Par Blandine Raoul-Réa, illustrations de Fred Yvetot
On entre aussi dans le métier (très) jeune. La motivation et la volonté ont eu raison. Voilà Muriel qui se retrouve à la porte de son nouvel établissement CAPES en poche à quelques jours de la rentrée 2010 avec inquiétudes, espoirs, enthousiasme, volonté à revendre… Après ces trois mois en établissement, c’est l’occasion de s’arrêter pour regarder le chemin parcouru.
Un parcours linéaire, quoique…
Blandine Raoul-Réa : Vous avez décidé de passer le CAPES de documentation en 2010. Qu’est-ce qui a orienté votre choix professionnel vers ce métier de professeur documentaliste ?
Muriel : j’ai opté pour un BTS Assistant Trilingue (à l’inverse de la fac, les BTS ont l’avantage d’être professionnalisant : en deux ans j’obtenais un diplôme et j’intégrais le marché du travail…).
On est bien loin du CAPES de documentation me direz-vous. Et bien non, car c’est justement pendant ce BTS que j’ai rencontré LA professeure-documentaliste qui m’a donné l’envie de préparer le CAPES doc, qui m’a fait réaliser que mon amour des livres et de la transmission du savoir pouvait se concrétiser en un métier passionnant. Nicole Boubée (j’en profite pour lui rendre hommage!) m’a été d’une précieuse aide : réponse à mes nombreuses questions, conseils, aide pour la constitution de mon dossier de candidature à plusieurs licences professionnelles Métiers du livre. En effet, pour intégrer l’IUFM, il était nécessaire -jusqu’à cette année- d’avoir un bac+3, il me “manquait” donc un an. Tant qu’à devoir faire une année d’études supplémentaire, j’ai trouvé plus pertinent de choisir une licence professionnelle en rapport avec le métier de professeur-documentaliste. J’ai donc fait une année dans un IUT parisien pour valider cette licence professionnelle, puis j’ai déposé mon dossier à l’IUFM de Paris pour intégrer la prépa CAPES doc. Ma candidature a été acceptée, j’ai donc préparé les écrits, puis les oraux, et me voilà aujourd’hui professeur-documentaliste stagiaire !
BRR : Comment avez-vous évolué tout au long de cette année de préparation ?
Muriel : A vrai dire, rien ne me semblait évident… J’avais 21 ans, j’ai vite compris que j’étais (quasiment) la benjamine de la promo, la moyenne d’âge étant plutôt à 25 ans : c’était un peu déstabilisant. Nous étions peu nombreux à passer ce concours pour la première fois. Au fil des discussions, j’ai vite compris que ce serait le parcours du combattant pour arriver à dépasser ne serait-ce que le stade des écrits.
Je pense qu’une des clés de la réussite, c’est le travail en groupe. J’ai eu la chance de réellement sympathiser avec plusieurs collègues de promo. Nous nous sommes vite organisées pour nous répartir les tâches (fiches de lecture, travaux de recherches sur des auteurs, etc.) mais surtout, nous faisions beaucoup de “tables rondes” pour mettre en commun, réviser ensemble, chacune venant apporter un élément oublié par les autres… Même si le stress dominait, je garde de ces moments de très bons souvenirs.
Plonger dans un monde totalement nouveau et devoir être au point en seulement 4 mois sur le fond autant que sur la forme fut néanmoins difficile. Il fallait maîtriser un grand nombre de définitions, d’auteurs, de concepts totalement nouveaux (pas évident pour quelqu’un qui n’a pas pas suivi un cursus d’info-comm), mais aussi être capable de construire ces écrits en respectant des règles bien précises. Pour prendre l’exemple de la note de synthèse, je n’ai jamais réussi à la finir dans les temps (sauf le jour J !).
Pendant la prépa concours, mes notes dépassaient rarement la moyenne, surtout au début. Mais je voyais bien que je n’étais pas la seule dans ce cas, alors j’essayais d’y croire, d’être positive. Pourtant, je me rappelle avoir voulu abandonner plusieurs fois. Là aussi, l’effet de groupe a eu un rôle important : quand l’une atteignait un taux zéro de motivation et d’optimisme, les autres étaient là pour redonner de l’espoir. Nous étions concurrentes, et pourtant très solidaires…
BRR : Alors cette / ces épreuve(s) ?
