Par François Jarraud
S’il y a un domaine où on attendait Luc Chatel c’est celui-ci. Dès son arrivée au ministère il a annoncé un grand plan numérique. On l’attend encore. On verra plus loin le rapport Fourgous et ce qu’il est advenu. Mais pourquoi faut-il souhaiter un saut dans le numérique ?
L’école sera numérique parce qu’elle doit être plus efficace. C’est-à-dire capable de hisser un pourcentage supérieur de la jeunesse vers des études supérieures longues. Rappelons parmi les particularités du système éducatif français son taux croissant d’échec en lecture et en maths (22% d’élèves mauvais lecteurs dans Pisa 2006), son nombre important de jeunes quittant l’école sans qualification reconnue (130 000), son faible taux d’accès aux études supérieures longues (64%). Ces taux ont évidemment un lien dialectique. Ces mauvais résultats auront un impact économique croissant face à des pays qui peuvent entrer dans la compétition mondiale parce qu’ils ont la main d »œuvre compétente pour le faire. L’OCDE a pu calculer la plus value apportée par des études supérieures à l’intéressé mais aussi à l’ensemble de la société. Le même calcul existe pour les jeunes non diplômés. Si l’école n’est pas à même de produire les travailleurs qualifiés nécessaires au développement économique durable, nous ne pourrons même plus financer l’école traditionnelle.
Le numérique est-il à même de relever le défi de la transmission du savoir ? Sans doute pas à n’importe quelle condition. Mais il permet de lutter contre le décrochage et donc de faciliter la démocratisation de l’enseignement, qui est le vrai enjeu de ce début de siècle. L’étude de Jean Heutte montre l’efficacité des technologies de l’information et de la communication pour progresser scolairement : les élèves habitués à utiliser les tic ont de meilleurs résultats et particulièrement sur des items qui commandent la suite des études, comme la lecture et l’écriture. Le numérique favorise aussi le travail collaboratif des enseignants et là aussi cela se répercute sur le niveau des élèves.
Le numérique est aussi le langage de la jeunesse actuelle, son univers. Il y a des régimes pour persévérer à enseigner dans une langue étrangère à celle de la jeunesse. C’est d’ailleurs ce que faisait l’école de Jules Ferry et ce n’est pas pour rien dans son échec. A moins de se désintéresser des jeunes, il est vital si l’on veut démocratiser l’enseignement, c’est-à-dire amener les enfants des milieux défavorisés vers l’éducation, de créer des passerelles entre l’école et son environnement.
Le numérique est aussi le langage de la culture. Toute la culture contemporaine, même les tribunes journalistiques, est numérisée. La question pour l’école c’est justement de donner à tous les enfants les clés pour pouvoir accéder à ces outils culturels et en tirer parti. Refuser le numérique c’est simplement ne pas donner aux jeunes les moyens d’accéder de façon efficace et critique à la culture. C’est les enfermer dans une culture scolaire qui souvent s’éloigne rapidement de la culture savante. Faire de la géographie aujourd’hui ce n’est pas apprendre la carte du Vidal c’est savoir utiliser un SIG ou décrypter une image satellitale. Si la culture scolaire ne peut pas être la culture savante ou même la culture professionnelle, elle doit s’en rapprocher. Là encore on sait comment l’école de Jules Ferry construisit des disciplines et des savoirs disciplinaires souvent fort éloignés des savoirs savants.
Le numérique peut-il assurer la formation morale des jeunes ? A lui seul certainement pas. Mais il les expose justement à la nécessité d’une éducation non seulement citoyenne mais aussi des usages sociaux. Il est urgent que l’école s’empare de cette éducation. Certains de nos voisins ont décidé de le faire sérieusement dès le primaire. Rappelons là aussi aux partisans de l’école de Jules Ferry, soit-disant « garante des valeurs de la République » qu’elle n’a pas empêché la faillite politique et morale de 1940.
Comme l’école française a perdu beaucoup de temps pour amorcer une véritable mutation qui permette sa démocratisation, on aimerait que le tournant du numérique, parce qu’il peut être porteur d’une mutation plus vaste, soit pris rapidement.
Le rapport Fourgous : Faire entrer l’Ecole dans son siècle
Remis le 15 février, le rapport Fourgous est à la fois un plaidoyer pour l’intégration des TICE dans l’enseignement et un programme de 70 mesures pour faire basculer l’Ecole dans l’ère numérique. Plus important : l’intégration des TICE est mise au service d’une vision de l’Ecole : lutter contre l’échec scolaire, faire le lien entre les pratiques sociales et celles de l’Ecole, préparer l’économie de la connaissance. Un plan ambitieux qui pourrait amorcer un tournant pour l’Ecole.
« Le numérique représente une vraie chance pour l’école. Donnons-nous les moyens de réussir ». Député des Yvelines, Jean-Michel Fourgous avait reçu fin août 2009 du premier ministre une mission » de réflexion et de propositions pour la promotion des TIC dans l’enseignement scolaire ». La publication de son rapport est un événement majeur pour l’Ecole qu’il invite non seulement à s’équiper mais aussi à changer ses pratiques pédagogiques pour tirer le maximum de profit des TICE.
Le retard français. Le rapport s’ouvre sur une mise en parallèle de l’Ecole française avec celle des autres pays de l’OCDE. JM Fourgous montre le sous équipement du système éducatif français. Quand la France compte 8 ordinateurs pour 100 élèves au primaire, le Royaume-Uni en compte 17, la Finlande 17. Au secondaire les chiffres sont respectivement 16, 33 et 24. Quand 6% des classes sont équipées d’un tableau numérique interactif (TNI) c’est 78% des classes britanniques et 15 % des finlandaises. Encore les chiffres français évoluent-ils à la baisse : on est passé de 16 ordinateurs pour 100 élèves au collège en 2008 à 13 en 2009, de 25 à 24 au lycée. Face à ces chiffres, JM Fourgous aligne les résultats : en compréhension de l’écrit la France est 17ème quand la Finlande est 1ère et le R.U. 13ème; en culture scientifique on est 19ème et nos voisins 2d et 13ème.
