Par François Jarraud
Ceux qui attendaient des idées nouvelles à l’occasion des voeux du président Sarkozy au monde de l’éducation et de la recherche en sont pour leurs frais. Présenté à l’occasion des voeux au monde de l’éducation et de la recherche, le programme du futur candidat ne fait que prolonger l’action gouvernementale : baisse de moyens, réforme de l’évaluation des enseignants, développement de filières de relégation pour les jeunes en difficulté, réforme de l’enseignement professionnel. Les seules nouveautés consistent en l’annonce d’une réforme du collège, une remise en question plus décomplexée du principe d’égalité d’accès à l’éducation et la refonte du statut des enseignants. Le cap fixé il y a 5 ans reste d’actualité.
Pour le futur candidat, le discours ne pouvait éviter le bilan du quinquennat. Nicolas Sarkozy a dressé un bilan très positif de l’action de son gouvernement. Ainsi, grâce à elle, les résultats des écoliers se sont formidablement améliorés. « Le nombre d’élèves de CE1 ayant des acquis solides a progressé de 16% en français, de 11% en maths » a affirmé le chef de l’Etat, se basant sans doute sur les évaluations nationales dont les résultats sont pourtant fort contestés. Selon cette évaluation, le taux d’élèves ayant des acquis solides et très solides en français est passé de 72% à 79% depuis 2009. N Sarkozy a aussi vanté le million d’élèves suivant l’accompagnement éducatif, un dispositif pour le moment pas évalué sérieusement.
Mais l’essentiel du discours a été réservé au programme du candidat. Un programme qu’il faudra faire sans moyens supplémentaires. « Si la question c’est uniquement la hausse du budget, nous devrions avoir les enseignants les plus heureux du monde », a affirmé N Sarkozy. Il demande de « faire mieux avec les mêmes moyens ». Au passage il critique la proposition de F. Hollande. « La paupérisation est un problème immense pour la société française. Il faut continuer à réévaluer la condition enseignante », a déclaré le président. Avant d’ajouter : « Mais si on augmente le nombre d’enseignants, est-ce que vous croyez que la société française aura les moyens de faire l’augmentation du nombre d’enseignants et la revalorisation ? »
Un point très important concerne le collège. Le chef de l’Etat a annoncé la fin du collège unique, car « le collège unique n’arrive pas à prendre en compte la complexité des élèves ». Il invite à « recentrer la 6ème et la 5ème sur les fondamentaux (français et maths probablement) et à assurer « la diversité des parcours en 4ème et 3ème. Il n’est pas normal que le collège ne prépare pas à la voie professionnelle ». C’est une allusion claire au développement de filières de pré- apprentissage, du type des actuels DIMA.
Le lycée professionnel serait aussi fortement réformé. N Sarkozy a repris l’idée de faire en alternance la dernière année de CAP et de bac pro. « S’il y a plus de chômage en France qu’en Allemagne c’est qu’il y a moins d’alternance » a -t-il dit. Les lycées professionnels vont déjà perdre du fait de la réforme du bac pro 38 000 élèves en 2012. Le passage à l’alternance accélérerait leur déclin.
La réforme du métier enseignant est l’autre point important. « Ce dont souffrent les enseignants c’est le décalage entre ce que la société demande et la réalité des élèves », affirme le président. « Ca va impliquer d’accepter de nouvelles manières de travailler, d’être davantage présent dans les établissements en contrepartie d’avoir une rémunération augmentée ». « Je tiens au projet de réforme de l’appréciation des enseignants car c’est un pas vers cette nouvelle conception des professeurs » ajoute N Sarkozy. Il se déclare pour l’évaluation des enseignants par les chefs d’établissement « à condition que les compétences disciplinaires soient évaluées par les inspecteurs ». La formule est compatible avec le projet de décret qui prévoit d’associer les inspecteurs à la grille d’auto évaluation de l’enseignant.
Quelle cohérence ? Si bien des points du discours sont critiquables, le discours de N Sarkozy montre une grande cohérence avec l’action entreprise ces 5 dernières années. La même vision libérale de l’Ecole est réaffirmée. Celle d’une école qui sélectionne et élimine tôt au nom de l’égalité des chances. « On a confondu égalitarisme et égalité des chances » affirme N Sarkozy. C’est aussi un mode de gestion où l’autonomie des établissements permet leur mise en concurrence, un pilotage par des tests d’évaluation et un contrôle étroit des enseignants. N. Sarkozy ne peut ignorer que c’est là qu’il rencontrera la plus forte résistance à son projet. Plus qu’une nouvelle manière de travailler c’est une dégradation et une transformation profonde du métier enseignant qu’il souhaite opérer. Le paradoxe c’est que cette perspective tienne lieu de « voeux » au monde de l’éducation.
F Jarraud
Le programme UMP
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pa[…]
Les réactions syndicales au voeux présidentiels
Qu’apporte le discours de N Sarkozy ? Pas grand chose de neuf annoncent les syndicats. T Cadart (Sgen Cfdt), B. Groison (Fsu) et C. Chevalier (Se-Unsa) décryptent un projet « qui ne peut pas être celui de l’Ecole de la République ».
