Par François Jarraud
Le ministère de l’éducation nationale et le ministère de l’enseignement supérieur ont présenté le jeudi 15 mars aux organisations syndicales un projet d’arrêté « fixant le cahier des charges de la formation des professeurs, documentalistes et conseillers principaux d’éducation. ». Même s’il évoque à plusieurs reprises dans le texte, les « instituts universitaires de formation des maîtres » , montrant ainsi le caractère purement idéologique et revanchard de la loi Grosperrin votée par l’Assemblée Nationale il y a quelques semaines ( et heureusement bloquée par le Sénat) qui visait à totalement les faire disparaître de tous les textes réglementaires, cet arrêté synthétise tous les dangers de la mastérisation dénoncés dans les différents rapports concernant cette question et ne peut qu’accentuer la crise de recrutement que nous connaissons actuellement.
Aucune évocation d’articulation entre les contenus du master et ceux des concours de recrutement
Tous les rapports précédents sur le mastérisation avaient insisté sur la nécessité de bien articuler contenus du master d’enseignement et préparation aux concours de recrutement. Le comité de suivi des masters l’avait dit dès décembre 2009 : « Le principe même de la cohabitation au sein d’un même dispositif de formation de plusieurs objectifs sans réelle articulation (préparation à un concours et préparation à une insertion professionnelle hors concours) induit un risque de construction trop disséminée entre ces objectifs sans permettre une vraie acquisition de savoirs et de compétences. »
Le rapport de Jean-Michel Jolion « Mastérisation de la formation initiale des enseignants : enjeux et bilan » indiquait en octobre 2011 : « Trancher sur le rôle du concours : Le concours ne peut être qu’initial ou final. Dans le premier cas, le concours ouvre sur une formation professionnelle et l’exercice d’un métier. Dans l’alternative, il intervient a l’issue d’une vraie formation professionnelle dont le concours tient compte. Un concours pendant l’année de master devra donc tenir compte des stages en situation, stages de fait rendus obligatoires. Dans cette solution, une meilleure articulation entre l’admissibilité et l’admission doit permettre de ne pas accumuler les deux phases du concours sur les deux derniers semestres du cursus. Notre préférence va donc à une admissibilité en fin de M1. »
Le projet d’arrêté actuel escamote la question.
Le concours de recrutement qui est pourtant décisif et indispensable pour devenir professeur stagiaire, n’est évoqué dans ce projet d’arrêté qu’à une seule reprise dans le texte lorsque celui-ci indique pour la formation dispensée en master : « La formation dispensée dans le cadre des masters intégrant une préparation aux concours des métiers de l’enseignement ».
Rien sur les dates des concours qui pèsent tant sur l’organisation des formations, rien sur leur articulation entre les différents contenus concernés, les stages… Cette absence signifie-t-elle que la logique actuelle des deux ministères concernés est celle qui prévalait dans le premier rapport Grosperrin rejeté par la commission concernée de l’Assemblée Nationale, à savoir la suppression des concours de recrutement pour un recrutement par les chefs d’établissements pour ceux possédant le master ?
Le projet d’arrêté a de ce point de vue la clarté de s’inscrire dans ce projet, mais il a l’inconvénient de mettre les étudiants durant les deux années de master dans une situation que l’on ne peut que juger « impossible à réaliser » avec un empilement et une surabondance d’éléments de validation (modules disciplinaires, mémoire, modules complémentaires de préparation au concours, stages en responsabilité, etc.)…
Des « travaux d’Hercule » impossibles à réaliser par des étudiants de master
Qu’on juge de l’empilement proposé par le projet d’arrêté fixant le cahier des charges de la formation des enseignants !