Mais il y a pire encore : le système éducatif français est plus inégalitaire; il fabrique aussi davantage d’élèves manquant de confiance en soi et malheureux à l’Ecole. » L’école est aujourd’hui trop déconnectée de la société. A 15 ans, près de 90% des garçons et 87% des filles déclarent ne pas aimer l’école. Ce qu’ils apprennent leur semble totalement déconnecté à la fois de ce qu’ils vivent et de ce qui les attend dans leur vie d’adulte. Les élèves ont l’impression qu’« il y a des savoirs pour passer des examens, des savoirs qui seront rapidement oubliés, et il y a des savoirs intéressants ailleurs. L’articulation entre les apprentissages formels, informels et non formels est complètement ignorée par le système scolaire. Les nouveaux savoirs et les nouveaux rapports aux savoirs remettent en cause le choix et le découpage des disciplines scolaires issues de l’antiquité et des universités. » (citant ainsi Pierre Frackowiak dans le Café).
« L’arrivée des Tic dans la société requiert de l’école qu’elle forme des jeunes dotés de compétences et d’aptitudes nouvelles« . Pour JM Fourgous, » la révolution du numérique a déjà commencé. La question n’est plus de savoir si elle est pertinente ou pas. La question est plutôt de savoir comment rattraper notre retard et jouer un rôle indéniable dans la compétition mondiale. L’avenir de notre pays passe par la formation de nos enfants à l’outil numérique pour réussir ». Le premier levier pour faire changer l’Ecole est la demande de la société. Elle a besoin de salariés capables de collaborer et de travailler de façon plus autonome et maîtrisant l’anglais. Elle a aussi besoin de davantage de scientifiques. Enfin elle exige aussi plus de diplômés. Pour tous ces objectifs, le rapport épluche la littérature pédagogique pour montrer les apports des TICE.
L’efficacité des TICE. Le rapport rend compte des nombreux travaux qui ont démontré l’efficacité des TICE. Ainsi il évoque la récente étude de Jean Heutte. « En 2008, Jean Heutte publia les résultats d’une expérimentation qu’il a effectuée dans des classes de CM2 de l’académie de Lille. Il en ressort que « Les élèves habitués à l’usage de l’outil informatique ont de meilleurs résultats indépendamment du type de support mis à leur disposition pour réaliser un apprentissage ». Leur vitesse de lecture est plus rapide, ils comprennent mieux et plus rapidement ce qu’ils lisent. L’étude montre également que c’est surtout au niveau de l’expression écrite que l’impact se révèle le plus positif. Leurs connaissances scolaires globales sont plus importantes et à l’entrée en sixième, ils obtiennent de meilleurs résultats en français et en mathématiques ». Les TICE permettent aussi de lutter contre le décrochage car elles travaillent la motivation des élèves et améliorent leur confiance en eux. On est déjà dans une nouvelle perspective pour l’Ecole.
Des TICE pour changer l’Ecole. « Il est admis depuis 80 ans », écrit JM Fourgous, « qu’une pédagogie active et différenciée facilite la réussite de l’élève. Si jusqu’à présent ces pratiques enseignantes étaient difficiles, voire impossibles, à mettre en oeuvre, les Tice offrent aujourd’hui aux enseignants le moyen de les appliquer et donc de favoriser au mieux la réussite de tous leurs élèves ». Grâce aux TICE, JM Fourgous attend une évolution de l’Ecole : le passage à une école « active » qui réduirait sa part d’enseignement frontal au bénéfice de la mise en activité des élèves. « Les Tice facilitent l’évolution de différentes pratiques enseignantes. Les professeurs ne travaillent de manière isolée, mais mutualisent leurs ressources et collaborent pour la préparation de leur cours. Ils sont plus enclins à favoriser l’apprentissage individualisé, actif et collaboratif… Grâce à l’e-portfolio et à l’auto-évaluation, l’évaluation quitte son statut de « sanction ». Le métier d’enseignant évolue et n’est plus cantonné à un rôle d’« acteur » et de « transmetteur de savoirs ». L’enseignant imagine et crée des activités permettant à chaque élève de construire et de s’approprier ses propres connaissances. Il doit mettre en oeuvre les activités permettant à chaque élève de développer ses compétences. Il devient donc un « guide », un « metteur en scène », un « facilitateur d’apprentissage » et finalement, un ingénieur pédagogique ».
Mais tout cela nécessite de la formation. « Cependant, la pertinence des différents outils n’est réelle que par les usages qui en sont fait. Le TNI peut ainsi tout à fait être le support d’une pédagogie frontale et instructiviste ou au contraire, permettre aux élèves de construire leurs propres savoirs, grâce à des échanges et un travail collaboratif. La formation pédagogique des Tice est donc un préalable primordial à l’intégration des Tice dans les établissements scolaires ».
70 mesures. Si un tel changement est possible, il nécessite une série de mesures (70 exactement) concernant l’équipement des établissements, la formation des enseignants, la création de ressources numériques, l’éducation numérique et le pilotage du changement.
En ce qui concerne l’équipement des établissements, JM Fourgous nous a dit évaluer l’effort nécessaire à environ 1 milliard sur plusieurs années. Il demande la connexion au haut débit des écoles, la généralisation des TNI, la poursuite du plan ENR mais se garde bien de recommandations chiffrées. Un tableau fixe des seuils d’équipement des établissements mais rien n’indique comment les atteindre. Cependant le rapport appelle à généraliser la baladodiffusion et la visioconférence ainsi qu’à encourager le développement des outils pour l’enseignement des sciences (Exao par ex.).