Muriel : D’abord, les écrits (mars 2010). Pour moi qui n’avait jamais passé de concours, l’immensité de la Maison des examens, la voix dans le haut-parleur pour rappeler les règles du concours, etc. tout cela était déjà très impressionnant ! Ensuite, les épreuves en elles-mêmes ont été un peu déstabilisantes. Celle qui m’a le plus posé problème fut le dossier documentaire : jusqu’à cette année il y avait toujours eu un nombre de documents à synthétiser assez conséquent pour nous permettre d’élaborer un plan correctement construit (2 parties subdivisées en 3 sous-parties, ou 3 parties subdivisées en 2 sous-parties). Or, le jour du capes, nous avons eu à traiter un corpus de seulement 8 documents, ce qui oblige à avoir un plan déséquilibré. Comme beaucoup de candidats, j’étais très mal à l’aise, j’essayais de comprendre l’objectif de ce changement, c’était dur à gérer avec le stress et les minutes qui défilaient… Concernant le sujet de STD, je l’ai aussi trouvé difficile, car il abordait un thème qui, selon nos formateurs, était plutôt un sujet d’oral. En conséquence, nous ne l’avions encore que peu abordé avant les épreuves, mais finalement grâce à mes lectures et au réinvestissement des cours, je ne m’en suis pas trop mal sortie !
Ensuite, il a fallu préparer les oraux sans savoir si j’étais admissible, se remotiver et encore une fois, utiliser la méthode Coué : “je vais être admissible, je vais être admissible!”. En fait, une grande partie de la “bataille” est psychologique.
Je passe maintenant aux épreuves orales (juin 2010). J’ai commencé par l’épreuve de TD. Les conditions matérielles étaient celles auxquelles je m’attendais, donc pas de surprise là-dessus. Par contre, du point de vue de ma prestation personnelle, j’ai eu beaucoup de mal à trouver des documents qui correspondaient à ce que je cherchais. Le stress m’a fait perdre mes moyens, heureusement l’instinct de survie a pris le relais. J’ai passé cette épreuve dans un état second, je me rappelle de peu de choses, tellement j’étais tétanisée par cette première rencontre avec un jury. Quelques questions m’ont cependant marquée, comme “l’information a-t-elle un sexe?” ou, “la burqa est-elle un document?”. L’épreuve du lendemain (épreuve préprofessionnelle sur dossier) s’est beaucoup mieux passée, certainement parce qu’elle consistait simplement en une réflexion. J’ai eu le temps de préparer mon exposé de manière correcte, de souffler un bon coup pour empêcher le stress de prendre le dessus et finalement, je me suis sentie prête à affronter le jury. Du coup, l’épreuve s’est mieux passée, j’étais plus détendue et prête à rebondir sur les questions que l’on me posait pour montrer ce que je savais.
BRR : Comment cela s’est-il passé entre les résultats et votre nomination ?
Muriel : L’académie que j’ai obtenu était mon vœu n° 2, donc je dirais que j’ai été plutôt satisfaite, surtout quand, en discutant avec des collègues stagiaires, j’ai compris que certains d’entre eux avaient été affectés dans une académie qui ne figurait même pas sur leur liste de vœux. Donc oui, je m’estime plutôt bien lotie. En ce qui concerne l’affectation intra-académique, j’avais sélectionné des lycées dans les premiers vœux, pour avoir plus de chances de travailler avec un ou plusieurs collègues et ainsi ne pas être complètement seule pour cette première année. Là aussi, résultat favorable. Bien entendu, je ne vais pas vous cacher qu’atterrir dans une région inconnue, n’y connaître personne, être loin de sa famille et de son conjoint, ce n’est vraiment pas facile. Mais je sais que je ne suis pas la première, la plupart des profs débutants sont confrontés à ce problème de l’éloignement, surtout s’ils ont la mauvaise idée d’être originaires d’une académie inaccessible avec seulement 18 points.
BRR : Rentrée 2010… qu’imaginez-vous entre le moment où vous entrez en possession du nom de l’établissement qui vous accueille et de votre entrée en fonction.
Muriel : Le 25 août j’ai eu les résultats définitifs d’affectation. La réunion académique d’accueil des stagiaires débutant le 30 août, j’avais 5 jours pour trouver un appartement et avoir emménagé à 200 km de chez moi (tout cela en train parce que je n’ai pas de voiture). Autant vous dire que malgré mes efforts, il m’a été impossible de trouver un logement en aussi peu de temps, j’ai donc passé la semaine de la rentrée à l’hôtel… D’autres détails sont venus s’ajouter à mon casse-tête, comme le fait que GDF ne propose pas de rendez-vous à une heure précise pour mettre en service le gaz, mais des créneaux de plusieurs heures, et en pleine semaine bien sûr, c’est à dire un jour où je travaille. Lorsqu’on arrive dans une ville où on ne connaît personne, il est difficile de trouver une solution, alors il faut choisir de se doucher à l’eau froide pendant quelques jours ! C’est sûr, je garderai de ces semaines pré et post-rentrée un souvenir mémorable !
