Par François Jarraud
Le ministère a présenté aux inspecteurs un dispositif de « repérage de élèves présentant des risques pour les apprentissages » destiné aux enseignants de grande section de maternelle. Il prévoit le dépistage de façon froidement bureaucratique des enfants « à risque » et leur traitement par l’enseignant avant une évaluation finale. Ce document, qui rappelle le rapport de l’Inserm de 2005 et le rapport Benisti, fait l’unanimité des syndicats qui appellent déjà à son boycott.
Ce sont en fait deux documents qui ont été réalisés par le ministère. Le premier présente les phases du repérage et du traitement de « l’aide à l’évaluation » des enfants. Dès cette année, en novembre et décembre les enseignants devraient faire passer des « épreuves étalonnées » identiques portant sur le comportement à l’école, le langage, la motricité et la conscience phonologique. Ces tests ont été réalisés par le laboratoire cognisciences de l’université de Grenoble. La seconde phase serait celle des « entraînements » où les élèves jugés « à risque » ou « à haut risque » seraient regroupés de façon homogène durant les heures d’aide personnalisée, de façon quotidienne, selon « une ritualisation forte ». La dernière phase serait celle des évaluations des acquis entre mai et juin. Elle porterait aussi bien sur la compréhension de consignes que sur la compréhension de texte lu, la connaissance des nombres ou le « devenir élève ».
Le second document est le guide destiné aux enseignants comportant l’outil de repérage appelé « Matris GS ». Inspiré d’un outil médical, le BSEDS 3, il transforme les enseignants en apprentis médecins en leur demandant de remplir des grilles d’observation du comportement de l’élève , de sa motricité et de sa conscience phonologique. ON aboutit ainsi à une fiche élève qui permet de statuer si l’élève est « à risque » ou « à haut risque ». La période « d’entraînement » où l’enseignant est sensé aider l’élève n’est pas documentée. Le document revient sur l’évaluation finale avec des fiches précises sur le langage, la compréhension et le devenir élève. On évalue par exemple si l’élève est « courtois », s’il ne monopolise pas la parole, s’il respecte l’intégrité des personnes ou des biens, s’il utilise « les formules habituelles de politesse ».
Ce document n’a qu’une apparence scientifique puisque le dépistage médical est proposé à des enseignants. C’est d’autant plus regrettable qu’il aboutit à une classification d’ enfants de 5 ans entre « à risque » et « à haut risque », avec toutes les conséquences sociales que l’on peut imaginer d’une telle qualification. C’est aggravé par le dispositif dit d’entraînement qui invite clairement à regrouper les enfants « à risque » de façon « rituelle » de façon quotidienne : on peut craindre une forte stigmatisation et des tentatives de formatage des enfants. Enfin l’importance accordée aux comportements, dont on sait bien à quel point ils peuvent varier, dans les observations, l’appel à des critères aussi flous que la courtoisie, montre que l’on s’éloigne du domaine scolaire.
Les syndicats montent au créneau. Le dispositif recueille une opposition assez universelle. Les parents de la Fcpe estiment qu’il s’agit « d’un dispositif de normalisation des enfants de 5 ans » et exigent « le retrait immédiat » de ce « projet honteux ». Le Sgen Cfdt le juge « absurde, contre productif et un peu effrayant ». « Le ministère s’apprêterait à enfermer tous les petits français de 5-6 ans dans des catégories dont tous les adultes de bon sens savent qu’elles ne peuvent avoir que des effets ravageurs sur la motivation et la capacité de grandir et d’apprendre ». Le Sgen demande l’abandon du projet. Le Snuipp demande aux enseignants de boycotter ce dispositif. Pour le syndicat, « la maternelle n’est pas une école de la compétition ». Le Se-Unsa évoque « une conception erronée des apprentissages » avec des épreuves « inadaptées ». « Ce programme nie les compétences des enseignants de maternelle qui savent reconnaître les élèves rencontrant des difficultés en les évaluant dans des activités signifiantes au moment opportun ». Le Se-Unsa appelle à signer une pétition contre ce projet.
Venant après l’ épisode des rapports Inserm et Bénisti, il est surprenant que l’éducation nationale se soit lancée dans un projet aussi peu raisonnable. Pour le moment le ministère ne fait pas de commentaires sur cette affaire. Un comportement à classer « à risque » ?
Le document ministériel
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/[…]
L’avis de la fcpe
http://www.fcpe.asso.fr/index.php/actualites/item/242-evaluation[…]
Communiqué Snuipp
http://www.snuipp.fr/Fiches-et-selectionnes-a-5-ans-C
Communiqué Se Unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article3896
La pétition
http://pasdetrienmaternelle.fr/
Menteurs, voleurs, sécheurs (2005)
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2005/parents_[…]
Repérage en maternelle : Le ministère s’explique
« Il n’y a aucune contrainte ». Interrogé par le Café le 13 octobre, René Macron, chef du bureau des écoles au ministère éclaire pour nous les conditions de publication et le contenu de la fameuse évaluation exigée en grande section de maternelle. On l’a mal compris : le ministère n’ envisage pas de rendre ses outils obligatoires, encore moins de ficher les élèves. Mais il est certain de proposer la seule bonne méthode…
Quelles sont les finalités de ce dispositif ?
