Par Jeanne-Claire Fumet
Jeudi 8 septembre, c’est François Dubet qui présentait les réflexions du think tank Terra Nova sur l’école. Face à lui Bruno Julliard, secrétaire national du PS. Mobilisation sur l’éducation, au sommet du PS et à Terra Nova : les réformes qui avortent, qui épuisent tous les acteurs de l’enseignement sans rien faire, c’est terminé. Il faut transformer l’école en profondeur, dans le respect des métiers mais en les adaptant aux réalités contemporaines. Une garantie : le respect sans condition du statut de fonctionnaire. Mais un constat : entre mal-être des maîtres et des élèves, dégradation des résultats PISA et mécontentement récurrent des enseignants, impossible de ne pas changer résolument la structure du système de l’institution.
L’école est en crise, annonce d’emblée Caroline Brizard, journaliste au Nouvel Obs et animatrice du débat qui confrontait jeudi soir, à la Bellevilloise, à Paris, François Dubet, professeur de sociologie et directeur d’études à l’EHESS et Bruno Julliard, secrétaire national à l’éducation du Parti socialiste, à l’occasion de la publication du projet éducation de Terra Nova, think tank de gauche, en présence de son président Marc Ferrand. Preuve de cette crise, les monceaux de témoignages de professeurs à bout de force reçus par le journal pendant l’été. Elèves démotivés, inattentifs, indifférents : le climat d’impuissance et de frustration où vivent les jeunes gens éclate à la figure des profs. En cause, évidemment, la dégradation progressive de l’institution sous le coup des coupes claires dans les effectifs et les moyens ; mais au-delà, c’est la structure même du système que les intervenants mettent en cause, plus profondément que la dispute sur les clivages politiques.
Pour B. Julliard, les origines du mal sont structurelles : l’école pâtit d’un élitisme qui a cessé d’être républicain. La sélection s’y fait par l’échec en relation avec les origines sociales. Pour arrêter la « casse », il faut commencer très vite, avant 2012, les discussions sur une transformation en profondeur du système éducatif. Les priorités : rééquilibrer les moyens en faveur du primaire, restaurer l’éducation prioritaire, et changer les métiers et les missions des enseignants.
F. Dubet se félicite d’un tel discours, « nouveau dans la bouche du PS » (« c’est que la bouche est nouvelle », suggère le jeune ex-responsable de l’UNEF). Mais il souligne le problème : que peut-on négocier sur ce dernier point ? Les précédentes tentatives de revalorisation, menées par Jospin puis Allègre, ont échouées : « on a pris les sous sans rien concéder! » La capacité politique à négocier sur les questions de la formation des maîtres et des obligations de service sera décisive, souligne-t-il. La formation doit s’inscrire sur toute la durée de la carrière : il faudra bien admettre que la formation académique ne suffit pas à apprendre le métier.
Le conservatisme idéologique, poursuit-il, est moins fort que l’accroissement de la difficulté d’exercice du métier. Mais fragilisés, les enseignants demandent à être protégés et déchargés d’un travail qu’ils jugent intenables. Il faut leur montrer que le changement ne peut qu’améliorer ces conditions, en particulier que la révision de leurs modalités de présence à l’école peut modifier l’ambiance de travail. Autre difficulté, les injustices scolaires sont très favorables aux classes moyennes qui ne sont pas disposées à y renoncer. Tout est fait pour sélectionner implicitement : l’allemand, les langues anciennes, les classes européennes… autant de moyens de sélection implicites avec lesquels on triche pour ses propres enfants. Les gens cultivés n’iront pas contre un système qui les favorisent ; et les classes populaires n’ont guère la parole.
Le projet du PS intègre un paradoxe, enchaîne Bruno Julliard, ne s’autorisant que de lui-même sur ce point : il faut investir beaucoup sur le début de scolarité, mais la demande génératrice d’inégalités réside dans les filières du bac – disons : l’option maths de la filière S des séries générales. Mais comment faire porter l’effort de réforme aux deux bouts de l’école ? Et comment faire changer ce système par des gens qui en sont majoritairement issus?