Pour la formation des enseignants, « La pertinence des différents outils n’est réelle que par les usages qui en sont fait. Le TNI peut ainsi tout à fait être le support d’une pédagogie frontale et instructiviste ou au contraire, permettre aux élèves de construire leurs propres savoirs, grâce à des échanges et un travail collaboratif ». La formation pédagogique aux Tice est donc un préalable primordial à l’intégration des Tice dans les établissements scolaires. JM Fourgous fait appel à la fois au volontariat et à la formation continue de l’éducation nationale. Des universités d’été pourrait former jusqu’à 6 000 « ambassadeurs du numérique » par an , accompagnés ensuite en ligne et chargés d’accompagner le changement en établissement. Chaque établissement aurait un enseignant « chargé de mission au développement des services numériques ». 20% des crédits de formation de l’éducation nationale seraient fléchés pour la formation TICE. Une plateforme « Aidotice » assisterait les enseignants dans leur formation. Enfin le rapport n’oublie pas les communautés d’enseignants qui seraient accompagnées pour développer les échanges entre pairs. Chaque établissement pourra bénéficier d’une labellisation « éducation numérique » en fonction de son intégration des TICE. A noter que programmes et examens devraient être revus pour intégrer les TICE.
La création de ressources numériques serait stimulée par un abaissement du taux de TVA, le développement de l’exception pédagogique dans le droit français, la création d’un « chèque ressources numériques » pour les établissements scolaires. Enfin dès 2011, les éditeurs auraient l’obligation de publier au format numérique leurs manuels. Un effort serait fait pour intégrer les jeux sérieux dans l’enseignement. Dans les établissements, dès la rentrée 2010, chaque établissement devrait ouvrir « un espace partagé de communication ». Il devra aussi ouvrir un « réseau social de coéducation et d’aide de pair à pair pour les lycéens ».
Le développement de la culture numérique des élèves est un autre point d’intérêt du rapport. Il compte beaucoup sur l’autoformation à travers l’installation de postes « luditic » au primaire pour l’apprentissage du clavier. Au collège et au lycée il compte développer des « parcours de formation en ligne collaboratifs et participatifs ». Il veut aussi généraliser des espaces de création numérique dans les établissements et ouvrir des espaces ouverts en libre accès et encourager les pratiques collaboratives chez les élèves. Il préconise aussi la création de modules facultatifs « informatique et société du numérique » du collège au lycée.
Le pilotage du changement se fera à travers une Agence nationale pour l’accompagnement au développement du numérique dans l’éducation (ADNE) ouverte aux différents partenaires (collectivités locales, éducation nationale, associations). Elle créera un observatoire de l’équipement et des pratiques numériques pédagogiques dans les établissements et impulsera la mise en œuvre du numérique. Elle aidera à renforcer la place du numérique dans les programmes scolaires et à mettre en place des épreuves numériques dans les examens. Un laboratoire financera des recherches sur l’éducation numérique.
Le rapport Fourgous
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Documents/docsjoints/rf.pdf
Les 70 mesures
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Documents/doc[…]
Mission Fourgous : aller plus vite vers l’école numérique
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2009/[…]
Mission Fourgous : Les TICE vont-elles changer la pédagogie ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010[…]
Quelle efficacité pour le numérique ? L’étude de Jean Heutte
Par Jean Heutte
Comme il n’existe pas de déterminisme pédagogique des technologies numériques, la maîtrise réfléchie de leur usage, selon les attendus du C2i n°2 « enseignant », ne peut se concevoir sans des dispositifs d’accompagnement et de formation de l’ensemble des acteurs (1) s’appuyant sur des compétences et des connaissances éprouvées, mêlant astucieusement des exemples de pratiques pédagogiques éclairées par les avancées de la recherche scientifique concernant l’apport du numérique dans les actes d’enseignement/apprentissage.
L’idée que l’apprentissage serait facilité par le numérique est souvent admise comme une évidence. Pourtant, même au niveau international, il existe très peu d’études scientifiques rigoureuses concernant l’impact du numérique sur les apprentissages scolaires.
Nous revenons sur l’un des articles de Jean Heutte (2) car, à notre connaissance, cette recherche scientifique (respectant les principes méthodologiques issus de la démarche expérimentale ) (3) est l’une des rares (4) concernant l’impact de ces technologies sur les résultats des élèves (5) . De plus, il semble bien qu’elle soit la première (et la seule) en France concernant l’école primaire. Malgré sa parution tardive (entre temps, Jean Heutte avait changé d’objets de recherche et de ce fait tardé à soumettre cet article…), c’est très certainement ce caractère unique qui en fait tout l’intérêt au moment où le ministre va annoncer son « plan numérique à l’école ».
Les principaux résultats remarquables de l’étude
Les élèves habitués à l’usage du numérique en classe réussissent significativement un meilleur apprentissage à long terme et ce indépendamment du type de support.
Si effectivement nous constatons que pour des élèves de CM2, l’habituation à l’usage du numérique à l’école améliore la qualité de l’apprentissage à long terme à partir d’un texte descriptif épistémique (souvent appelé « texte documentaire »), nous ne pouvons affirmer que c’est sur le support électronique que ces élèves sont le plus performants.
Dans cette étude, le fait que les élèves réalisent souvent un meilleur apprentissage sur support papier peut, somme toute, être perçu comme quelque chose de rassurant : en introduisant massivement le numérique dans les enseignements, nous ne transformons pas les élèves en créatures particulières, nous leur permettons même plutôt d’améliorer des performances scolaires tout à fait classiques.
Les élèves habitués à l’usage du numérique en classe comprennent plus vite et mieux ce qu’ils lisent.
La vitesse de lecture des documents au format hypertexte acquise par les élèves habitués à l’usage du numérique est impressionnante (+ 30%). De plus, il semble que cette vitesse de lecture ne soit pas préjudiciable aux performances des élèves. Cela confirme qu’il s’agit réellement d’un nouveau mode de lecture sélective (la navigation efficace s’apprend) ; les textes descriptifs épistémiques sont les plus adaptés à ce type de lecture ; les compétences acquises dans ces systèmes peuvent faire progresser les capacités de lecture en général.
