cohésion sociale et nationale. C’est sur ce terrain que récemment et tragiquement, l’affaire Mehra, paradoxalement située dans un monde fort étranger à l’éducation – le terrorisme – est venue réactiver la référence à l’institution scolaire. Aux côtés de l’institution policière, incarnée par ces hommes cagoulés de noir du RAID dont les images furent relayées en boucle par les médias, l’école a été convoquée dans le drame de Toulouse. Elle y a, en effet, joué un triple rôle symbolique qui ne tient pas au hasard : elle fut le contexte physique dans lequel furent perpétrés les assassinats d’enfants ; elle fut l’instance sociale où se déroula l’hommage aux victimes – la minute de silence fut organisée dans les classes – et enfin, elle fut le lieu où la collectivité nationale était censée penser à la fois les origines et les conséquences de ces crimes tragiques – après la minute de silence, les maîtres devaient lancer un débat avec leurs élèves sur les conditions du vivre ensemble dans la société française de 2012.
Si l’institution scolaire fut mobilisée pour penser ce drame dans les huis-clos des classes et si elle est convoquée aujourd’hui régulièrement dans le débat de la présidentielle, c’est parce qu’au-delà de sa fonction explicite de lieu de transmission de savoirs et de compétences, en France, depuis la fondation de la IIIème République qui en fit un instrument de conversion des citoyens aux vertus du régime démocratique, l’école joue ce rôle de socialisation et d’intégration politiques, culturelles, sociales et communautaires. D’ailleurs dans la rhétorique des hommes politiques, le terme « école » est le plus souvent associé à l’adjectif « républicaine », parce que comme le souligne l’historien Christian Nique (1990), l’école est « une affaire d’Etat » ou comme le précise Pierre Khan (2010), l’école est « une institution appelée à soutenir et même à fonder un régime politique démocratique ».
Or, le drame de Toulouse est emblématique de cette difficulté à penser l’école comme lieu de socialisation en 2012. Ainsi, quand le mardi 20 mars, le ministère de l’Education demanda aux professeurs des écoles d’organiser un débat autour du drame de Toulouse, aucune consigne spécifique sur le contenu des échanges ne fut donnée ou même suggérée aux enseignants, les laissant à la fois libres et terriblement seuls. La situation a pu paraître paradoxale, il n’en est rien.
Si dans le cadre de ce drame hautement symbolique, où fut évoquée, par le personnel politique, une République menacée par un acte de violence qui bafoue l’intégration nationale, les élites éducatives n’ont pas été en capacité de définir, à l’adresse des enseignants, ces valeurs et ces normes qui fondent la cohésion sociale à la française, c’est parce que, depuis vingt ans, les politiques scolaires mises en place par les gouvernements qui se sont succédé ont progressivement déconstruit cet ensemble de valeurs et de normes qui fondaient la fameuse « école républicaine », tentant d’y substituer une nouvelle matrice cognitive à ce jour peu stabilisée. En conséquence, en 2012, la situation suivante s’impose, éminemment périlleuse en termes d’effets sociaux : l’école, instance sociale majeure de socialisation en France, lieu d’apprentissage du vivre ensemble, repose sur un socle de valeurs instable, qui n’a donc pas la puissance fédératrice de l’ancien modèle républicain. Déséquilibrée dans ses fondements axiologiques originaux, l’école fait tanguer à son tour la cohésion nationale et sociale.
Ce processus de désintégration de la matrice cognitive de l’école républicaine ne date pas du quinquennat Sarkozy mais ces cinq dernières années ont été marquées à la fois par une multiplication des politiques combattant le modèle de l’école à la française et, plus important encore, par une rhétorique gouvernementale puissante autour du fait éducatif ainsi qu’un style de communication revendiquant le pragmatisme et le « parler sans tabou », dont l’efficacité s’appuie sur la déconstruction des mythes politiques français, en général, et de l’école républicaine en particulier.
Pour comprendre le processus de déconstruction axiologique à l’œuvre, campons tout d’abord les valeurs attachées historiquement à cette « école républicaine », puis montrons quelles valeurs alternatives le Sarkozysme mais aussi les régimes précédents ont cherché à promouvoir à travers les politiques scolaires mises en place.