Il s’agit de prévenir les difficultés d’apprentissage de la lecture chez ces enfants d’école maternelle. Nous savons aujourd’hui que les élèves qui risquent d’avoir des difficultés d’apprentissage de la lecture sont les mêmes que ceux qui au début de la grande section ont des difficultés à apprendre et à maitriser la conscience phonologique. D’où l’idée, née de plusieurs études, que pour prévenir des difficultés il y a intérêt à apporter des aides grâce à une pédagogie particulière à des enfants de grande section qui ont du mal à maitriser la conscience phonologique. On propose de fournir aux enseignants deux outils : un outil de repérage et un outil d’aide à la conception de modules pédagogiques adaptés pour aider ces élèves.
Mais, dans ce qui est publié, il n’est pas question que de la conscience phonologique. Il y a des choses comportementales. Par exemple, repérer si l’élève utilise des formules de politesse.
Il y a deux choses différentes. Il y a un outil de repérage en novembre décembre et un outil de bilan. C’est dans ce dernier qu’il y a ce que vous évoquez. Ils n’ont pas les mêmes finalités. Le premier repère les élèves. Vous y avez aussi des éléments comportementaux par exemple la capacité à l’attention. On voit bien que cela a un intérêt à l’attention. L’autre outil sert au bilan de fin d’année et s’appuie sur les programmes. Les termes utilisés sont simplement ceux des programmes.
Il devient quoi ce bilan ? A quoi ça sert d’avoir ces remarques comportementales ?
Les enseignants l’utilisent pour le passage en CP. Ca sert à savoir si l’élève a atteint les objectifs du programme.
L’outil de début d’année aboutit à des séances « d’entraînement » répétées pour les élèves repérés. N’y a-t-il pas un risque de stigmatisation de ces élèves ?
Le mot entraînement est une traduction de l’anglais « training », il n’est pas vraiment adapté et on utilisera un autre terme. Mais l’idée de mettre en place des petits groupes homogènes est bien connue. A priori c’est un mode d’enseignement explicite connu et qui fonctionne. Je ne crois pas que cela pose problème. La stigmatisation par contre c’est un vrai problème. C’est la question de la prévention. Quand on conduit des apprentissages si on fait de la prévention il faut intervenir avant l’échec et donc que certains élèves soient l’objet d’une pédagogie adaptée à leur besoin. Il faut alors trouver le moyen d’expliquer à leurs parents cette proposition pédagogique. Ce n’est pas de la stigmatisation mais la réalité. On va s’appuyer sur l’aide personnalisée parce qu’elle nécessite l’accord des parents. Ce n’est pas souhaitable d’apporter une aide spécifique sans l’accord des parents. Les enseignants savent expliquer aux parents.
Vous avez l’impression que les termes utilisés sont maladroits ?
Pas du tout. Ce qui a été publié est un document de travail non publiable daté du 29 août. C’est un document non mis en forme et dont n’ont été publiés que des extraits. S’il avait été question d’un document publié par l’Education nationale, il aurait été légitime qu’une certaine émotion se manifeste. Mais ce n’est pas le cas. C’est un document de travail daté alors que le document a évolué depuis.
Vous pensez que l’émotion actuelle est illégitime ?
Elle n’est pas légitime car elle proteste contre un document contraignant alors qu’il n’y a aucune contrainte et que rien n’est publié par l’éducation nationale.
Vous allez maintenir ?
On va maintenir l’idée qu’à l’école maternelle il faut faire de la prévention et intervenir en aide auprès des élèves avant qu’ils ne soient en échec. Nous continuons à préparer pour les enseignants de GS des outils d’aide à la mise en oeuvre des programmes gratuits dont ils peuvent se servir ou ne pas se servir. On n’a jamais eu l’intention de publier une instruction contraignante obligeant les enseignants à faire passer ces tests d’évaluation ou, pire encore, à alimenter un fichier des élèves. Sur la forme, il est vrai qu’ il y a des mots comme « à risque », ou « entraînement » qui ne passent pas en français.
Quel rôle vont avoir les inspecteurs si ce n’est pas contraignant ?
Ils vont faire leur travail : accompagner les enseignants, faire de la formation, aider les enseignants et contrôler. Ils ne vont pas contrôler l’outil utilisé mais le fait qu’on repère les enfants en difficulté et qu’on les aide comme le demande le référentiel. Si les enseignants ne veulent pas utiliser les outils qu’on met à leur disposition ils en utilisent d’autres. Ils font ce qu’ils veulent. La contrainte c’est d’évaluer en début d’année par une évaluation diagnostic les élèves, apporter des aides et en fin d’année faire le bilan. Je peux admettre que le mot entraînement n’est pas un bon mot. Mais quand la recherche nous indique que telle démarche est efficace autant l’utiliser.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur cette évaluation :
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/10/1310[…]
Sur le site du Café
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