Les connaissances et les résultats scolaires ont significativement progressé pour les élèves habitués à l’usage du numérique.
Globalement, le niveau scolaire des élèves habitués à l’usage du numérique en classe a significativement progressé au cours du cycle 3 de l’école primaire, ce qui est favorable à la prédiction d’une bonne réussite scolaire au collège. De plus, dans cette étude, la progression des élèves faibles en début de cycle (entrée au CE2) ayant régulièrement bénéficié d’un environnement numérique est remarquable (+34,3%).
À l’entrée en 6e, l’amélioration du niveau scolaire des élèves s’observe de façon significative dans tous les domaines du français (+ 18,4 %). Cette amélioration est moins élevée en mathématiques (+ 16,7 %), où la plus grande progression des résultats des élèves s’observe surtout dans le domaine du traitement de l’information. Cela confirme bien que l’habituation à l’usage du numérique à l’école primaire améliore globalement la qualité de lecture des élèves dans les activités qui demande prioritairement de retrouver ou de comprendre de l’information.
Allegro moderato
Quoi qu’il en soit, il convient d’être prudent sur les effets mis en évidence.
Nous ne pouvons affirmer que seule l’habituation à l’usage du numérique en classe est responsable de tous les effets constatés (ou supposés). Ainsi, cette étude fait-elle ressortir, qu’en tant que tels, ni le support électronique, ni le format hypertexte ne sont intrinsèquement plus favorables à l’apprentissage. Ils ne peuvent donc à eux seuls expliquer par exemple la qualité de la mémoire encyclopédique scolaire des élèves. Il est indéniable que ce support et ce format (notamment via le réseau Internet) mettent l’information à disposition des élèves dans des conditions inégalées, si on les compare avec des supports et des formats plus traditionnels (cahiers, livres, tableau noir, globe terrestre…). C’est vraisemblablement cette disponibilité qui permet aux élèves de fréquenter, de façon autonome, beaucoup plus d’écrits descriptifs épistémiques (ce qui favorise la mémoire lexicale) et ce, bien souvent, juste au moment où ils en ont besoin (ce qui favorise la mémoire sémantique).
Le fait que cette étude mette en évidence que les supports de lecture numériques ne sont en tant que tels favorables à l’apprentissage (alors que le niveau scolaire des élèves a significativement progressé), renforce notre sentiment que c’est dans l’Écrire (encore plus que dans le Lire) que les outils numériques révolutionnent les activités intellectuelles : dans la mesure où ils mettent à disposition de l’élève des outils simples et performants pour qu’il objective du mieux qu’il peut, sa pensée. En permettant, par exemple, de dissocier les difficultés liées à la production écrite de celles liées à la calligraphie, ces outils facilitent la révision de texte (réécriture, re-formulation), tout en permettant à l’élève d’avoir un travail toujours propre (ce qui est très valorisant et surtout facilite la relecture). Véritable « pâte à penser par écrit », les outils de production numérique permettent de « modeler » les concepts (de reformuler les connaissances avec ses propres mots, ce qui est vraisemblablement le meilleur indicateur de la construction d’un savoir), en affinant progressivement par tâtonnement (essais-erreurs), d’en tester la pertinence auprès des autres (pairs et/ou experts), en n’ayant plus l’angoisse de devoir recopier l’intégralité du texte à chaque révision. L’indispensable fonction « Enregistrer sous… » renforce avec merveille le pouvoir penser par écrit, si cher à Voltaire : elle permet de garder toutes les étapes de cette construction, d’en conserver la chronologie. Cela donne la mobilité psychique et mentale de faire des choix dialectiques : il sera possible à tout moment de faire machine arrière pour repartir dans une autre direction, à partir d’une étape précédente. Cela multiplie les occasions de toujours mieux apprendre et surtout de mieux se faire comprendre : si apprendre est rarement une partie de plaisir, comprendre (faire comprendre, être compris…) peut être totalement jubilatoire.
Cette étude met donc bien en évidence que l’usage du numérique en classe participe à une amélioration des résultats scolaires des élèves de l’école primaire.
Cependant, bien d’autres variables sont à prendre en compte. Sans entrer dans le détail, nous nous contenterons d’émettre l’hypothèse que l’usage du numérique objective (rend encore plus « violemment » visible) certains aspects qui étaient souvent (volontairement ou non) masqués. Si les technologies numériques ne sont a priori pas intrinsèquement porteuses de nouvelles conceptions pédagogiques, elles en renforcent vraisemblablement les effets (positifs ou négatifs) sur l’apprentissage. Ainsi, sans en être la cause, elles rendent les inégalités intellectuelles encore plus visibles et, si l’on n’y prête garde, elles en aggraveront les conséquences. Celles-ci nous forcent donc à repenser la question de l’efficacité du système éducatif. Pour les professionnels de l’éducation, se contenter de garantir l’accès aux TIC à chacun ne peut être suffisant : l’urgence citoyenne consiste à rechercher comment l’école pourra instrumenter chaque enfant afin qu’il acquière les compétences nécessaires pour construire ses savoirs à l’aide des technologies numériques.
Pour cela, en sus des efforts concernant les infrastructures, services et ressources numériques, l’institution devra certainement réviser ses méthodes et ses dispositifs (de pilotage, d’accompagnement, de formation) pour tenter d’être en phase avec les exigences de la société de la connaissance, afin de permettre à l’ensemble de ses personnels (enseignants, formateurs et personnels d’encadrement) de connaître et surtout de maîtriser les gestes professionnels, notamment ceux liés aux compétences du C2i n°2 « enseignant » (C2i2e), dont l’efficacité se trouverait renforcée par l’usage des technologies numériques éducatives.
Jean Heutte
Actuellement :
– Directeur des technologies de l’information et de la communication de l’IUFM Nord – Pas de Calais, Université d’Artois, PRES Lille – Nord de France.
– Doctorant au Centre de recherche éducation formation (Cref – EA 1589), Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense (Paris X).