L’école républicaine, dont la fabrication remonte aux débuts de la IIIème République mais qui offre depuis l’époque gaulliste un visage renouvelé, s’appuie sur un ensemble de valeurs phare, qui fondent d’après les historiens Bernstein et Rudelle (1992) le modèle républicain. Tout d’abord, l’unité de la République et le rassemblement national autour d’un Etat fort, impartial, conçu comme une identité transcendante, s’imposent au-delà des divisions idéologiques, religieuses ou communautaires. Cette unité nationale fonde le modèle d’intégration à la française qui refuse d’envisager les particularismes locaux, religieux ou communautaires. Cet Etat au fonctionnement bureaucratique, qui promeut l’égalité de traitement contre toute forme de discrimination – fût-elle positive – s’incarne dans un service public puissant et valorisé, soustrait aux intérêts de ceux qui le dirigent – dont l’Education dite nationale est emblématique – et dans une hiérarchie symbolique forte entre la sphère publique – supérieure – qui promeut l’intérêt général et les activités privées, plus marginales et tolérées dans l’enseignement. Socialement, l’école républicaine, dans sa version rénovée sous l’ère gaulliste, promeut la formation des élites mais aussi la démocratisation de l’enseignement à la fois dans un cadre de justice sociale, d’efficacité économique et de stabilité politique – la promotion sociale par l’éducation est un outil de lutte contre la lutte des classes. L’école républicaine est également fondée sur la valeur de laïcité ainsi qu’une vision positiviste des savoirs transmis à l’école, la formation visant à fonder une compréhension rationnelle scientifique du monde, qui s’oppose à la culture religieuse, ainsi qu’une émancipation personnelle et citoyenne.
C’est cet ensemble de valeurs qu’ont déconstruit deux décennies de politiques scolaires, avec une accélération du processus sous le présent quinquennat, laissant les acteurs de l’école -enseignants et cadres de la communauté éducative – mais aussi parents et citoyens dans un no man’s land axiologique. Ces politiques éducatives, à la fois dans les dispositifs juridiques mis en place mais aussi dans les rhétoriques gouvernementales qu’elles ont permis de déployer, s’appuient sur un matrice cognitive qui heurte violement celle de l’école républicaine. A l’unité de la République – notamment territoriale – et au rassemblement national s’est substituée la valorisation des particularismes – en particuliers territoriaux -, de l’individualisme et de la différentiation. Cette différentiation peut être, tout d’abord, territoriale, comme en témoignent les politiques de décentralisation et d’autonomie scolaire développées depuis le début des années 1980, et accélérées sous l’actuel quinquennat. La construction d’une Education dite nationale, instrument d’une République une et indivisible, est progressivement battue en brèche par l’affirmation de la nécessité d’une reconnaissance des particularismes locaux – économiques, sociaux, culturels… – sans qu’aucune action de régulation nationale n’ait été mise en œuvre pour interroger ces politiques locales et leur possible implication en termes d’inégalités scolaires.
La différentiation est aussi d’ordre pédagogique. Sous l’actuel quinquennat, la lente déconstruction du collège en témoigne. Aux côtés des collèges communs se sont développés, à l’adresse des familles socialement défavorisées, des internats d’excellence pour les élèves dits méritants et des établissements de réinsertion scolaire (ERS) pour ceux désignés comme perturbateurs. Par ailleurs, au sein même des établissements, aux côtés des classes standard, ont été créées des offres de formation atypiques, soit valorisées comme les classes européennes ou bi-langues, soit de relégation comme les classes pré-professionnelles. Ces deux formes d’offre scolaire constituent dans les établissements qui accueillent des publics socialement défavorisés des supports à la fabrication de classes de niveau scolaire mais aussi social, légalement interdites par la loi Haby de 1975 sur le collège unique. La réforme actuelle du lycée vise aussi à renforcer la différentiation pédagogique entre les établissements. La politique d’assouplissement de la carte scolaire de 2007 contribue, elle aussi, à faire évoluer les représentations des parents sur l’école, en désignant la présence de ghettos scolaires sur le territoire national, ce qui légitime l’existence d’une hiérarchie scolaire et de contextes d’apprentissage dégradés contrevenant aux valeurs d’unité nationale de l’offre scolaire et d’égalité de traitement au fondement de l’école républicaine.
