Par François Jarraud
Faut-il titrer sur les 93% de collégiens satisfaits du climat scolaire de leur établissement ou sur les 6% victimes de harcèlement? Les deux nombres sont aussi importants. On retiendra d’abord de cette enquête qu’il a fallu attendre 2011, Chatel et surtout E Debarbieux pour que la France prenne en compte scientifiquement la question de la violence scolaire.
En avril 2010, la mission sur les violences en milieu scolaire avait demandé cette enquête de victimation. Durant les Assises sur le harcèlement en mai 2011 elle était en cours de réalisation auprès d’un échantillon représentatif de 18 000 collégiens. Elle est maintenant publiée par la DEPP, la Division des études du ministère de l’éducation nationale.
L’étude établit que 93% des élèves se sentent bien dans leur collège; 86% jugent les relations avec les enseignants bonnes ou très bonnes et un taux équivalent se sentent en sécurité dans l’établissement. Avec de tels taux les variations selon les genres ou le type d’établissement sont très faibles. Cette enquête contredit donc tout catastrophisme.
Mais un tiers des élèves trouvent les punitions injustes et les relations se dégradent avec l’ancienneté dans le collège. « Alors que 5%des élèves de sixième pensent qu’on n’apprend pas bien dans leur collège, ils sont 14%parmi les élèves de troisième. De même, 23%des élèves de sixième trouvent les punitions injustes contre 38 % des élèves de troisième ».
La violence impacte directement le climat scolaire. « Les élèves qui n’ont connu aucune des neuf situations violentes psychologiques ou physiques présentées plus haut sont 90 % à se trouver dans la tranche concernant le climat scolaire le plus positif. Cela ne concerne que 27%des élèves dans une situation de harcèlement. »
L’enquête montre aussi que les formes les plus répandues de la violence sont les plus minimes : insultes, vol de fourniture scolaire. Les blessures et menaces avec arme représentent touchent de 3% des élèves. Les violences à caractère sexuelle concernent 6% des élèves. 9% des élèves sont victimes de cyberharcèlement.
Pour l’essentiel, « la violence est en très grande partie interne au collège et s’exerce entre pairs : ainsi, en cas d’insulte, dans 96 % des cas, un élève ou un groupe d’élèves du collège a été impliqué. Les cas où l’auteur de la violence est uniquement un adulte du collège ou une personne extérieure au collège sont ainsi extrêmement rares ».
6%des élèves déclarent un nombre de victimations qui pourrait indiquer une situation de harcèlement. Les élèves de 6ème, les garçons sont davantage victimes de violence scolaire; les filles de violence sexuelle. Il y a globalement peu de différences entre collèges ordinaires et RAR (éducation prioritaire) sauf pour les viloences graves , les insultes à caractère religieux ou raciste.
http://media.education.gouv.fr/file/2011/49/0/DEPP-NI-[…]
L’analyse d’Eric Debarbieux
http://media.education.gouv.fr/file/10_octobre/52/9/V[…]
L’enquête SIVIS
http://media.education.gouv.fr/file/2011/48/6/DEPP-NI-2[…]
Les Etats généraux de la sécurité : recommandations
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/04/eg03.aspx
Les Assises sur le harcèlement
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2011/r[…]
Le harcèlement de nature sexuel banal à l’Ecole
Selon une étude nationale américaine réalisée pour l’Association américaine des femmes universitaires, la moitié des adolescents (collégiens et lycéens) ont fait l’expérience d’une forme de harcèlement de nature sexuel. Et presque tous témoignent que cela a eu un effet négatif sur eux.
Ce harcèlement peut prendre la forme de remarques et moqueries, souvent sur l’orientation sexuelle, il peut être physique, il s’effectue aussi par Internet (30% des cas). Les filles sont plus exposées que les garçons. Seulement un quart des victimes en parlent à leurs parents et environ un dixième à un adulte de l’établissement scolaire. La moitié des victimes n’en parle à personne. L’étude propose des mesures à prendre comme une pénalisation accrue, un lieu d’écoute anonyme.
L’étude
http://www.aauw.org/learn/research/crossingtheline.cfm
Eric Debarbieux : « Il n’y a pas de recettes mais des politiques longues. On ne fera pas cesser la violence avec des trucs »
Chargé de mission par Luc Chatel, Eric Debarbieux est à l’origine de l’étude que vient de publier la DEPP (Division des études et prospective du ministère). Il revient sur ce travail et ne montre les principaux enseignements. Lutter contre la violence scolaire est affaire d’idéologie et de formation plus que de caméras de surveillance. On ne s’en sortira pas sans un effort collectif forcément long de prise de conscience et de mutation des pratiques pédagogiques. L’effort devra durer au delà du quinquennat…
Que trouve-t-on de neuf dans cette nouvelle étude qui n’ait pas déjà été formulé dans les rapports précédents comme celui de l’Unicef ou celui réalisé pour le ministère en avril dernier ?
