Pour décrire ce qu’est l’école au quotidien, des enseignants et une mère d’élève, déléguée FCPE sont venus témoigner, échanger sur leur perception de la réalité et des enjeux de l’éducation aujourd’hui. Parcours différents, regards divergents, la table ronde a offert un panorama large des idées et des pratiques.
L’école en commun
Ils ont en commun la passion de l’école, une passion née de rencontres, une passion parfois chevillée depuis l’enfance. Jacques Dell’Armellina, enseignant de mathématiques en collège, aime son métier, un amour puisé dans le respect que ses parents avaient pour l’école, dans ses activités sportives, dans sa pratique quotidienne aussi. Sa façon d’enseigner, de gérer la classe, d’en faire un espace où tout le monde se sent bien, il l’a trouvée au contact de son tuteur lors de sa formation d’enseignant. Il l’a nourrie de son expérience à Saint Denis au sein d’une équipe impliquée dans les projets éducatifs.
Beatriz Malleville, déléguée Fcpe s’est engagée au départ pour l’école afin de mieux comprendre le système dans lequel sa fille aînée était entrée. « Je ne comprenais pas ce que l’on pouvait faire à l’école maternelle ». D’origine mexicaine, elle a grandi dans un système scolaire inégalitaire où le privé garantissait plus de réussite. En France, elle a découvert un système autre, une école de qualité, publique, laïque et obligatoire. Elle s’est révélée militante, avec une envie forte de défendre un système qui se dégrade aujourd’hui.
Nicolas Cariven, fils de profs, a d’abord voulu échapper au métier d’enseignant. Il a voyagé, a appris la poésie auprès d’un mentor puis a décidé de devenir prof. A Clichy sous Bois, lieu de son premier poste, il a poursuivi son apprentissage comme il l’avait fait avec son mentor, en s’imprégnant des connaissances, de l’expérience de ses collègues plus anciens. Au bout de cinq ans, il a eu l’impression de pouvoir travailler dans une zone violente de façon harmonieuse. Aujourd’hui, il enseigne le français dans un lycée de Montech.
Dienaba Dia, enseigne le français au lycée agricole public de Marseille après avoir été contractuelle pour l’Education Nationale notamment à l’Ile de la Réunion. Elle apprécie d’enseigner dans des classes à faible effectif, dans un établissement où les projets sont encouragés, dans un système ouvert sur son environnement et où la culture a toute sa place.
Fatima Keskas est enseignante en Rased, milite pour le maintien des Rased. Elle a choisi l’enseignement après une expérience de pionne dans un établissement difficile où la communication entre les élèves empruntait le mode de la violence. Elle s’est interrogée sur l’accueil des élèves dans les classes, dans l’école. Cette interrogation l’a menée progressivement vers l’enseignement spécialisé. Elle a alors bénéficié d’une formation qui lui a enfin fourni les éléments et les outils qu’elle recherchait.
Benjamin Chemouny a enseigné en classes spécialisées (Clis, segpa) en Zep et en Rar. Il est aujourd’hui enseignant en CP à Toulouse. « Rien d’étonnant dans mon parcours » nous dit-il, juste une envie d’enseigner très ancrée. Il a beaucoup réfléchi à la gestion de la classe, à la communication avec les élèves pour faciliter les apprentissages. Au fil du temps, il a acquis une expérience qu’il partage dans un ouvrage.
La crise en divergences
La crise de l’école, ils la constatent et la vivent tous mais réagissent différemment. Jacques se souvient d’une fin d’année où l’équipe pédagogique était minée, avait l’impression de ne plus avoir prise sur les décisions, les évènements. Elu au conseil d’administration, il constatait la baisse de la dotation horaire, les suggestions émises, les protestations qui ne recevaient aucun écho. A la rentrée, l’équipe s’est rassemblée pour que l’énergie collective ne s’émiette pas face aux baisses des moyens. Ils se sont aménagé un temps de paroles où les enseignants partagent problèmes et solutions, construisent des projets. Fatima emprunte la voie militante, pour elle la crise ne sera résolue que par une solution politique, une solution sur laquelle elle souhaite influer avec d’autres dans une mobilisation constante. Dienaba recherche des solutions immédiates aux problèmes rencontrés par ses élèves, dans la formation, dans des outils sur les dys par exemple. Pour elle, il ne faut pas attendre le politique pour agir. Les enseignants ont la possibilité de changer des choses dans le quotidien de la classe. Béatrriz prône la co-éducation pour favoriser la construction de la personnalité de l’élève. Il faut construire un projet pour un élève qui est aussi un enfant. On ne doit pas laisser les oppositions entre partenaires de l’école se développer. Les relations dans la classe et avec les parents sont aussi pour Benjamin une façon de résister à la crise, de veiller à favoriser l’apprentissage de tous les élèves. L’avis de Nicolas est plus détonant. Il considère que l’école doit rester un endroit clos, se construire contre les possibilités offertes à l’adolescent de se former dans la société. Pour lui, « l’école se tire une balle dans le pied en préparant uniquement à entrer dans la société ». L’enseignant se met au service du savoir et ne doit plus être guidé par ses émotions. L’enseignant est là pour servir le savoir de façon à ce que les élèves admirent sa majesté en dehors de la personne de l’enseignant.
Stratégie de la construction collective, du partenariat, du militantisme, des biais individuels, de la sacralisation, chacun développe sa stratégie pour contourner la crise de l’école et continuer à exercer son métier en conformité avec ce qui l’a motivé à devenir enseignant. Dans les divergences de stratégies, on lit les différences mais aussi toute la difficulté à contrer les assauts d’un dérèglement de l’école. Les différences sont bénéfiques, les divergences amènent à une certaine passivité. Le sursaut viendra peut être des parents d’élèves qui comme Béatriz ne se résolvent pas à regarder impuissants un système se déliter.
Monique Royer