Les valeurs et principes de promotion sociale et de démocratisation de l’enseignement, au cœur aussi de l’école républicaine dans sa version gaulliste, sont également attaqués frontalement par des politiques scolaires, colorées socialement, mais qui ne visent de fait que la sélection et la construction des élites scolaires et sociales. Il ne s’agit plus de fabriquer, pour tous les élèves, les conditions positives d’une ascension sociale et, dans le cadre d’une politique de discriminative positive, d’améliorer les contextes d’apprentissages de l’ensemble des élèves issus de familles défavorisées mais uniquement d’extraire dans ce vivier humain de « talents » quelques enfants qui apporteront leur contribution aux futures élites sociales. Ces politiques contribuent aussi, en mobilisant la figure emblématique du « boursier méritant » issue de l’imaginaire collectif de la IIIème République, à asseoir la légitimité d’un système éducatif présenté comme méritocratique, et donc démocratique.
La politique d’assouplissement de la carte scolaire – censée aider les élèves boursiers à sortir de leurs ghettos – , ainsi que les internats d’excellence symbolisent cette nouvelle orientation politique en présentant deux caractéristiques : 1) ces politiques ne visent qu’un nombre limité d’élèves (voir graphique ci-dessous), donc une élite, ce qui les exclut de fait de la famille des politiques de discrimination positive qui s’adressent à un groupe social considéré dans son ensemble (possibilité de graphique sur le sujet) 2) elles procèdent par exfiltration des élèves de leurs contextes scolaires, familiaux et sociaux. Elles visent donc une mobilité sociale numériquement limitée à une élite qu’elles coupent de leur terrain social d’origine.
Les internats d’excellence : une fausse politique d’égalité des chances
Figure 1 : ratio entre le nombre de places dans les internats d’excellence (modèle pur et places labellisées) sur la population des boursiers en collège et lycée (en %) (2010-2011, 2011-2012 et projections UMP futur quinquennat)
Source : auteur avec données du MEN pour les IE et population des boursiers et programme UMP
Présentée comme une politique de discrimination positive visant la démocratisation du système, la politique d’internat d’excellence ne concerne qu’une ultra-minorité des jeunes issus des milieux socialement défavorisés. Ci-dessus, le graphique présente pour les années scolaires 2010-2011 et 2011-2012 ainsi que pour le futur quinquennat (à partir des données programmatique de l’UMP), un ratio mettant en relation le nombre de places disponibles ou à venir dans les internats d’excellence (modèle pur et places labellisées) et le nombre de boursiers en collège et lycée, indicateur considéré ici comme un proxi restrictif de la population d’élèves issus de milieux socialement défavorisés (chiffres 2011-2012 et projection futur quinquennat extrapolés à partir du nombre de boursiers 2010-2011). On remarque que le nombre de places offertes en internat d’excellence ne dépasse pas aujourd’hui 1% de la population des boursiers. Même dans les projections optimistes de l’UMP, ce programme ne concernerait pas plus de 2% des boursiers collégiens et lycéens.
L’actuel quinquennat, mais aussi les précédents, ont également battu en brèche les objectifs progressistes de promotion sociale de l’école républicaine en ne développant pas certaines politiques scolaires qui auraient dû l’être. Par exemple, bien qu’inscrit dans la loi Fillon de 2005, le socle commun – cet ensemble de compétences et connaissances que l’institution scolaire se doit d’apporter aux élèves de tous les milieux durant leur scolarité obligatoire, bagage de citoyen scolaire et culturel, émancipateur et outil efficace du vivre ensemble – est resté quasi-lettre morte, du fait d’une longue indifférence du ministère de l’Education. De même, l’absence de politique réelle de démocratisation de l’enseignement s’incarne dans une allocation budgétaire qui est demeurée résolument élitiste. Par exemple, en France, l’enseignement primaire, qui doit garantir les apprentissages fondamentaux, est sous-investi par rapport au secondaire et par rapport à ce qui se pratique dans les autres pays de l’OCDE. Sous le quinquennat actuel, le taux d’encadrement s’est encore dégradé (voir graphique ci-dessous, figure 2).