– Correspondant du programme « culture numérique, TIC et éducation » (CNTE) de l’INRP.
Après s’être intéressé à l’impact des TIC sur l’apprentissage, Jean Heutte concentre actuellement ses recherches concernant l’impact des réseaux numériques sur le management des organisations (depuis 2002), le sentiment d’efficacité collective (depuis 2004), les conditions de travail et de formation (depuis 2007).
Notes :
1 Tous les acteurs : enseignants, formateurs et personnels d’encadrement, en formation initiale comme en formation continue…
2 Heutte J. (2008) « Influence de l’habituation à l’usage de l’outil informatique sur l’apprentissage et les résultats scolaires d’élèves du cycles 3 de l’école primaire » – SPIRAL-e 2008 (31-47) : http://spirale-edu-revue.fr/spip.php?article845
3 Méthodologie qui consiste à comparer les résultats d’un groupe test à celui d’un groupe témoin, avec contrôle de variables et répartition aléatoire des sujets.
4 En septembre 2006, sur les 32 études ayant passé le filtre de la What Works Clearinghouse, chargée par le gouvernement des Etats-Unis de constituer une source fiable regroupant des preuves scientifiques de « ce qui marche en éducation », seules 8 d’entre elles ont été jugées comme apportant la preuve d’un effet « positif » ou « potentiellement positif » des TIC… (Education Week, 27 septembre 2006, cité par Chaptal, 2007). Celle-ci pourrait donc être la 9e…
5 Élèves de CM2 très habitués à l’usage du numérique, puisque, pour toutes les activités en classe, chacun disposait en permanence d’un ordinateur à portée de la main depuis plusieurs mois et dont les enseignants utilisent massivement les TICE dans leurs enseignements depuis plusieurs années.
Plus d’information sur son « bac à sable » http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article4, notamment :
Quand une technologie rassurante renforce le sentiment d’efficacité personnelle et le plaisir d’enseigner (Heutte & Tempez, 2008)
http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article113
Le burnout institutionnel : un chaos psychologique qui altère la créativité de tous les acteurs du système éducatif (Heutte, 2007)
http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article82
Homo sapiens retiolus ? Plaidoyer pour un néologisme… (Heutte, 2005)
http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article44
Piloter l’innovation « de l’intérieur ». (Heutte, 2005)
http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article72
TIC, éthique et management : empowerment et énovation. (Heutte, 2005)
http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article46
Hypernaute : former différemment (Heutte, 2002)
http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article74
Si la France est particulièrement répulsive à l’intégration des TICE, le mal touche tous les pays, si lion entend par intégration un usage vraiment novateur des TIC.
Le point de vue de l’OCDE : Comment réussir l’intégration des ressources numériques ?
Avec la publication de « Beyond Textbooks », l’OCDE éclaire les facteurs qui permettent à certains états d’utiliser de façon innovante des ressources numériques alors que d’autres échouent.
Basée sur la situation des pays d’Europe du Nord, l’enquête met en avant les responsabilités étatiques. Pour que les enseignants utilisent des ressources numériques en classe il faut déjà qu’il y ait une volonté gouvernementale en ce sens. L’étude donne en exemple le Danemark et la Norvège, deux pays où l’utilisation des TIC a été légitimée par l’Etat. On mesure en lisant cette étude, la responsabilité des discours traditionalistes tenus par les derniers ministres de l’éducation français dans le retard national à intégrer les TICE…
Un autre facteur clé est lié au premier : c’est la croyance chez les enseignants que la maitrise des TIC est une compétence clé pour l’avenir des élèves. Un troisième facteur est dans la communication autour de ces ressources et le fait de pouvoir partager, sans problème de droit s, des ressources numériques nationales.
L’OCDE invite donc les gouvernements à établir une vision claire sur les compétences numériques et à développer une information gratuite sur ces ressources.
http://www.oecd.org/document/49/0,3343,en_2649_35845581_4[…]
La formation des enseignants échoue à intégrer les TIC
« Les étudiants-enseignants n’intègrent pas les technologies dans leurs pratiques pédagogiques » expliquent Ann-Britt Enochsson et Caroline Rizza dans une étude commandée par l’OCDE et portant sur 11 pays.
Elles identifient plusieurs raisons dont celle-ci : « le manque d’incitations constitue un frein à l’intégration des technologies dans les pratiques pédagogiques ». Elles invitent donc les gestionnaires à « offrir de meilleures possibilités de carrière et mettre en place des incitations à l’intégration des TIC plus pertinentes ». Deux autre sfacteurs sont soukignés : la qualité du matériel et le fat de disposer de tuteurs.
http://www.olis.oecd.org/olis/2009doc.nsf/NEWRMSFREDAT/NT000[…]
La Commission européenne souligne des progrès à réaliser
Après la publication de l’enquête TALIS, la Commission européenne a adressé le 25 novembre une « communication » au Parlement et au Conseil européen. Elle souligne les difficultés de mise en pratique des compétences clés transversales. « De nombreux efforts sont mis en oeuvre pour équiper les écoles en nouvelles technologies et pour veiller à l’acquisition des compétences informatiques de base dans le cadre de la compétence numérique. Cela étant, les compétences informatiques sont, de plus en plus, acquises de manière informelle par les jeunes, tandis que des aspects comme l’esprit critique dans l’utilisation des nouvelles technologies et des médias, la conscience du risque ainsi que les considérations d’ordre éthique et légal ont été négligés. Au moment où les TIC prennent de plus en plus de place dans notre quotidien, ces questions doivent être explicitement abordées dans l’enseignement et l’apprentissage. Le potentiel des nouvelles technologies en faveur du renforcement de l’innovation et de la créativité, de la création de partenariats et de la personnalisation de l’apprentissage doit être mieux exploité. Les compétences pour apprendre à apprendre figurent également dans de nombreux programmes, mais les établissements et les enseignants doivent être davantage soutenus pour intégrer systématiquement ces compétences aux processus d’enseignement et d’apprentissage ».
