Pour Jean-Louis Auduc, le « Pacte contre l’échec scolaire » de l’AFEV pose problème sur un point : il oublie que l’échec scolaire est massivement un phénomène masculin. Il convient donc de prendre en compte cette singularité et pour y remédier d’essayer de la comprendre. » Il est fondamental dans ce domaine de réfléchir aux contenus de ce que pourrait être une pédagogie différenciée adaptée à chacun et permettant la réussite de tous dans des classes où il faut à tout prix construire une mixité positive.’
Le journal Libération a publié le jeudi 12 janvier le texte d’un « Pacte contre l’échec scolaire » à l’initiative de l’AFEV ( Association de la fondation étudiante pour la Ville), signé par une cinquantaine de personnalités, plusieurs syndicats et associations. Ce texte plein de générosité me pose problème.
Lutter efficacement contre l’échec scolaire implique de bien poser le diagnostic sur les réalités existant en France dans ce domaine.
Or, cet appel en considérant l’élève comme un être asexué, occulte la caractéristique fondamentale de l’illettrisme et du décrochage scolaire en France : c’est qu’il concerne très majoritairement les garçons. A refuser de voir cette réalité, on risque des e tromper sur les moyens à mettre en œuvre !
Ce texte se caractérise par le refus de voir que derrière les élèves, il y a des filles et des garçons avec des résultats scolaires, notamment dans le domaine de la lecture, très différenciés. Depuis, trop longtemps, les élèves ont été vus en France comme des êtres asexués et l’analyse des résultats par genre est un sujet ignoré. Qu’on se souvienne du débat sur la lecture lancé il y a cinq ans concernant les méthodes d’apprentissage de la lecture. A aucun moment n’est apparu dans ce débat l’écart considérable filles/garçons.
Pourtant le rapport « Les inégalités à l’école » du Conseil économique social et environnemental (CESE) publié en septembre 2011 a bien mis en exergue cette particularité de l’échec scolaire précoce français qu’il faut clairement diagnostiquer pour pouvoir le combattre efficacement. » Ce qui est préoccupant dans le cas de la France est que le différentiel de performance filles-garçons se soit creusé ( +11 points ) depuis 2000 un peu plus fortement que la moyenne de ses partenaires… La représentation par genre des niveaux les plus faibles dans les enquêtes PISA est particulièrement éloquente. Elle montre la concentration de la difficulté scolaire sur les garçons. En France, 26% des garçons ( plus d’un garçon sur quatre !) n’atteignaient pas, en 2009, le niveau de compétence 2 en lecture, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel ».
Tous les jeunes garçons, quel que soit leur milieu social, sont concernés. Les échecs « paradoxaux » : enfants de classes sociales supérieurs aisées échouant à l’école, concernent quasiment tous des garçons, alors que les réussites « paradoxales » : enfants de milieux défavorisés réussissant parfaitement à l’école, concernent quasiment toutes des filles.
Pourtant, lorsque se conjugue, comme le rappelle le rapport de l’OCDE sur le système éducatif français, la fracture sociale, ethnique et sexuée, les résultats sont « terribles » pour les garçons….. (1)
Quelles explications à cette situation à l’entrée dans l’école ?
Que nous dit le rapport Eurydice « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire : Etude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe » publié en 2010 et très critique sur les pratiques du système éducatif français ?
Ce n’est pas l’allergie à la lecture qu’il faut évoquer, mais des difficultés à entrer pour le jeune garçon dans le « métier d’élève », dans la tâche scolaire. Compte tenu des stéréotypes fonctionnant encore dans les familles et dans la société, les filles qui effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des jeunes garçons, savent mieux maîtriser les différentes composantes des tâches scolaires, composantes du métier d’élève :
– L’énoncé, l’ordre donné
– L’accomplissement
– La Validation
– La Correction
– La Finition
On sait combien la non-maîtrise de ces composantes est pénalisante pour certains garçons qui vont refuser les corrections, et ne pas tenir compte de ce que signifie la finition en « bâclant » souvent leur travail scolaire.
Pourquoi cet état de fait et ce refus d’accomplir pour une partie des garçons les cinq composantes d’un tâche scolaire ?
Nous nous trouvons ici face aux conséquences du formatage préétabli dans la toute petite enfance par l’éducation familiale, créateur de stéréotypes des rôles sociaux masculins et féminins. Le partage des tâches domestiques permettant une identification du garçon comme de la famille à ceux qui les accomplissent reste en 2011 une non réalité, puisque les enquêtes 2011 montrent que le partage des tâches à la maison entre hommes et femmes n’a quasiment pas bougé depuis 40 ans : 80% des tâches domestiques sont assurées par les femmes. 86% des femmes se disent « décisionnaires » pour les courses. 82% des femmes se disent « décisionnaires » dans l’éducation des enfants.
Si l’école ne prend pas en compte ces réalités, constructrices de stéréotypes dans sa pédagogie et ses approches, elle les conforte de fait.
Concernant la tâche scolaire, dans de nombreuses familles, les filles effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des garçons qui vont les regarder faire et ne pas agir. Elles vont donc rapidement comprendre ce qu’est un ordre précisant la tâche à accomplir, à exécuter cette tâche, à attendre la validation de ce qu’elle a réalisé, à corriger ce qu’elle a mal exécuté et a terminer le travail demandé. Les filles apprennent donc souvent les cinq composantes d’une tâche avant d’entrer à l’école. Elles n’ont donc aucune surprise à les retrouver dans la classe à l’école, ce qui n’est pas le cas des garçons qui vont ne découvrir les composantes des tâches qu’en entrant dans l’école, donc avec un retard concernant ce qu’est le métier d’élève.