Le nombre d’enseignants par élève se dégrade au primaire depuis 2008
Figure 2 : Evolution du ratio « Nombre de postes d’enseignants pour 100 élèves » dans le premier degré public (2006-2010)
Source : MEN-DEPP
Historiquement sous-financé, le primaire a subi de plus la politique de non renouvellement d’un poste sur deux dans l’Education nationale qui se traduit par une dégradation des conditions d’enseignement. Ce graphique montre ainsi une détérioration du rapport entre le nombre d’enseignants et le nombre d’élèves scolarisés dans l’enseignement primaire à partir de 2008.
Le financement dans le secondaire présente le même profil élitiste. L’écart – traditionnellement élevé – entre la dépense unitaire au collège – qui accueille tous les élèves – et celles des deux types de lycées s’est plus encore creusé depuis 2006 (voir figure 3 ci-dessous).
Les écarts de financement se creusent entre le collège et le lycée
Figure 3 : Evolution de la dépense moyenne par élève aux prix 2010 du second degré (collège, lycée enseignement général et technologique, lycée professionnel, 2005-2010)
Source : MEN-DEPP
Non réformé durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le collège unique qui scolarise toute une cohorte de jeunes a vu son financement par tête se dégrader par rapport à ceux des deux types de lycées (lycée d’enseignement général et technologique, et lycée professionnel) qui ont progressé depuis 2006.
Au-delà de la démocratisation du système scolaire, une autre valeur fondatrice de l’école républicaine, la laïcité, est aussi remise en cause. En témoignent, sous le quinquennat actuel, notamment les avantages financiers nouveaux dont bénéficie l’enseignement privé, très majoritairement catholique (voir par exemple la récente loi Carle de 2009). De même, l’enseignement privé a proportionnel moins contribué depuis 2007 à la suppression des postes de fonctionnaires que le réseau public, alors qu’il accueille des publics plus favorisés. Le renforcement de l’emprise symbolique du secteur privé se traduit aussi par l’introduction dans l’administration de l’Education nationale de nouveaux outils de gestion (contrats d’objectifs, entretiens d’évaluation, indicateurs de résultat…) qui révèlent un univers public désormais perméable aux méthodes de gestion et aux valeurs du secteur privé, comme l’efficacité, l’efficience, l’employabilité et la valorisation de l’évaluation par les résultats. Il en résulte une désacralisation du « service public ».
En liaison avec la valorisation du secteur privé, se développent également des politiques scolaires centrées sur les valeurs de mérite, liberté et responsabilité individuels, qui donnent un nouveau primat à l’individu alors que le modèle de l’école républicaine valorisait davantage le collectif. Ces politiques offrent notamment un champ d’action plus large, au moins en théorie, à un acteur longtemps marginalisé à l’école : les parents. Depuis 2007, ces derniers sont censés pouvoir exercer de nouveaux droits – voir par exemple le choix de l’école à travers l’assouplissement de la carte scolaire – mais aussi en retour sont responsabilisés au regard du comportement, notamment absentéiste, de leurs enfants (voir la récente loi Ciotti sur la suppression des allocations familiales aux familles d’élèves absentéistes). Ces politiques offrent, donc, de nouvelles opportunités aux familles pour améliorer le contexte d’éducation de leurs enfants – opportunités parfois fort théoriques – mais, en contrepartie, elles opèrent un transfert de responsabilité depuis l’institution scolaire – qui devait sous le modèle républicain assurer sur tout le territoire national un enseignement de qualité – vers les familles, qui se trouvent à la fois libres mais, pour les plus défavorisées, tragiquement seules dans cette confrontation au destin scolaire et social de leurs enfants. En assurant un primat de l’individu, en valorisant le mérite et la liberté individuels, ces politiques nient l’incidence des milieux sociaux différents sur les carrières scolaires.