« Sont intégrés au cursus de formation,
– des apports en pédagogie et en didactique,
– la connaissance du système éducatif sous ses aspects les plus concrets (fonctionnement d’un établissement, missions des membres de la communauté éducative, contraintes réglementaires, en particulier le caractère prescriptif des programmes, dispositions budgétaires, juridiques, statutaires régissant un établissement ou une école),
– la connaissance des élèves et de leur diversité, des degrés d’enseignement, des curricula, du processus d’orientation, des acteurs et partenaires de l’acte éducatif, de l’éthique du métier, de l’innovation et de l’expérimentation pédagogiques, des méthodes de conduite de la classe. Autant d’éléments permettant à l’étudiant d’avoir une vision complète de l’enseignement qu’il aura à dispenser, de la fonction qu’il aura à exercer et de son environnement professionnel.
La formation offre à chaque étudiant une initiation à la recherche ; cette dimension fait partie de son bagage professionnel et lui donne les moyens d’analyser et de faire évoluer ses pratiques tout au long de sa carrière, en prenant en compte les évolutions scientifiques et sociétales. Chaque étudiant doit être en mesure de réaliser une lecture informée et critique des travaux scientifiques propres à éclairer ses futures pratiques professionnelles.
Elles comportent des stages d’observation et de pratique accompagnée, puis des stages en responsabilité, ,sur la base des dispositifs mis en place au niveau académique… La formation doit prévoir, comme pour tout diplôme national de master, une ouverture à l’international indispensable à l’insertion dans l’espace européen de l’enseignement supérieur. Elle intègre à ce titre un enseignement en langue vivante étrangère et des dispositifs de mobilité … La formation intègre également l’utilisation, dans le cadre de l’enseignement, des outils et des ressources offerts par le numérique. A cette fin, elle peut s’appuyer sur le référentiel de compétences du certificat informatique et internet de niveau 2 (C2i) . »
Cet empilement de contenus à réaliser durant le master auquel il faut ajouter la préparation de écrits et des oraux de concours serait risible s’il n’y avait pas derrière des étudiants angoissés, devant souvent travailler pour continuer leurs études ? A vouloir tout condenser sur quelques mois, on ne peut qu’aboutir à l’inverse, c’est-à-dire à mettre en énorme difficulté le jeune reçu aux concours lorsqu’il se trouvera devant sa classe sans avoir le recul que peut lui fournir une année de stage en alternance.
La progressivité de l’entrée dans le métier qui existe pour la quasi-totalité des professions est ici allègrement foulée aux pieds par un texte qui accumule les connaissances au cours des années de masters et de préparation aux concours, sans d’ailleurs rendre les stages obligatoires pour les concours, et qui précipite les jeunes à plein temps dès leur réussite au concours. Il est clair qu’une telle accumulation qui nécessiterait pour être mise en œuvre de travailler 24 heures sur 24 sans aucune période de vacances ne peut que rebuter des étudiants qui s’interrogent sur la possibilité d’exercer le métier enseignant alors même que celui-ci traverse une grave crise de recrutement. Comme l’a dit Maryline Baumard dans un article du Monde concernant un texte précédent se situant dans le même esprit : « Il sera matériellement impossible aux étudiants-si brillants soient-ils- de faire preuve d’ubiquité. (Pour les CAPES) ils devront entre février et fin avril, ils devront assurer la préparation de leurs épreuves orales du concours et avancer leur travail de recherche nécessaire à la validation de leur master. Le stage dans une classe du secondaire devient dès lors la cerise sur le gâteau. »
Autre bizarrerie de ce texte ; alors même que les ministres concernés n’ont que ce mot à la bouche, quitte à l’instrumentaliser, le terme « laïcité » est totalement absent de ce cahier des charges !!! On peut se demander à juste titre si le rédacteur de ce projet a l’attitude « éthique et responsable » réclamée aux enseignants lorsqu’il écrit un texte qui d’évidence sera impossible à sérieusement mettre en œuvre…..