« On n’attendait pas grand chose », nous confie Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen Cfdt, compte tenu du calendrier et des contraintes budgétaires. On a la confirmation que N Sarkozy entend poursuivre la politique menée depuis 5 ans sur les restrictions budgétaires et le développement d’une gestion humaine de type de celle qui est appliquée pour les établissements Eclair ». Pour le secrétaire général du Sgen, il y a un fort écart entre le volontarisme affiché du discours et la réalité de l’action. « Si on regarde le bilan de N Sarkozy, on voit peu d’évolution et beaucoup de blocages. Il n’y a pas d’analyse sur ce qui créé des difficultés au système éducatif. Le président reste dans des vérités de premier niveau. Il n’a pas de véritable politique éducative et il n’a ni les moyens budgétaires ni les ressources de discussion pour changer l’Ecole. Il n’y a rien au delà des vérités banales et des préceptes idéologiques sur l’excellence et le recrutement des meilleurs. La pommade passée aux enseignants à la fin du discours ne peut pas faire oublier 5 années de restrictions ». Interrogé sur le rappel par le président de l’évaluation des enseignants par les chefs d’établissement, T Cadart estime que la position de Sarkozy est moins fermée que le projet de départ. « On reste dans la négociation. Elle peut faire bouger les choses ».
Pour Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, interrogée par le Café, « le discours est dans la continuité de que Sarkozy fait depuis qu’il est candidat. Ce qui est le plus frappant ce sont les absences. Le président ne dit rien sur ce qu’il faut faire face à l’échec scolaire. Il n’évoque pas la formation des enseignants, le travail en équipe, ou même les personnels non enseignants ». Sur l’évolution du statut des enseignants, B Groison estime que « des évolutions sont possibles. Mais c’est agaçant d’entendre le président dire que les enseignants ne travaillent pas beaucoup. Ils travaillent bien au-delà des 18 heures et les études de l’Education nationale montrent que c’est plus de 35 heures par semaine. En fait N Sarkozy ouvre cette question pour la refermer aussitôt en la réduisant au travailler plus. On aimerait qu’il y ait un vrai débat sur le métier aujourd’hui et qu’à partir du débat on voit s’il y a des adaptations à faire. Ne prenons pas les choses à l’envers… ». Sur le collège unique, B Groison estime qu’il faut « lever les ambiguités ». « Je vois dans le discours de N Sarkozy le retour aux paliers d’orientation et au rejet vers la voie professionnelle des élèves fragiles. C’est contradictoire avec les propos tenus sur la voie professionnelle. Si ce retour à l’orientation précoce se faisait on serait loin du collège pour tous. Ce ne serait pas acceptable ».
Pour le Se-Unsa, « N. Sarkozy annonce aujourd’hui la poursuite de sa politique d’étouffement budgétaire. Il la couple à une vision libérale et rétrograde dans laquelle le collège deviendrait une machine à exclure. Là où il faudrait lutter contre la difficulté scolaire, c’est une orientation sans issue qui est proposée. Quant à l’autonomie accrue des établissements, présentée comme le moyen de restaurer l’autorité des enseignants, elle est, de fait, prétexte à une mise en concurrence dévastatrice pour la cohésion sociale. D’un coté les « classe affaire», de l’autre les établissements « low cost ». Le syndicat ironise sur la promesse d’augmentation de la rémunération, « il en avait pris l’engagement dans sa « lettre aux éducateurs » de 2007… et les personnels attendent toujours ! » Pour le SE-Unsa, « ce projet ne peut être celui de l’École de la République ».
« Nouveau modèle plus efficace » ou « liquidation du modèle républicain d’éducation », les réactions du corps politique aux voeux de N Sarkozy sont aux antipodes…
» Est-ce être libéral de vouloir prendre le problème à la base en redéfinissant le métier d’enseignant et de vouloir mettre fin aux faiblesses du collège unique en diversifiant les parcours afin de favoriser la réussite de tous nos enfants ? », demande le député UMP J. Grosperrin ? Il vante un « nouveau modèle, plus efficace et surtout adapté aux besoins des élèves ».
» Alors que l’école française, après 5 ans de présidence Sarkozy et deux législatures de droite, connaît des difficultés sans précédent et les plus mauvais résultats de son histoire, le candidat Sarkozy voudrait restaurer une autorité qu’il a lui même sapée comme Président, et revaloriser une profession dont il a tellement dégradée la condition que la France peine aujourd’hui à recruter des professeurs », répond V. Peillon, chargé de l’éducation dans l’équipe de F. Hollande. « Pourquoi croire qu’il fera demain le contraire de ce qu’il a fait hier et qu’il continue à faire aujourd’hui ? D’autant plus qu’à bien entendre ses propos – refus de restaurer les moyens supprimés, volonté de ségrégation précoce des élèves, développement d’une autonomie qui sans moyens ne pourra jamais être pédagogique, on voit se dessiner la véritable philosophie d’un président qui se veut le liquidateur du modèle républicain d’éducation ».