Je suis tenté de dire comme vous : en apparence pas grand chose. Ce qui est neuf c’est l’enquête elle-même, le fait que ce que je réclamais depuis 15 ans ait eu lieu. C’est la première enquête nationale et le ministère y a mis des moyens humains. On sort enfin du bricolage avec une enquête réalisée sur un échantillon représentatif de près de 18 000 collégiens ce qui lui donne un caractère irréprochable. Il faut maintenant pérenniser ce travail, réaliser une enquête similaire tous les deux ans. La promesse des Etats généraux a été tenue. Et c’est une enquête qui a fait consensus avec les syndicats et les parents car elle ne permet pas d’identifier les établissements, elle ne stigmatise personne.
En ce qui concerne ses résultats, l’enquête confirme la rareté de la victimation lourde. Les élèves ne sont pas si mal que cela au collège ce qui un bon point pour apprendre. Mais elle confirme aussi qu’un enfant sur dix est victime de microviolences. Et on sait que celles-ci peuvent entraîner le décrochage scolaire et des problèmes de santé mentale. Elle montre un point nouveau : le fait que l’écart entre les collèges RAR (réseau ambition réussite c’est à dire enseignement prioritaire) et les autres n’est pas aussi important qu’on pouvait le craindre sauf pour les violences lourdes. Il faut donc prévenir le harcèlement partout. La question des écarts entre établissements reste cependant à creuser. On peut penser qu’il y a des établissements où les résultats sont moins bons. Si l’on peut faire des enquêtes locales on dispose maintenant d’un thermomètre national étalonné. On pourra aussi approfondir la question de la sensibilité en fonction des données sociales. Il faudra aussi travailler sur la violence de genre ou sur les associations de types de violences. La base de données de l’enquête sera mise à la disposition des chercheurs.
Il faut tirer notre chapeau à la volonté de transparence du ministre. Avec cette enquête officielle il ne va plus être possible de fermer les yeux et il va falloir en tirer des leçons. Par exemple l’enquête montre que les violences verbales comme les violences physiques (à 89%) sur les élèves sont le fait d’élèves de l’établissement. L’idée que l’agression vient de l’extérieur à l’établissement et donc qu’il faut l’enfermer est remise en question. La conséquence c’est que la violence ne peut se traiter que par la pédagogie.
Le sentiment d ‘injustice est très présent chez les élèves : un tiers d’entre eux le ressentent. Comment lutter contre ?
On pourrait penser que les élèves qui disent ressentir ce sentiment réagissent en adolescents. Mais ce sont les mêmes qui disent du bien de leur professeur. Il faut donc penser qu’il y a un vrai problème de justice scolaire. On a eu relativement peu de réflexion collective sur cette question. Les nouveaux textes parus récemment au B.O. et issus des Etats généraux vont dans le bon sens : celui d’une justice réparatrice, de la peine alternative. Il ne s’agit pas de ne pas punir. Mais de le faire de façon intelligente. Il faut donc une formation initiale qui comprenne ces questions, une réflexion sur les sanctions et les punitions dans les établissements c’est à dire au final sur le climat scolaire car les deux questions sont liées. Il faut une approche systémique et travailler les relations entre adultes et élèves.
Constatez vous une évolution des formes de violences ?
L’enquête montre que près de 9% des élèves sont victimes de harcèlement par SMS ou par internet. C’est évidemment un phénomène nouveau et important. On va d’ailleurs organiser en juin à Paris une conférence internationale sur ce sujet. Une autre évolution c’est celle de la violence de groupe. Dans certains établissements elle prend une forme identitaire. C’est une forme plus difficile à affronter car on va contre la socialisation par les pairs.
Mais tout cela nous rappelle que les évolutions sont lentes et que les changements sont forcément longs aussi. Pour lutter contre le harcèlement et le faire baisser de moitié, la Finlande et l’Angleterre ont mis de 10 à 20 ans de politique suivie. Le consensus sur ces questions est donc indispensable.
Quelles recommandations peut on faire pour lutter contre ces violences ?
La première c’est d’être à l’écoute du harcèlement. Le harcèlement a toujours existé . Mais maintenant on en connait bien les conséquences sur les victimes et sur les harceleurs qui, il faut le rappeler , sont toujours les perdants du système éducatif. Cette prise de conscience est une partie de la solution. Les victoires sont parfois idéologiques. Arrêtons de voir la prévention uniquement sous la forme de caméras et de clôtures.
Les solutions sont pédagogiques, dans la formation des enseignants, dans la façon dont les équipes sont attentives. Il n’y a pas de recettes mais des politiques longues. On ne fera pas cesser la violence avec des trucs. Nos routines éducatives doivent être de protection.
Propos recueillis par François Jarraud
Le Dossier du Café sur le harcèlement :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages[…]
Sur le site du Café
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