Communication
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM[…]
Sur l’enquête TALIS
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2009/11/2711[…]
Pour l’Inspection générale, les conditions sont réunies
« Pour la première fois, les conditions favorables au développement des TIC dans l’enseignement sont réunies » affirme Guy Ménant, inspecteur général, ancien responsable de la cellule TICE de l’Inspection, dans un article qui fait le point sur l’intégration des TCE dans le système éducatif français, publié par Futuribles (n°357, novembre 2009).
Pour G Ménant, plusieurs facteurs justifient qu’on soit « à un tournant de l’histoire » de l’Ecole française. Il y a bien sûr le niveau d’équipement atteint dans les établissements. Il y a le nombre croissant d’enseignants utilisateurs , voire innovateurs, dont G Ménant salue l’inventivité et l’efficacité. Il y a la formation donnée aux jeunes enseignants et notamment le C2i2e. Mais ce qui motive davantage cette évolution c’est une conjonction d’effets sociaux et éducatifs. Pour G Ménant, le choc de Pisa, la prise de conscience d’une demande de la société pour une main d’œuvre formée à des opérations non routinières ont été perçus par les enseignants. L’usage scolaire des TICE aurait été légitimé à la fois par la perception de son efficacité scolaire et par la reconnaissance officielle apportée par le socle commun et la généralisation du B2i.
Du coup c’est un enseignement différent qui est en train de se mettre en place. On retrouve là quelques thèmes de l’auteur de l’excellent rapport de 2006 sur l’informatique à l’Ecole. Il s’agit moins d’une « modernisation des supports et des outils du maître et de l’élève que (de) modifications sociales… à l’intérieur de l’Ecole et dans ses prolongements ». On peut attendre de la nouvelle Ecole qu’elle isole moins les individus. « Le système éducatif doit changer », affirme G Ménant, « non dans ses valeurs ni dans la liste de ses objectifs, ni même dans ses méthodes…, mais dans les priorités qu’il doit redistribuer au profit de plus d’autonomie et de souplesse ». Deux qualités dont l’Ecole a en effet bien besoin.
Guy Ménant, Enseigner et apprendre à l’ère numérique, Futuribles n°357, novembre 2009, pp. 29-40.
Sommaire et résumé
http://www.futuribles-revue.com/articles/futur/abs/2009/1[…]
Le rapport de l’Inspection de 2006
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2006/03/i[…]
Un rapport de l’Inspection générale valide les apports des TICE à l’enseignement des langues
« L’apport des TICE dans l’évolution de l’enseignement des langues vivantes, s‘il est pensé dans ses visées pédagogiques, est indéniable et ouvre des voies extrêmement prometteuses » affirme le rapport des inspecteurs généraux Reynald Montaigu et Raymond Nicodeme. Ensemble ils ont travaillé sur « les modalités et usages nouveaux » en enseignement des langues. Leur rapport déborde donc la place des Tice pour évoquer aussi les groupes de compétences et les stages intensifs.
« Les enseignants ne peuvent plus ignorer ces outils dans le cadre de leur pratique quotidienne d’enseignement », ajoutent les auteurs à propos des tice. « Comment en effet ne pas voir l’intérêt pour l’enseignement en langues vivantes de donner davantage d’occasions d’entendre et de s’exprimer, davantage d’occasions de s’entraîner et d’être évalué dans les compétences de l’oral ? Parce qu’ils permettent de créer, en plus et au-delà des seules relations pédagogiques classiques de la classe, une interface supplémentaire entre élèves et professeur, ces outils, notamment les ENT et la baladodiffusion, étendent donc de fait le domaine de la classe, en accroissent l’espace et le temps ». Le rapport montre que l’utilisation des baladeurs en classe dédramatise l’oral, permet à l’élève d eprendre de la distance par rapport à sa propre production et facilite une pédagogie différenciée.
Le TBI est lui aussi accueilli avec enthousiasme. » Pour l’enseignant de langues vivantes, le TBI est l’occasion de concevoir des situations de classe variées et attractives. Toute la classe peut, par exemple, réaliser un travail collectif de visionnement d’une vidéo, puis interagir verbalement pour dégager le sens du message, enfin mettre en relation le sens avec des éléments écrits à reconnaître ou à produire, selon le cas. Enfin, une utilisation ludique peut parfois être réalisée sous forme de jeu entre deux équipes recherchant le sens caché d’un document ou réalisant une recherche dans un site en ligne ou capturé ». Le rapport reconnaît au TBI une forte capacité à concentrer l’attention, faire agir les élèves et donc favoriser la mémorisation, aider les élèves en retrait à intervenir.
Préconisations. Le rapport encourage aussi les laboratoires multimédia, l’usage des ENT, de la visioconférence et le « livret de compétences formatif » développé par un enseignant. Il préconise donc « d’équiper a minima toutes les salles de classes de langues vivantes d’un vidéo projecteur, d’un ordinateur muni de haut-parleurs et d’une connexion au réseau Internet; de constituer dans tous les établissements scolaires un « Département Langues Vivantes » regroupant les activités d’enseignement et de recherche en langues de manière à constituer une équipe « inter langues » afin de mutualiser les pratiques ». Reynald Montaigu et Raymond Nicodeme donnent aussi des consignes précises pour utiliser en classe la visioconférence et les groupes de compéteces.
Le rapport
http://www.education.gouv.fr/cid50854/modalites-et-espaces[…]
Le HCE demande un plan numérique pour l’Ecole
Le Haut Conseil de l’Education publie un avis sur le numérique à l’école où il invite à investir massivement sur un niveau : le CM2.
« Pour plusieurs raisons, le Haut Conseil de l’Éducation estime opportun de suggérer la mise en place d’un grand plan TICE à l’école », précise le rapport du HCE. Le Haut conseil estime que les TICE motivent les élèves, qu’elles encouragent les professeurs à mutualiser leurs ressources, qu’elles facilitent le soutien scolaire et qu’un « apprentissage vertueux » des TICE doit faire partie de la formation des jeunes.
