Le Café s’est procuré le rapport remis aux ministres de l’Education et de la Recherche, rédigé par la direction de l’Ecole Normale Supérieure, sous la plume de M. Winkin, avec l’aide d’un cabinet de communication. Il vise à préciser les conditions dans lesquelles l’INRP perdrait son statut d’établissement autonome pour devenir inséré dans l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (ENSL). Quelles sont ses lignes de force, et les questions qu’il pose ?
D’abord, le nom de l’INRP changerait : Institut Français d’Education (IFE). La perte de la référence explicite à la recherche et à la pédagogie est-elle autre chose d’un symbole ?
Les propositions du rapport visent à plusieurs objectifs explicités :
– rendre l’INRP « incontournable pour ses partenaires » : devenir référence en matière de recherche, « une marge de progression certaine » étant soulignée. Il lui faudra « éclairer les politiques d’éducation », développer des évaluations qualitatives basées sur « l’evidence based policy » et la recherche de bonnes pratiques, être tête de réseau européen en matière d’éducation.
– l’aider à cultiver « l’extraversion », c’est à dire la capacité à se rapprocher de ses publics, y compris le monde économique « qui joue un rôle de plus en plus important en matière d’éducation », à l’international comme sur le front médiatique (le Café Pédagogique est explicitement cité parmi les partenaires potentiels…)
Pour ce faire, le rapport invite à développer les « chantiers transversaux », à partir de conceptions « pragmatiques », pour « répondre à une demande sociale », citant notamment « le bonheur à l’école » ou « la pédagogie universitaire », la professionnalité enseignante (avec un appel au renforcement du programme Neopass@action) ou la culture numérique. Les axes scientifiques prioritaires devront être « les savoirs fondamentaux » avec un renforcement des travaux sur le premier degré, les sciences et techniques et les « humanités ». Les sciences sociales, le développement durable, l’art à l’école, l’éducation à la santé sont également cités. Des appels à projets internes seront lancés, « l’architecture de l’information » devra y être renforcée
« L’interaction avec le terrain » devra être « permanente », et le rapport invite les tutelles à maintenir le potentiel d’heures supplémentaires pour les « enseignants associés » aux recherche, voire à le développer en direction du premier degré. Mais l’institut devra aussi inciter l’ENS à « transformer ses pratiques pédagogiques », jusqu’à la préparation de l’agrégation. L’ENS, elle, apportera à la mariée sa « maîtrise des normes universitaires de recherche, ses réseaux et son ouverture vers de nouveaux publics », dans un « cadre idéal ».
Du point de vue organisationnel, le rapport invite à la création de cinq pôles :
– un pôle « recherche et formation initiale», « observatoire des pratiques éducatives » regroupant le Centre Alain-Savary, SFEF, ICAR, Enseignement et humanités. Ce pôle aura aussi vocation à copiloter plusieurs masters en formation initiale et formation de formateurs
– une « agence qualité éducation», dite « de valorisation », rassemblera les missions de veille, d’expertise, d’évaluation et de formation de formateurs (qui sera à développer). Le service international de l’INRP y sera intégré. Ce pôle devra développer des activités de consultant y compris en direction du secteur privé « pour ne pas laisser le champ libre à des opérateurs sous-qualifiés », mais aussi développer de « l’assistance à la maîtrise d’ouvrage » en direction des ministères, rectorats, collectivités territoriales, ONG…
– un pôle « diffusion des savoirs » rassemblera notamment les éditions et les équipes ACCES.
– un pôle « patrimoine scientifique » regroupera les fonds documentaires des bibliothèques et du musée de Rouen, si les ministres le décident. Il devra développer la numérisation des fonds.
– enfin un cinquième pôle « support » regroupera les affaires financières, le service juridique et les ressources humaines. Rien n’est indiqué dans le rapport sur les services « généraux » (administration et logistique), mais des annexes précisent que les services généraux seront intégrés à ceux de l’ENS
L’avenir des différents sites sera variable : le site de Marseille disparaît, celui de Paris (service d’histoire de l’éducation) devra rallier l’ENS de la rue d’Ulm ou celle de Lyon, le musée de Rouen est en suspens dans l’attente d’une position officielle des tutelles, le nouvel IFE « n’ayant pas vocation à reprendre le Musée national de l’Education de Rouen qui pourrait être confié aux collectivités territoriales normandes ». Lyon et, dans une moindre mesure Cachan, seront les lieux réels de l’activité du nouvel IFE.
Concernant les recrutements, le rapport indique que les enseignants détachés devront quitter l’établissement au bout de cinq ans (contre quatre ans renouvelables une fois, soit théoriquement huit ans actuellement). Ils devront s’impliquer dans des programmes transversaux, et pas seulement des équipes spécifiques. De leur côté, les enseignants-chercheurs verront leur service aligné sur ceux de l’ENS, avec systématiquement des cours aux étudiants. L’ensemble de la réorganisation devra être conduite au cours de l’année 2011.
Des incertitudes sur l’avenir des personnels
Ce rapport contient certaines propositions qui, sur le papier, pourraient sans doute être des alternatives au défaut de pilotage dans lequel les ministères ont laissé l’INRP depuis plus de dix ans. L’appel à renforcer le premier degré, à faire des questions d’éducation un enjeu de la connaissance en direction du grand public est une promesse qui ne peut guère être contestée.
Cependant, de nombreux propos vont laisser dubitatifs les spécialistes, notamment l’appel à « faire simple » pour faire grand public. Certes, des organismes comme l’INRP ont sans doute des progrès à faire dans la maîtrise des jargons et dans la diffusion des recherches, mais il n’est pas certain que travailler sur « le bonheur » suscite beaucoup plus de réussite dans les zones difficiles, ou aide les enseignants à faire cours au quotidien.
Le rapport laisse dans le flou de nombreuses questions « scientifiques », notamment comment mettre en synergie les différentes disciplines qui doivent contribuer à développer la recherche sur l’Ecole. Pourtant, plusieurs chapitres du récent rapport du directeur de l’INRP, M. Moret, tentaient des réponses assez précises sur ce sujet.
Le « pôle 1 » (recherche) risque d’être trop foisonnant pour être opérationnel, et la séparation entre « recherche » et « valorisation » semble être peu productive. En effet, l’avenir de l’INRP est bien dans sa capacité, pour les équipes, à articuler de manière cohérente recherche, travail en prise directe avec le terrain, formation de formateurs et appui en ingénierie pour les différents niveaux hiérarchiques de la maison « Education Nationale ». La division du travail n’a jamais été productive de ressources fonctionnelles et humaines efficaces, en recherche comme ailleurs.
Enfin, les incertitudes qui pèsent sur le maintien dans l’emploi de nombre de personnels actuels de l’INRP (contractuels, ouvriers et techniciens, ingénieurs, enseignants détachés) ne sont absolument pas levées par le rapport, pour plusieurs catégories… Les prochains mois vont dire s’il faut en retenir les « éléments de langage » de ses auteurs comme un nouvel anesthésiant ou un levier efficace pour les nécessaires transformations de l’Ecole…
Le rapport
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/[…]
L’analyse de E Sanchez
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/221110Sanchez.aspx