Par François Jarraud
Tout va bien. Toutes les réformes évoluent favorablement. Plus qu’un « bilan d’étape », c’est une opération de communication pré-électorale qu’a effectué mercredi 1er décembre Luc Chatel. Devant la presse, durant plus d’une heure, il a tenté de convaincre de la pleine réussite de la politique scolaire gouvernementale en s’appuyant sur un document de ses services et sur un sondage Ipsos auprès des enseignants, chefs d’établissement et parents. Hélas, ce bel effort se heurtait d’abord à ses propres excès, puis un peu plus tard, à une conférence de presse du Snuipp sur la formation des enseignants. Finalement, le bulletin trimestriel du « nouveau » ministre n’est pas aussi bon que prévu.
Si l’on en croit Luc Chatel, la réforme des lycées est bien partie. Le ministre essaie de convaincre en avançant une armada de chiffres. Les enseignements d’exploration sont mis en place. 85% des élèves ont pris SES, 22% PFEG, 30% méthodes scientifiques (les futurs S ?), 15% littérature et société (ce qui au passage est un peu inquiétant pour le rééquilibrage entre filières), 11% sciences de l’ingénieur, 7% création artistique. Près de la moitié des enseignants y participent. Luc Chatel a annoncé de nouveaux stages de langue durant les vacances de février.
La réforme du lycée professionnel est elle aussi réussie puisque l’objectif de poursuite d’études est atteint : 66% des élèves prolongent en première professionnelle contre 50% auparavant.
La réforme de la formation des maîtres aboutit à des enseignants « mieux formés et mieux accompagnés ». D’après le ministre, chaque enseignant stagiaire dispose d’un tuteur. Il y aurait moins de démissions, moins de malades que les années habituelles. Seulement 1% des stagiaires serait en difficultés, à en croire le ministère. S’agissant des stagiaires installés sur un poste en zep (environ un sur sept), c’est, pour Luc Chatel, en plein accord avec eux. « Beaucoup sont très demandeurs pour aller dans des établissements prioritaires », affirme le ministre. « Ils considèrent que c’est là qu’ils peuvent le mieux exprimer leur métier »…
La scolarisation des enfants handicapés a progressé avec 12 000 élèves supplémentaires. Le nombre de jeunes a accompagner la augmenté violemment (+25%). Mais un amendement budgétaire va permettre d’embaucher des accompagnateurs.
Dans l’enseignement prioritaire, le dispositif CLAIR se met en place. Le recteur Nique est chargé d’une mission de remise à plat de l’enseignement prioritaire. Enfin la réforme des rythmes scolaires fera l’objet de décisions en mai juin 2010.
« On a répondu aux principales inquiétudes » estime Luc Chatel. Et il le prouve aussi en s’appuyant sur le sondage réalisé auprès de parents, d’enseignants et de chefs d’établissement. Selon ce sondage 90% des parents et 76% des enseignants sont favorables aux unités d’intégration des élèves handicapés (ULIS).88 et 78% aux internats d’excellence. 86 et 61% au livret de compétences. 75 et 59% au nouveau temps scolaire incluant un après-midi de sport. Plus inquiétant, 79% des parents et 63% des professeurs disent oui aux ERS, ces structures de relégation dont on voit pourtant qu’elles n’arrivent pas à s’installer et fonctionner.
Mais c’est là que commencent les problèmes. Car à en croire le sondage ministériel, seulement 54% des parents et 33% des enseignants sont convaincus des mérites de la nouvelle classe de seconde, pourtant présentée comme une parfaite réussite. Le pourcentage est peut-être bien inférieur chez les enseignants de seconde. Car vous êtes nombreux à écrire en cette fin de trimestre pour soulever des difficultés d’application. La multiplication des groupes a entraîné une grande dispersion des élèves qui n’est pas aussi productive qu’annoncée pour des élèves jeunes et arrivant dans une nouvelle structure. Les emplois du temps de tous, et particulièrement des élèves, ont souffert des horaires en barrettes. Des enseignants se plaignent de ne pas connaître leurs élèves, qui naviguent de groupes en groupes.
Il revenait au Snuipp de contredire le ministre à l’occasion d’une conférence de presse qui accueillait quatre stagiaires du premier degré, bien placées pour parler de leurs difficultés. Sébastien Sihr, lui aussi, était venu avec un sondage, mené auprès de 1027 stagiaires du premier degré, un échantillon très significatif.
« Je n’ai pas rencontré de stagiaires qui ne soit en difficulté« , affirme une stagiaire en réponse à l’argument ministériel selon lequel seulement 1% des stagiaires serait en difficulté. « On n’ose pas dire nos difficultés car on a peur de ne pas être titularisés ». Pour cette même raison, les quatre stagiaires ont souhaité rester anonymes. « On ne se sent pas protégées », explique une autre. « On a un tuteur mais on sent qu’on ne nous visite pas pour nous former mais pour nous évaluer ». Toutes sont dans des situations de postes différentes avec un suivi différent, parfois maître formateur, parfois maître temporaire, parfois conseiller pédagogique. Parfois l’évaluateur est l’un d’eux. Parfois non. Leurs responsabilités ne sont pas les mêmes d’un département à un autre et l’accompagnement à venir varie lui aussi de zéro à 5 semaines.
Comment s’en sortent-elles ? « On bricole », explique l’une. « On bluffe les parents. Mais on se retrouve dans des situations d’irrégularité. Une fois je n’ai pas su comment enseigner aux élèves. J’ai dû demander à un collègue de surveiller ma classe et courir chez une autre pour voir comment elle s’y prenait. Deux heures plus tard je copiais devant mes élèves sa démarche ». Elles témoignent aussi de leur angoisse de faire échouer leurs élèves. Certaines doivent apprendre à lire à leurs élèves. « Avec un bac plus 5 », explique une stagiaire, « je croyais être capable de m’autoformer. En fait je me rends compte qu’on peut avoir un doctorat et ne pas savoir enseigner l’addition ».
Le sondage du Snuipp confirme ces témoignages. La majorité des stagiaires reçoivent une formation davantage des collègues que de l’institution. 24% jugent qu’elles bricolent. Les trois quarts trouvent la charge des préparations très lourdes. Un taux identique appréhende d’être seul face aux difficultés et demande un accompagnement prolongé.
Vers une formation en alternance ? Le Snuipp avait rendez-vous le 1er décembre au ministère. Il demande la prolongation de l’accompagnement jusqu’à la fin de l’année. Mais pour l’année prochaine, il veut obtenir une formation en alternance (60% formation 40% temps en classe) avec des phases de regroupement des stagiaires en IUFM pour une analyse des situations vécues et des approfondissements didactiques. Quelque chose qui ressemble un peu à l’ancienne formation… Interrogé sur ce point, Luc Chatel n’est pas hostile au principe de la formation par alternance. Reste à délimiter ce que Bercy rendra possible. Pour peser sur ces négociations, le Snuipp organisera en janvier ou février une journée d’action sur la formation des enseignants.
Le dossier du ministère
http://www.education.gouv.fr/cid54119/point-d-etape-annee-[…]
Les propositions du Snuipp