Pour François Hollande, « on pourra faire tous les modèles que l’on voudra, et Nicolas Sarkozy est un expert, il est très difficile d’enseigner sans enseignants ». Le candidat socialiste dénonce « une école à l’anglo-saxonne, avec une compétition entre établissements, un système où l’enseignant est choisi, ou en tout cas noté, par le chef d’établissement… D’un côté, une éducation sur un modèle libéral, presque compétitif, avec moins d’enseignants et hiérarchisé autour des chefs d’établissement. De l’autre, un système qui se réforme et lutte contre l’échec scolaire. » F Hollande maintient son projet de recruter 60 000 professeurs et personnels dans l’éducation.
Par Jean-Louis Auduc
Quelle philosophie peut bien sous-tendre les actuels discours et décisions présidentiels concernant l’école ? A bien regarder les textes publiés et les discours prononcés, je n’en vois qu’une : le libéralisme autoritariste, c’est-à-dire l’essai de fusionner une fausse liberté pour les personnels avec une démarche autoritaire bien réelle.
Lorsqu’on observe attentivement le discours du président de la République de début janvier, le décret sur la gouvernance et les projets concernant l’évaluation des enseignants, tout concourt à sacrifier la liberté pédagogique des personnels et des établissements au profit d’une gestion administrative autoritaire du système éducatif. Ce qui compte, c’est l’administration du système et non les démarches pédagogiques visant à la réussite des élèves. La disparition de la formation initiale des enseignants, sur laquelle il n’est plus question de revenir, s’inscrivant bien évidemment totalement dans cette démarche.
Dans son discours de début janvier, Nicolas Sarkozy a été muet non seulement sur la formation des enseignants, mais aussi sur la réforme du lycée ou les dispositifs pédagogiques en direction des élèves en difficulté… Toutes ses propositions s’articulent autour d’un établissement résumé à son seul chef d’établissement et au développement de la concurrence entre établissements, alors que toutes les recherches ont bien montré l’importance d’un projet collectif et d’un travail en équipe à tous les niveaux.
L’approche comptable est le seul critère mis en avant concernant les personnels et sous-tend les propositions concernant l’enseignement professionnel. De manière autoritaire et sans tenir compte des expériences extrêmement intéressante des « périodes de formation en entreprise » menées dans la voie professionnelle, il s’agit avec l’obligation d’une année d’apprentissage dans les cursus des diplômes professionnels de supprimer 50% des enseignements pendant un an. Autant de postes à supprimer !
Le décret sur la gouvernance du système éducatif est la mise en application de cette logique du triomphe de l’administratif sur le pédagogique. En éloignant le centre de décisions des réalités du terrain, des acteurs des collectivités territoriales, c’est une gestion autoritaire des moyens du système éducatif qui s’annonce. Bien loin de favoriser l’autonomie, il s’agit là sous l’égide d’un responsable nommé par le ministre sur des critères peu transparents et révocable par lui ( dont il faut rappeler que depuis le début 2011, il n’est plus obligatoire qu’il ait été universitaire !) d’organiser un système encore plus rigide qu’aujourd’hui.
Il y a une parfaite cohérence dans la volonté de voir les futurs enseignants recrutés directement par le chef d’établissement sans avoir passé un concours de recrutement comme le proposait le rapport Grosperrin et la disparition du corps des Inspecteurs d’académie recrutés par concours sur leurs compétences. On préfère le renforcement du pouvoir des Recteurs choisis et nommés par le ministre et /ou le Président de la République sur des critères plus politiques que pédagogiques que celui des recrutés par concours qu’étaient les IA-IPR-DSDEN.
Quant à l’évaluation des enseignants par les chefs d’établissements, les débats actuels montrent qu’il s’agit plus d’une évaluation administrative que pédagogique, ce qui ne correspond pas aux besoins actuels de notre système éducatif où les enseignants n’ont pas besoin d’être formatés, mais d’être formés.
Oui, l’école française a besoin d’être profondément transformée ! Ce serait une grave erreur de penser qu’elle gouvernance administrative resserrée pourrait suppléer la disparition de toute formation des enseignants. Une telle démarche ne peut que se traduire par un autoritarisme renforcé vis-à-vis des personnels et ne sert en rien la réussite des élèves. Au cœur du métier enseignant, il y a la nécessité de permettre aux élèves de tirer profit des apprentissages scolaires. Cela passe avant tout par une véritable formation initiale et continue des enseignants; une facilitation de projets pédagogiques d’équipe au niveau de l’établissement, des différents niveaux, de la classe, de la discipline; une valorisation des démarches pédagogiques innovantes transférables. Autant de démarches qui tournant le dos au libéralisme autoritarisme qui tend à se mettre en place.
Jean-Louis Auduc
Sur le site du Café
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