Le maintien d’une année de stage à « exercice professionnel complet » est confirmé
« Les professeurs stagiaires sont évalués, au terme d’un exercice professionnel complet en pleine responsabilité, sur la maîtrise de chacune de ces compétences exigibles pour l’exercice de leur métier….. A l’issue du concours, les fonctionnaires stagiaires sont placés en situation d’exercice du métier et affectés dans une école ou un établissement scolaire… Le volume de formation et d’accompagnement dispensé est équivalent, au plus, à un tiers de l’obligation réglementaire de service du corps auquel appartient le stagiaire.. »
Ces phrases signifient clairement qu’on se situe dans une logique des « quatre-tiers » (!) pour le fonctionnaire stagiaire lors de sa première année d’exercice. Il aura à accomplir un « exercice professionnel complet » sur lequel il sera évalué et en plus, il suivra une formation « équivalent à un tiers de l’obligation réglementaire de service du corps ». A aucun moment, il n’est écrit que cette formation viendrait « en décharge » du temps de l’exercice professionnel complet. Le fonctionnaire stagiaire est donc appelé à avoir un service de 18 heures plus six heures de formation… Il s’agit sans doute de le préparer à avoir un tel service tout au long de sa carrière…
Ce cahier des charges n’a pas une dimension nationale
Ecrire dans ce projet d’arrêté qu’il est possible : « d’adapter l’offre de formation et à répondre aux besoins particuliers de chaque académie, dans une logique de politique de site », c’est dans la même logique que la disparition des concours nationaux de recrutement, la mise en œuvre de formations différenciées suivant l’université ou l’académie concernée.
La Conférence des Directeurs d’IUFM (CDIUFM) et la Conférence des Présidents d’Université (CPU) ne s’y sont pas trompés qui parle dans leur communiqué respectif du fait que la rédaction de cet arrêté conduit à « reconnaître que la dimension nationale de la formation des enseignants est forclose. »
Cela conduit inévitablement à des différences de traitement des étudiants suivant le lieu où ils se trouveront. Les étudiants, dans un certain nombre de cas, serviront de cobayes à tel ou tel dosage comme celui établit par les « masters en alternance » qui sont maintenus dans le projet d’arrêté, dont on ignore ce à quoi ils aboutissent concernant la réussite aux concours et la qualité de l’exercice du métier enseignant au profit de la réussite des élèves.
Il faut refonder la formation initiale et continue des enseignants
La situation actuelle est marquée par une très grave crise de recrutement des métiers enseignants qui ne peut qu’être accentuée par la rédaction de tels projets. Alors que la session 2011 des concours de recrutement du second degré (public et privé) s’était traduite par la non attribution, faute de candidats, de plus de 1400 postes, on se dirige au vu du chiffre des admissibles pour la session 2012 vers une non-attribution de plus de 1800 postes. Il est donc urgent de tout faire pour rendre attractif le métier enseignant, notamment en assurant aux étudiants souhaitant l’exercer une véritable formation.
Il est donc indispensable que dès la rentrée 2012 soit :
– rétablie une véritable année de stage pour les reçus aux concours de recrutement comprenant une décharge de service pour permettre la mise en place de périodes de formation
– modifiée les dates et les contenus des concours de recrutement pour les sessions à venir
– mieux articulée la préparation des concours, leur déroulement, le processus de titularisation et l’obtention du master
– prévue la mise en place de pré recrutement pour éviter la ségrégation sociale qui se développe dans l’accès au métier enseignant.
Il faut reconnaître le fait que si « enseigner, c’est un métier », cela passe nécessairement par la mise en place de véritables écoles supérieures professionnelles pour ce métier … Ces écoles conventionnées avec l’Université auraient le pilotage de la formation initiale et continue sur la base de véritables cahiers des charges à dimension nationale tournant le dos à ce type de projet d’arrêté.
Deux questions peuvent être posées. Les épreuves d’admission ne doivent-elles pas se situer en fin de M1 à la suite des épreuves d’admissibilités pour lier en deuxième année de master, pour des professeurs-stagiaires rémunérés, le stage, la titularisation et l’obtention du master ? Ne serait-il pas intéressant pour le second comme pour le premier degré, de mettre en place des épreuves communes pour les épreuve d’admissibilité des CAPES et CRPE, et des épreuves différenciées pour l’admission construite sur une dominante possible correspondant à l’affectation future du stagiaire : par exemple, dominante collège, dominante lycée ou maternelle et élémentaire ?