Individualisme, mérite, responsabilité et liberté individuels, différentiation et personnalisation, valorisation des valeurs issues du secteur privé – efficacité, efficience et employabilité – et remise en cause de la laïcité constituent bien les nouvelles valeurs promues par les politiques entamées depuis deux décennies et dont la rhétorique s’est amplifiée durant le quinquennat actuel. Certes si ces nouvelles politiques se sont imposées c’est parce, en partie, le modèle de l’école républicaine n’avait pas tenu ses promesses. Mais au lieu de moderniser cette école de la République pour que les écarts entre principes affichés et réalité de terrain s’amenuisent – révolution scolaire qu’ont connue d’autres pays développés – les élites politiques françaises se sont bien dirigées vers un nouveau modèle de système scolaire plus libéral, qui n’emporte pas à ce jour l’adhésion des acteurs de terrain (communauté éducative et majorité des parents) qui souscrivent encore fortement au mythe puissant et très structurant de l’école républicaine.
Or la persistance de ce mythe, dans des contextes politiques désormais incertains, doit nous interroger. Il s’agit d’un atout certain pour l’école mais aussi la société française, si le mythe demeure crédible, c’est-à-dire si l’écart entre les valeurs affichées et les politiques scolaires réellement mises en place n’est pas trop important. En effet, comme le relève Girardet dans Mythes et mythologies politiques (1986), le mythe politique construit la cohésion sociale d’un groupe humain. Car il possède bien trois facettes. Certes tout mythe s’impose comme une mystification, une déformation objectivement récusable du réel. Mais il constitue aussi – et c’est son intérêt social – un récit qui, tout se référant au passé (« en ces temps là », « il était une fois » …) conserve dans le présent sa force explicative du réel, fabrique une grille au travers de laquelle peuvent s’ordonner les événements chaotiques et incertains du quotidien. Il joue ainsi un rôle de restructuration mentale de l’imaginaire politique en « rendant à l’histoire présente une intelligibilité perdue » (Girardet, 1986). Enfin, récit explicatif, le mythe est aussi « une puissance mobilisatrice », qui joue un rôle de restructuration sociale et s’impose comme « un instrument de reconquête d’une identité compromise ». D’après Girardet, « c’est sur les deux plans, celui de la réinsertion sociale de l’individu « anonymisé » et celui de la restructuration du groupe, qu’il tend à lui apporter un certain type de réponse ». Les mythes – et particulièrement dans la société française, dont l’imaginaire collectif est fertile et fonde la cohésion sociale – sont donc utiles au vivre ensemble.
C’est, entre autres, parce que le mythe de l’école républicaine a été progressivement déconstruit sans qu’aucun autre modèle politique symboliquement puissant n’y soit substitué que l’école tangue et, partiellement par ricochet, la société s’interroge sur les fondements du lien social. Alors que la campagne présidentielle a mis, pour une fois, au cœur des réflexions l’éducation, il faut s’interroger sur les deux voies possibles qui s’offrent à ce pays : tourner le dos à 180 degrés au passé scolaire et inventer une nouvelle école fondée sur des valeurs libérales que les Français peinent à endosser ou rénover le modèle de l’école républicaine dont les valeurs sont des garde-fous vigoureux, en ces temps politiques incertains, contre la montée des nouvelles formes de communautarisme et de désintégration sociale. Cette modernisation -cette seconde voie – ne peut se faire qu’en proposant très concrètement une nouvelle organisation scolaire aux Français qui permettra réellement de réduire fortement l’écart entre principes affichés et réalité de terrain et en incorporant, mais en les retravaillant selon le prisme du modèle républicain, certaines des nouvelles valeurs – par exemple, l’individualisme, la libéralisation des allégeances traditionnelles qui du fait renouvellement les rapports entre individus et institutions. Ces nouvelles valeurs reflètent des changements sociétaux devenus incontournables qui dépassent et donc s’imposent à l’école mais qu’elle peut apprivoiser et retravailler en son sein.
Nathalie Mons
Maître de conférences en sociologie à l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée
Cet article est la version longue d’une tribune publiée par Le Monde le 5 avril 2012
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