Aussi le HCE demande-t-il « une extension du plan Écoles numériques rurales, avec équipement prioritaire d’un niveau de classes, le CM2, de tableaux numériques interactifs et de chariots d’ordinateurs ainsi que des ressources pédagogiques et des aménagements indispensables qui vont de pair avec l’entrée des TICE dans les établissements ». Le HCE a chiffré cet équipement à hauteur de 300 millions.
Le rapport
http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/56.pdf
Le rapport Fourgous
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010/02/FlashFou[…]
Analyse : Passer de l’intégration à l’acculturation
» Les enseignants attendent de ce rapport qu’il ouvre des portes vers une acculturation. Ils y trouvent de quoi espérer, mais presque trop, parfois ». Docteur en sciences de l’éducation, formateur-chercheur au CEPEC, Bruno Devauchelle connaît remarquablement les rapports difficiles entre les TICE et l’Ecole. Il réagit, pour les lecteurs du Café, au rapport Fourgous.
Le rapport parlementaire remis par M Fourgous au ministre de l’Education est pétri de bonnes intentions et d’idées intéressantes. Malheureusement à vouloir tout couvrir, il risque la dispersion. Mais surtout c’est l’impression d’a peu près et de pas fini que l’on ressent à la lecture du rapport complet.
Premier constat, la variété des sources consultées est riche, et l’on ne peut que féliciter les rédacteurs de cette volonté de « citer » tant de références. Mais citer ne suffit pas. La ligne directrice sous jacente est restée la même qu’au départ. Autrement dit les auteurs du rapport ont souffert de ne pas écouter l’Ecole et de trop écouter les TIC dont a priori ils rêvent de leur pouvoir magique de transformation de l’école (et parfois à court terme). Beaucoup de survol ne fait pas la justesse de l’analyse, malheureusement et encore moins l’utilisation d’extraits « choisis » de ces sources si riches et si nombreuses.
Mais surtout il y a une croyance aveugle en un modèle de l’apprentissage qui n’est pas du suffisamment analysé et une idée de la toute puissance des TIC (et des avatars) qui demande toujours à être vérifiée au delà des seules pseudo-efficacités des TIC prises ici ou là dans des discours de pionniers. Vivre au contact quotidien des équipes enseignantes ramènerait sûrement les auteurs à certaines réalités que la formation (sans préciser laquelle) ne peut suffire à s’approprier pour mieux les faire évoluer. Saluons cependant la volonté de renverser le modèle équipement/formation pour le modèle formation/équipement, déplorons l’absence d’une réflexion sur le « système » scolaire.
Plusieurs remarques me semblent nécessaires pour accompagner et élargir les conclusions de ce rapport :
1 – Mieux connaître le quotidien de l’établissement et les TIC : un environnement fiable et un accompagnement de proximité
La lecture du rapport ne peut que renforcer les nombreuses observations des enseignants et en particulier celle concernant le besoin de formation. Mais au delà de cette formation, il faut mieux en définir les contours : ainsi le développement de personnes ressources dans les établissements (ce qui existe déjà dans certaines académies comme celle de Poitiers) est un élément essentiel. Associant l’aide pédagogique à la formation, ces personnes, formées non pas seulement sur un modèle technicien mais surtout sur une base pédagogique, ont un rôle de proximité sans lequel rien ne peut se faire. La fiabilité de l’environnement numérique du travail des enseignants reste encore trop souvent un facteur de mécontentement et freine souvent les enthousiasmes. Renforcer la souplesse et la qualité des outils est un gage de réussite dans un environnement traditionnel (programmes, emplois du temps…) qui n’incite pas « naturellement » à utiliser les technologies
2 – Accompagner les évolutions de la culture des enseignants
Comme le souligne justement le rapport, les enseignants ont, pour la plupart adopté l’utilisation des TIC pour leur travail personnel. Mais souvent, comme les élèves, (incluant bien évidemment les connaissances indispensables) leurs compétences sont souvent parcellaires, incomplètes. Ainsi la maîtrise de la veille informationnelle dans le domaine de spécialité est bien souvent défaillante chez la grande majorité. Ce sont ces mêmes enseignants qui déplorent l’incapacité des élèves dans leur recherche d’information et leur facilité à copier coller, alors qu’eux mêmes sont souvent déstabilisés par ces environnements. Les TIC et en particulier les ENT sont une opportunité formidable pour que ces évolutions se fassent de manière sereine. Mais il faudra sûrement expliquer, partager, expérimenter, et autoriser les essais pour que peu à peu l’appropriation personnelle des TIC devienne professionnelle. Ainsi qu’on peut l’observer dans le cas de l’ordinateur portable dans les Landes, il faut du temps et de l’obstination pour le changement, souvent lent en éducation. Or les changements culturels demandent du temps, encore faut-il qu’on ne veuille pas qu’ils se réalisent à la vitesse des changements technologiques.
3 – L’importance des questions didactiques
On est un peu surpris de ne pas voir davantage figurer dans le rapport la place des contenus des disciplines comme vecteur pour encourager les pratiques. Il suffit d’observer ce qui se passe en mathématique avec l’épreuve du baccalauréat ou encore en physique pour les TP au baccalauréat pour se rendre compte qu’il y a des changements réels qui s’opèrent en ce moment qui sont au cœur de l’identité enseignante constituée par les contenus d’enseignement et donc la didactique. Certes l’hypothèse constructiviste est intéressante, mais elle n’est rien si elle n’est pas associée à des démarches comme celles de la main à la pâte, ou encore aux démarches d’investigation au collège, ou encore à la démarche de problématisation en histoire géographie… Regardons l’importance des TIC pour le croquis en géographie pour se rendre compte que c’est aussi (et probablement avant tout) par cette entrée que les TIC prennent place dans les pratiques réelles.