La question des spécificités de l’enseignement en collège mérite d’être évoquée. Alors que l’enseignant s’appelle professeur de lycée et collège, quasiment aucun CAPES ne prévoit d’épreuves spécifiques obligatoires concernant ce niveau alors qu’une majorité de nouveaux enseignants y seront nommés. Le (la) jeune reçu(e) au CAPES qui se retrouve en collège se vit très souvent dans une situation de souffrance, voire de déclassement, car à aucun moment, la spécificité de ce niveau n’a été abordée concrètement durant sa formation universitaire et sa préparation au concours.
Après la titularisation, il est indispensable de construire un accompagnement à la prise de fonction sur le premier poste de titulaire qui ne devra pas être inférieur à dix jours de formation sur l’année permettant de travailler avec le nouveau nommé les spécificités des classes, de l’établissement et de son environnement.
Il serait également indispensable de prévoir l’obligation pour tous les personnels de suivre au moins une fois tous les 5 ou 6 ans une semaine de formation continue d’actualisation qui abordera notamment les réflexions et avancées concernant la ou les disciplines enseignées, les avancées de la recherche en éducation et les mutations intervenues dans le système éducatif, notamment dans les niveaux où n’enseignent pas les personnels suivant la formation.
Jean-Louis Auduc
Liens :
Le projet d’arrêté
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Docume[…]
Dossier Formation des enseignants
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Page[…]
La formation des enseignants selon Hollande
« Face à la crise du recrutement, François Hollande préconise notamment qu’il soit « fait en sorte de financer des études longues, avec une filière de prérecrutements pour former des enseignants le plus vite possible, dès la licence, de façon à orienter les vocations et à aider les jeunes à financer leurs études », explique Claude Lelièvre sur son blog. Revenant sur l’évolution du candidat socialiste sur cette question, il précise. « Le 26 févier, Vincent Peillon a ajouté que l’on introduira dans cette formation professionnelle « certains éléments fondamentaux, comme par exemple une sensibilisation à la médecine scolaire, aux situations de crise, à la e-éducation » tout en indiquant que « pour la ‘’proportion’’, tout est en discussion, et cela devrait sans doute dépendre des niveaux ».
Sur son blog
http://blog.educpros.fr/claudelelievre/2012/02/26/la-f[…]
La FSU condamne le nouveau projet d’arrêté sur la formation des enseignants
« Loin de restaurer une formation digne de ce nom, il entérine les dispositions contestées en 2010 et 2011 : l’affectation sur des services complets pendant l’année de stage, la fiction d’une formation professionnelle s’ajoutant au temps devant élève, l’utilisation des étudiants comme moyens d’enseignement, l’accompagnement en établissement par des tuteurs non formés », écrit la FSU à propos du projet de texte qui sera proposé au Cneser le 19 mars. « Contrairement à ce qui est affirmé dans ce cahier des charges « les principes de continuité et de cohérence de la formation professionnelle des enseignants sur l’ensemble du territoire » ne peuvent être garantis par le renvoi à des partenariats locaux « au gré » de différents paramètres. » La FSU demande le retrait de ce texte. JL Auduc, dans L’Expresso du 19 mars a analysé ce projet d’arrêté.
Communiqué FSU
http://www.fsu.fr/Apres-la-proposition-de-loi
Belgique : Quelle formation pour les enseignants ?
« La formation doit-elle consacrer des enseignants « prêts à l’emploi » ou prêts à se construire ? » La question est posée par le magazine « Profs », une publication de la Communauté française de Belgique. Le numéro 12 de Profs est totalement consacré à la publication du rapport officiel d’évaluation des enseignants en Belgique. Après la consultation d’un millier d’enseignants et plusieurs forums, une équipe universitaire a alimenté un riche débat sur la formation des enseignants. C’est ce qui nous vaut ces bonnes questions : « Comment articuler formation initiale, entrée dans le métier et formation continuée ? Quelle formation pour les formateurs de futurs enseignants ? »
Le rapport
http://www.enseignement.be/index.php?page=26566
Sur le site du Café
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