BRR : Comment s’est passé votre accueil dans l’établissement et dans l’équipe ?
Muriel : Fin août, entre deux visites d’appartements, j’ai voulu faire la connaissance de mon futur lieu de travail. Je suis donc allée me présenter au proviseur du lycée, qui m’a mis en contact par courrier électronique avec ma future collègue et m’a présenté l’établissement, les projets en cours.
Puis, il y a eu un accueil plus formel le jour de la prérentrée, avec tous les enseignants du lycée. J’étais la seule stagiaire, on m’a vite intégrée et accueillie.
C’est ce jour-là que j’ai découvert les espaces du CDI et que j’ai fait la connaissance de ma collègue. En poste depuis 2 ans, elle m’a parlé de ce qui s’était fait les années précédentes, des projets en cours, du profil des élèves, etc. Je suis ressortie très enthousiaste de cette journée, la tête fourmillant d’idées et d’envies pour cette année.
Dès les premiers jours après la rentrée, j’ai pu rencontrer des enseignants de discipline (là aussi, ma collègue a été d’une grande aide, pour prendre contact, savoir qui était prof de quelle discipline, etc.) afin de voir ce qu’il était possible de mettre en place. Pour les TPE par exemple, j’ai rencontré chaque binôme d’enseignants encadrant les classes, et je leur ai proposé de former les élèves lors de certaines séances (le mode de recherche avancée d’un logiciel documentaire et d’un moteur de recherche, la sélection et l’évaluation de l’information, la présentation d’une bibliographie..). Si plusieurs ont été d’emblée partants, j’ai eu du mal à convaincre certains autres. Cette étape a été très enrichissante, car j’ai compris qu’un professeur-documentaliste doit en permanence prouver l’utilité des séances pédagogiques qu’il propose, tant aux élèves qu’aux enseignants.
Pour finir sur ce sujet de l’intégration au sein de l’équipe pédagogique, je dirais que les conseils (pédagogique, d’administration, etc.) sont des lieux stratégiques pour s’intégrer à l’équipe des enseignants, aux projets de l’établissement, ainsi que pour comprendre concrètement le fonctionnement d’un EPLE (par exemple, le budget de l’établissement, le budget du CDI…). Pour ma part, j’ai pris le parti de demander l’autorisation à mon proviseur d’assister à un maximum de ces instances (en tant qu’invitée), car je pense que cela fait partie de la formation nécessaire à un professeur stagiaire.
BRR : Quels sont vos appuis vous prendre votre fonction ? Quels sont les projets que vous lancez en premier ?
Muriel : Les appuis proposés aux stagiaires cette année consistent en un tutorat et des périodes de formations. Je rencontre mon tuteur environ une fois par semaine. Il assiste à certaines de mes séances pédagogiques, je lui soumets les autres ; il me corrige, me conseille. C’est aussi l’occasion de lui poser des questions pratiques sur la gestion du CDI. Nous n’avons pas encore trouvé de créneau pour que je puisse aller dans le CDI de son établissement, assister à l’une de ses séances, etc. mais c’est au programme. Cet accompagnement par un tuteur est vraiment primordial pour les stagiaires. Ceux qui, comme moi, travaillent en binôme ou en trinôme ont la chance de pouvoir également s’appuyer sur l’expérience de leurs collègues.
En outre, un mercredi par mois, j’assiste une journée de formation avec les autres stagiaires. Elles sont disciplinaires (exemple : comment penser une progression des apprentissages dans le cadre d’une politique documentaire d’établissement) ou transversales (exemple : la construction de l’autorité, les relations école-famille, etc.). A cette journée mensuelle s’ajouteront au mois de février 4 semaines de formation groupée.
Concernant les projets que j’ai pu déjà mettre en place, il faut se rappeler que la situation d’un stagiaire de cette année est très différente de celle des stagiaires des années précédentes : dans mon académie par exemple, nous ne sommes plus à mi-temps mais à temps plein, auquel s’ajoutent les formations ainsi que les entretiens hebdomadaires avec le tuteur. Il est donc délicat de trouver le temps pour prendre du recul sur sa pratique professionnelle et se projeter sur des projets futurs. Du coup, pour l’instant je me suis surtout intégrée à des projets existants, par exemple une revue de presse avec une classe, en collaboration avec le CLEMI. Il y a bien sûr aussi l’opportunité des TPE dont je parlais précédemment, un cadre pédagogique qui me permet d’apprendre à monter des séances en suivant une progression, sur plusieurs mois. J’aimerais également travailler sur la promotion de la lecture (participation de classes de seconde à un prix littéraire lycéen). De même, nous avons aussi profité de la mise en place de l’Accompagnement Personnalisé (AP) en seconde pour former les élèves à la recherche documentaire en l’appliquant à une recherche sur le thème des dangers de l’Internet (l’identité numérique, la protection de la vie privée, le respect des droits d’auteurs, etc.).