4 – La nécessité de visée et de stratégie organisationnelle
On ne peut concevoir un établissement qui utilise régulièrement les TIC sans réfléchir au fonctionnement quotidien de celui-ci. Locaux, horaires, circulations etc. sont la base d’une organisation qui a été conçue bien avant que les TIC n’émergent. On a peu profité des retours d’expérience comme le lycée des Ponts de Cée jadis ou encore d’autres établissements dont certains avaient, par exemple, mis en place des espaces d’autoformation multimédia en lien avec les CDI. Donner à voir le cahier de texte de la classe sur Internet est un bouleversement qui dépasse la simple question de l’ouverture au parent. Permettre à l’élève de poursuivre son travail au delà des murs de l’établissement est une « bonne intention », mais qui a des conséquences importantes sur le management pédagogique de l’établissement. La formation des cadres, et l’ESEN s’en est déjà emparé avec son master à distance qui intègre des modules sur les TIC, est indispensable mais elle doit être liée à une réflexion sur la « réorganisation » du monde scolaire. Peut-on imaginer, à la suite de ce rapport que les prochaines architectures de nouveaux établissements soient pensées en lien avec de telles organisations nouvelles.
5 – Prendre en compte le cadre réel imposé par l’organisation scolaire
On peut être surpris que le rapport n’ait pas davantage repéré les freins propres à la forme scolaire, à l’institution scolaire. La contrainte imposée par les programmes et les examens, l’organisation dans des classes (souvent nombreuses et trop petites), le découpage disciplinaire rigide etc. sont autant d’éléments auxquels les TIC se heurtent. Reconnaissons la nécessité d’un équipement et d’une formation des acteurs, mais encore faut-il que le cadre de l’organisation puisse gagner en souplesse et adaptation. Chaque enseignant qui a recours à Internet dans sa classe pestera bien évidemment de tous les freins que pourra mettre l’établissement à cet usage : cela va de la gestion des salles spécialisées à la gestion des accès sécurisé, voire au simple filtrage d’adresse rendant impossible un usage raisonnable en classe.
On ressent bien évidemment en filigrane de ce rapport qu’il s’agit aussi de ne pas trop déstabiliser une institution alors que ses auteurs en perçoivent bien l’urgence, au risque d’une mise à l’écart du système éducatif dans l’accès à la culture numérique. Mais encore faudrait-il que les responsables du cadre de l’activité scolaire osent prendre en compte les changements déjà observés dans d’autres milieux professionnels pour repenser les établissements de demain, dans leur fonctionnement, mais aussi dans leurs programmes d’enseignement, leur organisation dans le temps, dans leurs modalités d’évaluation. Le développement, par ailleurs, des livrets de compétences et autres portfolio ou livret de suivi d’orientation vont dans le bon sens sur le principe mais ils sont indépendants des propositions, identiques (ou presque) de ce rapport. Il faudrait encourager davantage une convergence qui est prometteuse de changements dans l’ensemble de l’organisation scolaire dans ce qu’elle a d’essentiel : la mesure de ses effets.
6 – Passer de l’intégration à l’acculturation
Les enseignants attendent de ce rapport qu’il ouvre des portes vers une acculturation. Ils y trouvent de quoi espérer, mais presque trop, parfois. En voulant faire trop bien, embrasser trop large, les auteurs pourraient égarer les praticiens ordinaires que nous sommes : encore un rapport de plus et pendant ce temps là nos élèves continuent de s’envoyer des SMS en classe et parfois rechercher aussi des éléments pour enrichir le cours sur leur terminal mobile (Smartphone). Mais surtout nous voyons les jeunes en train de changer de culture alors que nous même sommes sur un chemin que notre cadre actuel de travail ne nous permet pas de faire évoluer rapidement.
L’accompagnement de terrain, le développement et le soutien aux communautés de pratiques, en particulier en ligne sont des voies, parmi d’autres, que l’on peut espérer voir se développer dans les années à venir. Il me semble qu’elles sont bien plus urgentes que le soutien aux producteurs de ressources soutenues depuis si longtemps. En ne réduisant pas le problème à la seule pédagogie constructiviste dont on connaît certaines des limites mais en y intégrant la question des contenus disciplinaires et interdisciplinaires il y a aussi de quoi faire. Enfin en allant vers un « nouvel établissement scolaire numérique » encore à inventer on pourrait espérer que nombre des propositions de ce rapport soient mises en action.
Conclusion
Il nous semble nécessaire d’abandonner le paradigme de l’intégration si souvent utilisé pour évoqué la place à donner aux TIC en éducation. En effet intégrer c’est obliger le corps étranger à s’adapter au milieu dans lequel il va vivre, sans que celui-ci soit modifié. Le chemin à suivre est plutôt celui du paradigme du métissage. Cela signifie que pour que les TIC aient une place dans le monde scolaire, il ne suffit pas qu’elles s’adaptent à l’univers scolaire, mais il faut absolument qu’il se modifie et profite des potentiels apportés par les possibilités d’usage propre aux TIC. Le paradigme du métissage est avant tout une visée culturelle avant d’être un visée technicienne ou seulement scolaire. Aller vers l’acculturation c’est bien évidemment aller vers le métissage porteur d’identité nouvelle.
Ce sont là quelques uns des points d’accentuation sur la base desquels, il me semble, il faudrait trier les propositions si diverses et si intéressantes de ce rapport. On peut espérer que Luc Chatel et ses conseillers sauront ne pas se contenter de l’apparat des annonces (dont le rapport rappelle avec justesse celles qui ont précédé) si souvent utilisé et préférer sélectionner les axes les plus pertinents dans un véritable souci de la place du numérique dans le système éducatif. On regrettera simplement que ce rapport n’ait pas osé aller sur le terrain plus éloigné des finalités pour proposer enfin une vision de la société de demain vers laquelle de telles mesures pourraient permettre de conduire. On saluera le courage des auteurs et la qualité du travail fourni qui fera sûrement référence dans les prochaines années.
Bruno Devauchelle
Sur le site du Café
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