Par François Jarraud
Critiquées de toutes parts, les notes n’ont plus la cote. Mais ce n’est pas pour autant que l’approche par compétences séduise les enseignants. D’autant que le premier contact, qui rompt avec une tradition d’ évaluation plus que centenaire, prend la forme du livret personnel de compétences (LPC), un fastidieux pensum bureaucratique, un vrai antidote au plaisir d’enseigner. Pourtant des collèges ont spontanément sauté le pas. Ils expérimentent la suppression des notes. Et ils s’en trouvent bien. Mieux : ils y trouvent du plaisir !
« C’est une enseignante de passage dans l’établissement qui a lancé l’idée », explique Jean-Claude Rogeon, principal du collège Guiton à La Rochelle. L’établissement fait partie des 9 établissements des Charentes Maritimes qui expérimentent des classes sans notes (au total 10 classes). C’était en 2009. L’année dernière des enseignants volontaires ont repris l’idée et ils ont obtenu une journée de stage pour rencontrer des enseignants de collèges plus avancés. « La fait de rencontrer des enseignants qui pratiquent déjà ça permet de dédramatiser et ça installe dans le concret », explique JC Rogeon. Et à cette rentrée le collège à ouvert une classe de 6ème sans notes. Au collège H. de Fonsègue de Surgères, où la classe sans notes a ouvert à la rentrée 2007, Sandrine Guibert, professeure d’histoire-géo et coordinatrice de la classe, explique que le processus s’est installé sur une année. « On a commencé à y travailler en février. Au printemps on a constitué une équipe de volontaires. A la rentrée on a ouvert la classe et commencé à travailler sur les grilles de compétences. En novembre on a rédigé les nouveaux bulletins trimestriels ». Depuis la classe a trouvé sa place dans cet établissement.
Pourquoi avoir fait ce choix ? Les cadres parlent du rôle moteur du LPC. Les enseignants mettent toujours en avant des motivations liées aux difficultés des élèves, même si, d’après Guy Stiévenard, l’inspecteur d’académie, les classes existantes appartiennent à des établissements très différents. Ce qui saute aux yeux c’est qu’en entrant dans ce projet les enseignants se sont réappropriés la maitrise de leur métier et pas mal de plaisir. Ce sont des équipes volontaires qui se sont lancées et elles ont retrouvé des libertés perdues ailleurs. Ainsi, à Surgères, l’établissement s’est plié aux nécessités du projet pour les emplois du temps des enseignants, qui disposent d’un temps de coordination quotidien, et des élèves qui bénéficient d’heures d’études augmentées et organisées de telle sorte que deux enseignants de l’équipe suivent les élèves, un en aide aux devoirs un autre en remédiation. Les enseignants ont aussi obtenu du temps de formation sur site. Ils ont défini leur projet, imaginé leurs critères et leurs outils d’évaluation, réfléchi à la communication avec les parents (classeur référentiel, bulletin accompagné d’explications, conseils pour suivre les enfants etc.). Ils pilotent réellement leur projet, grâce à un encadrement bienveillant. Le grand moteur du passage au « sans notes », c’est la découverte du travail en équipe. « Des équipes réelles », précise JC Rogeon, qui travaillent et imaginent ensemble.
Pourtant ces équipes se sont heurtées à des résistances. « Ce n’est pas facile à développer après un siècle de tradition autre », rappelle Guy Stiévenard. Dans les collèges mentionnés, toutes les disciplines ne partaient pas avec la même connaissance de l’évaluation par compétences. En EPS et en SVT elle était déjà bien installée. Dans les autres disciplines il a fallu imaginer les grilles. Il a fallu aussi abdiquer son superbe isolement au moins un moment de l’année pour poursuivre des objectifs pluridisciplinaires. Et puis il y a le cas des enseignants remplaçants , souvent à cheval sur plusieurs établissements, et qui prennent ce drôle de tarin en marche. Mais le principal problème ce sont les parents. A La Rochelle, le principal est allé présenter le projet dans les écoles primaires. Il a emballé 17 familles. Il a fallu en convaincre 8. D’après G Stiévenard, sur les 9 établissements, un seul problème sérieux s’est posé dans un collège où une association de parents d’élèves voulait des notes. « Ils voulaient être certains de pouvoir apprécier el niveau de leur enfant ». Il faut dire que le classeur référentiel, où même le bulletin trimestriel est plus difficile à décrypter que la traditionnelle moyenne. Il y a une vraie demande de parents et d’enfants pour avoir des notes et parfois de la déception d’être évalué comme dans le primaire. Inversement des parents sont demandeurs. « Je n’ai pas envie de situer ma fille par rapport aux autres mais bien dans sa réussite scolaire et personnelle », nous précise Laurence Juin, une enseignante innovante mais aussi mère d’une élève du collège de La Rochelle. « Elle sera « très bonne » si elle réussit à acquérir les compétences et les savoirs qui sont demandés à chaque évaluation. Sera-t-elle meilleure que sa voisine de classe? Quel intérêt? Je souhaite qu’elle pousse plus loin ses capacités, qu’elle développe la culture de l’effort, du travail et de la culture et des connaissances avec structure et réflexion ».
Dans la réussite de ces projets, le rôle de l’encadrement semble essentiel. JC Rogeon n’impose rien mais soutient son équipe et tente de la satisfaire aussi bien pour obtenir des formations que pour le fonctionnement quotidien de l’établissement. « Le fait que ce soit des enseignants volontaires change tout ». G Stiévenard situe ces classes dans une politique plus globale d’expérimentation académique. « On ne donne pas une méthode à suivre. On s’est appuyé sur ces établissements pour lancer une opération de mutualisation des compétences des équipes engagées. Je leur dégage du temps pour qu’elles puissent se rencontrer sur des thématiques liées à l’évaluation par compétences. On croit fermement cette mutualisation des intelligences est bonne ».
Reste le bilan. Il est apprécié très différemment entre enseignants et encadrement. « L’évaluation par compétences est installée, il faut faire avec », précise G Stiévenard qui rappelle d’ailleurs qu’elle va gagner l’évaluation des enseignants… On attend de cette approche une meilleure prise en compte des personnalités dans les apprentissages. Les études montrent que les notes font des dégâts ». D’après lui les indicateurs des établissements ne montrent pas de baisse de niveau. « J’attends une amélioration des résultats scolaires et de la confiance des élèves en eux-mêmes. Il y a des choses difficiles à évaluer mais qui comptent : le rapport à l’école, l’estime de soi, le rapport avec les enseignants ». Pour une enseignante, l’évaluation par compétences permet « de mieux pointer les difficultés des élèves. Il savent où ils doivent progresser ». Mais, « il n’y a pas de miracle. Certains élèves sont devenus très autonomes. La classe est plus motivée. Mais l’école ne peut pas résoudre tous les problèmes ».
François Jarraud
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