Pour mettre en place de tels projets, il est bien évidemment nécessaire de rencontrer les enseignants au préalable, pour monter le projet en collaboration avec eux. Par exemple, pour monter cette séquence sur Internet, j’ai participé à une réunion de travail le jour de la pré-rentrée, lors de laquelle les enseignants devaient travailler par petits groupes sur la mise en place et surtout le contenu de l’AP. Le groupe avec lequel j’ai travaillé s’est plus particulièrement intéressé à l’aspect méthodologie de recherche et à Internet (nous étions deux profs-doc dans le groupe, donc nous avons orienté le travail sur les compétences info-documentaires qui nous paraissaient intéressantes à développer chez les élèves de seconde). J’ai été agréablement étonnée de voir le réel intérêt des élèves pour le sujet des dangers d’Internet, ce qui me donne des idées pour une progression des apprentissages avec les classes de première.
Je n’oublie pas non plus la deuxième casquette d’un prof doc, à savoir l’aspect gestion du métier. Au moment de la rentrée, ma collègue m’a montré qu’elle avait commencé à basculer de la CDU à la CDD l’année passée. Le but est donc de continuer cette année. A titre personnel, je suis particulièrement intéressée par la classe 7, je vais donc m’y attaquer après les vacances de Toussaint. Ce sera l’occasion de revoir cette classe, de mettre en place une politique d’acquisition particulière.
En ce qui concerne la politique documentaire, elle n’est pas encore formalisée. Lorsque je suis arrivée, ma collègue m’a expliqué qu’elle attendait que le projet d’établissement soit revu pour élaborer une politique documentaire en cohérence avec ce projet. Il n’y a donc pas encore de document officiel, mais dans la pratique quotidienne j’ai par exemple trouvé très positif le fait que les acquisitions, y compris celles des cabinets disciplinaires, soient centralisées au CDI, j’entends par là que tous les ouvrages sont enregistrés dans la base documentaire avant d’être “dispatchés” au sein de l’établissement. Si cette démarche est logique, il me semble qu’elle n’est pas encore généralisée dans tous les EPLE. Dans mon établissement, j’ai l’impression que les enseignants ont bien compris l’intérêt de cette méthode, qui permet notamment d’éviter les doublons, et donc d’optimiser les crédits. Par contre, certains d’entre eux semblent découvrir les ressources documentaires du CDI, notamment dans leur discipline. Pour améliorer la communication et les encourager à davantage s’appuyer sur ces ressources, j’ai pensé à mettre en place des listes de diffusion par catégories d’enseignants (par exemple, une pour tous les professeurs principaux, une pour tous les professeurs d’histoire-géo, etc.), qui nous permettra de transmettre aux collègues les informations (culturelles, pédagogiques, etc.) que nous recevons et qui peuvent les intéresser, ainsi que les nouvelles acquisitions concernant leur discipline.
BRR : Qu’est-ce qui vous a le plus semblé éloigné de la préparation ? Qu’est-ce qui vous a semblé évident ou au contraire difficile ?
Muriel : Je dirais que, de manière générale, il me manque le côté pratique du métier. Les quelques stages que j’ai pu faire l’an dernier pendant la préparation au concours m’ont donné un aperçu du métier mais ne m’ont pas préparée à gérer seule un CDI. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai adopté la stratégie de demander à être affectée en lycée, mais certains collègues stagiaires sont seuls, en collèges, et disent eux-mêmes qu’ils ont du mal à tout gérer en même temps, alors même qu’ils étaient professeurs-documentalistes contractuels avant. C’est toujours le même problème du passage de la théorie à la pratique, mais je ne sais pas s’il existe vraiment une solution… Sur ce point, le tutorat est un très bon outil, même s’il j’aurais préféré que nous soyons en poste dans le même établissement mon tuteur et moi, pour un meilleur suivi dans le quotidien.
Ce qui n’est pas non plus évident, c’est l’intégration au sein de l’établissement, le rapport aux élèves, etc. Vu mon jeune âge, les profs ont eu un peu de mal au début à ne pas me confondre avec les élèves, et les élèves testent mes limites pour voir si je suis une vraie prof !
En fait, l’année de stage est vraiment le moment où l’on passe du statut d’élève (il y a quelques mois encore, j’étais étudiante) à celui d’enseignant, une sorte de chrysalide humaine. J’attends beaucoup des formations et des expériences de cette année pour me professionnaliser au maximum, avant d’être sur un poste pour certainement plusieurs années.