« On ne se fait pas élire sur la promesse d’une nuit du 4 aout », ironise F. Dubet. Ou bien on risque fort de faire partie des victimes. Quant au bac, il faut en faire un diplôme de fin d’études secondaires et en finir avec la peur d’une sélection post-bac : c’est déjà le cas de 50% des étudiants (BTS, IUT, écoles) qui rejoignent des filières sélectives. Dissocions le bac et les procédures de sélection universitaires. « La maternelle est une « prépa » au primaire. Il faut savoir lire avant d’entrer au CP, sinon on est signalé aux RASED – dont je ne suis pas fan », précise-t-il. On produit des « maladies » scolaires, et des structures pour les guérir, ainsi de suite à l’infini. Il faut en finir avec l’idée d’excellence scolaire pour tous.
Deux pôles sont à considérer, résume B. Julliard. D’une part l’évaluation, car l’école doit permettre à tous d’acquérir le socle commun et elle doit s’évaluer elle-même en fonction de cela, non l’inverse. Mais cela suppose une vraie réflexion sur ce qu’on doit à chacun et comment lui permettre d’y parvenir. D’autre part, les rythmes scolaires, au sens aussi d’une intégration des acteurs associatifs dans l’école, sont à revoir pour la désenclaver plutôt que la sanctuariser, par l’ouverture à des savoirs autres qu’académiques.
Pour F. Dubet, il faut trier les intervenants mais les laisser entrer, ce qui vaudrait mieux que d’externaliser les problèmes scolaires. Mais surtout, il faut déscolariser la société, c’est-à-dire lever le poids qui pèse sur l’école : elle n’est pas tout, ne fait pas tout et ne peut pas tout. Il serait temps d’ouvrir largement à la formation continue à tous âges, par exemple. Tout n’est pas joué à 15 ans. Par contre, l’autonomie et l’innovation devraient être la règle, ce qui suppose qu’on lève le carcan des programmes et des impératifs de réussite élitistes.
Le débat sur les rythmes, ajoute B. Julliard, concerne le temps éducatif global. Mais pour le temps de présence des enseignants, il faudra régler la question des lieux de travail. C’est un élément du débat sur le changement des missions. Et puis, la révision des ORS est nécessaire, peut-être pour imposer moins d’heures face aux élèves en ZEP, et accorder du temps hors dotation disciplinaire aux enseignants pour s’organiser – avec des garanties pour empêcher la rivalité entre établissements, qui fait des dégâts considérables. D’ailleurs, il faudrait aussi des contraintes pour empêcher la rivalité entre public et privé, en particulier quant à la sélection des élèves par des établissements financés principalement sur fonds publics.
Concernant l’éducation prioritaire, F. Dubet précise qu’il faut en finir avec un étiquetage rédhibitoire et un empilement de moyens stérile. Mieux vaudrait stabiliser les équipes en leur accordant des conditions avantageuses, lutter contre le turn-over, y compris en donnant des facilités de logement dans les quartiers. Ce qui suppose aussi la fermeture d’établissements désormais trop dégradés. Il faut changer le jeu, faire plus pour ceux qui ont davantage besoin, en rupture avec la règle d’égalité républicaine, inéquitable en ce cas. Le système « égalitaire » actuel n’aboutit qu’à une inégalité totale sur l’accès à la réussite, convient B. Julliard. La suppression de la carte scolaire a entraîné un effet de ségrégation plus fort (« beaucoup trichaient pour la contourner », remarque F. Dubet). Il faut la rétablir en négociant quitte à fermer des établissements en situation insoluble. A terme, les ZEP ne devraient plus exister, si l’individualisation des moyens est bien faite.
Des projets ambitieux, donc, dont la réalisation et la réussite résident essentiellement dans les discussions menées avec les enseignants et leurs représentants. Les syndicats sont plus ouverts que par le passé, se félicite B. Julliard, même s’ils restent très vigilants. Mais les enseignants eux-mêmes semblent conscients de la nécessité de changer la définition de leur rôle et de leurs missions, et beaucoup seraient prêts à entrer dans le débat.
Jeanne-Claire Fumet
Le rapport sur l’éducation de Terra Nova
http://www.tnova.fr/essai/ecole-2012-faire-r-ussir-tous-les-l-ves
La page Education de Terra Nova