Bel exercice que réussit Choukri Ben Ayed, en réunissant dans le dernier ouvrage qu’il coordonne une liste impressionnante d’auteurs.
« L’École démocratique, vers un renoncement démocratique ? » porte bien son nom : ses différents chapitres constituent les pièces d’un manifeste invitant ses lecteurs à une réflexion globale sur l’École doublement balisée par la préface de Bernard Charlot et la postface de Christian Baudelot et Roger Establet. Pour qui voudrait se forger une culture accélérée des acquis de la recherche en sociologie française sur l’École, l’ouvrage pourrait même devenir un manuel de référence.
La thèse du livre est claire : les différentes réformes qui s’abattent sur l’École, de la maternelle à l’Université, ont une cohérence . En calquant progressivement le fonctionnement de l’École sur le système de marché (concurrence, libre choix…), les gouvernements successifs installent une école à deux vitesses, aux dépens des plus faibles.
A l’heure où PISA nous rappelle la relation étroite entre les résultats des élèves et leur milieu social, en France, quelles seraient donc les voies d’une « école démocratique » ? Les différentes contributions de l’ouvrage prennent un angle d’étude spécifique :
– Choukri Benayed, Nathalie Mons, Agnès Van Zanten et Sylvain Broccolichi démontent le mythe de « l’école du libre choix », et prouvent que la suppression de la carte scolaire renforce les ségrégations et augmente le stress des élèves et des enseignants,
– Stéphane Bonnery, Jean-Yves Rochex et Élisabeth Bautier insistent sur le traitement de la difficulté scolaire, critiquent la logique du socle commun et des compétences, au nom du fait qu’elles « brouillent les objectifs » sur ce qu’il y a à apprendre, notamment dans le cadre de l’évolution actuelle des politiques d’éducation prioritaire qui semble plutôt « accompagner » que « réduire » les inégalités.
– Michel Warren prend l’exemple de la baisse de la scolarisation des enfants de deux ans, et la genèse des « jardins d’éveil » qui lui semblent être les prémices d’une éducation « à deux vitesses » des tout-petits, la maternelle se transformant progressivement en lieu d’accueil des plus démunis.
– Dominique Glasman creuse la question de l’aide, notamment le recours au soutien privé par les classes moyennes et favorisées, renforcée par les réductions fiscales, et en parallèle les conséquences de la compétition scolaire sur la vie des familles les plus défavorisées : « difficile pour l’École de ne pas seulement chercher à « s’adapter » à cette nouvelle donne par les PPRE ou l’aide personnalisée, mais bien de prendre à bras-le-corps le défi de la construction pour tous du sens de l’École »
– Benjamin Moignard dénonce le traitement sécuritaire (« sanctuariser » contre la « violence scolaire ») dont toutes les études (Carra, Debarbieux) montrent qu’elles sont les conséquences des exclusions sociales. Cette « culture des assiégés » met à distance les établissements de l’extérieur, « isole et fragmente », recentre sur l’ordre, la discipline et la « tenue de classe » « alors que c’est le savoir qui socialise ».
– Bernard Bier critique la prédominance du « scolarocentré » et veut promouvoir la spécificité de l’Éducation Populaire, acteur essentiel de tous ces temps où l’enfant n’est ni à l’École ni dans sa famille. Mais le désengagement de l’État « interroge la durabilité des politiques », les associations étant de plus en plus sommées de « s’inscrire dans les politiques libérales ou de disparaître ».
– Bertrand Geay, spécialiste du syndicalisme enseignant, revient sur les évolutions du paysage syndical, largement héritées des clivages politiques du passé, et se pose la question de son adéquation avec les nouvelles générations d’enseignants. Il illustre avec l’exemple de la mastérisation, où les syndicats se sont trouvés divisés entre exigence de « professionnalisation » et revendication d’élévation du niveau de recrutement. Il rappelle opportunément que la loi de 2008 sur la représentativité syndicale va imposer des nouvelles alliances. Mais devant la « régression du rayonnement politique qui a longtemps caractérisé les professions enseignantes », B. Geay n’est pas sûr que sur les enjeux scolaires comme pour le mouvement social dans son ensemble, ces évolutions renforcent la capacité des syndicats à penser un avenir. Parce qu’à force de « lutter contre », penser une alternative démocratique n’est pas toujours la priorité des acteurs eux-mêmes et de leurs organisations. Une position de faiblesse pour construire une alternative démocratique ?