La liaison école/collège
Rapprocher l’école du collège risque de rester un élément inefficace dans la lutte contre le décrochage scolaire, s’il n’y a pas une réflexion sur le fait qu’en France l’absence de rites de sortie de l’enfance pèse lourdement sur la crise d’identité des garçons entre 10 ans et 14 ans au collège.
Dans la construction de sa personnalité, le jeune, spécifiquement le garçon, parce qu’il vit moins dans son corps le la sortie de l’enfance que les filles qui lorsqu’elles sont réglées savent qu’elles peuvent potentiellement être mère, a toujours eu besoin de rites d’initiation, de transmission et d’intégration. L’absence de réflexion sur le corps (le grand absent du socle commun) , sur les rites de passage collectifs fait que le garçon, moins mature que la fille est en crise d’identité face à un monde où tous les métiers s’occupant de l’humain sont féminisés (du médecin à l’avocate en passant par l’enseignante). Il se sentira démuni n’ayant pas de modèle identificateur et sera beaucoup plus enclin à décrocher face à des difficultés scolaires.
Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de rites d’initiation et de transmission, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laisse le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de « bandes », de divers groupes, voire par des sectes ou des intégrismes religieux.
Si l’on veut éviter que le groupe, la bande, la communauté ne soit le seul élément initiatique repérable ,il faut rétablir des rituels d’intégration sociale, par exemple pour marquer la sortie de l’enfance et l’entrée dans l’ère de la responsabilisation (13 ans est juridiquement en France ce moment); pour marquer l’entrée dans l’âge adulte, les établissements scolaires, les centres d’apprentissage. Les mairies doivent organiser des cérémonies pour marquer ce moment décisif de rupture que représente « être majeur » avec les droits et obligations que cela représente.
Sylvie Ayral a bien montré la relation entre cette crise d’identité et la violence masculine dans les collèges. Dans son enquête sur les sanctions au collège « La fabrique des garçons » (2) , elle a bien montré que plus de 80% des violences en collège étaient le fait de garçons ce qui l’a amené à penser « que pour les garçons la sanction est un véritable rite de passage qui permet à l’heure de la construction de l’identité sexuée, d’affirmer avec force sa virilité, d’afficher les stéréotypes de la masculinité, de montrer que l’on ose défier l’autorité ».
Quelles pistes de travail ?
La confusion est maintenue par certains entre pédagogie différenciée filles et garçons et abandon de la mixité, alors que dans ce domaine, le rapport Eurydice ( voir plus haut) essaie de sortir du débat piégé : classe ou école non mixte ; classe mixte en mettant bien en avant les expériences où dans une classe mixte, il y a des moments séparés non mixtes pour mieux favoriser les apprentissages et la réussite de tous. « Certaines écoles primaires ( En Ecosse et dans les pays nordiques) séparent les filles des garçons pendant de courtes périodes durant la journée, sans organiser de classes non mixtes fixes. L’idée est d’offrir plus d’espace à la fois aux garçons et aux filles ». Le rapport Eurydice de l’Union européenne en présentant ces dispositifs indique qu’ils sont liés à des réflexions sur la façon de lutter contre l’échec scolaire et les problèmes comportementaux. « Elles permettent aux enseignants d’employer des stratégies éventuellement plus adaptées pour un genre ou l’autre ».
Il n’est plus possible pour la France d’en rester à la situation actuelle tant l’échec scolaire précoce masculin est précoce et pèse sur notre société.
Les inégalités dans la réussite scolaire apparaissent pour une bonne part liées à une pédagogie inadaptée qui pénalise massivement les garçons et particulièrement ceux des milieux défavorisés où les familles ne peuvent compenser les manques de l’école. Le défaut français d’enseigner pareillement à tous les élèves sans prendre en compte leurs spécificités, leurs rythmes, apparait comme responsable d’un échec scolaire précoce, dès la maternelle, des garçons face à des filles plus matures dans certains domaines. Il est fondamental dans ce domaine de réfléchir aux contenus de ce que pourrait être une pédagogie différenciée adaptée à chacun et permettant la réussite de tous dans des classes où il faut à tout prix construire une mixité positive.
Jean-Louis Auduc
Liens :
Dossier SOS garçons !
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/leleve/Pages/20[…]
Filles et garçons dans le système éducatif français. Une fracture sexuée
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/130307Fi[…]
A propos du rapport d’Eurydice
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010/06/Eur[…]
L’école peut-elle abriter la guere des genres ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2010/f[…]
Notes
1- Tableau réalisé à partir d’une étude de la Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) de 2010, publié dans les cahiers Pédagogiques de Février 2011 en illustration de l’article de Françoise Lorcerie : « La discrimination institutionnelle des garçons maghrébins. »
2- Sylvie Ayral, La fabrique des garçons. PUF 2011
Les filles résistent mieux aux chocs familiaux
Pourquoi un tel écart entre filles et garçons dans les résultats scolaires ? On sait que l’écart est attesté dans la plupart des pays développés. Une récente étude publiée par le National Bureau of Economic Research et réalisée par M Bertrand (University of Chicago) et J. Pan (Univesrity of Singapoure) apporte un éclairage nouveau à cette question. Basée sur le suivi de 20 000 enfants américains de la génération 1998 elle explique le décalage par l’influence familiale ou plutôt par une réceptivité différente aux aléas familiaux. Selon elle les filles résisteraient mieux aux accidents familiaux alors que les garçons seraient beaucoup plus affectés par les séparations parentales. Les filles seraient plus résilientes que les garçons.
L’étude
http://www.nber.org/papers/w17541
Sur le site du Café
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