Jean-François de Pietro : l’éducation au plurilinguisme, point de vue suisse
Collaborateur scientifique à l’IRDP*, Jean-François de Pietro amène un éclairage extérieur au débat en présentant l’éducation au plurilinguisme : obstacle ou atout pour la langue de scolarisation dans la perspective de la Suisse.
Où est le problème ? Il suffit de remonter à Goethe : celui qui ne connait pas de langues étrangères ne connait pas la sienne propre. L’éducation au plurilinguisme ne peut être que bénéfique. Le bilinguisme, le plurilinguisme est un atout pour le développement langagier des enfants, y compris de la langue de scolarisation.
Mais pourtant le plurilinguisme est également un obstacle. Si les enseignements, les apprentissages ne sont pas coordonnés, c’est-à-dire s’ils sont conduits isolément les uns des autres, s’il n’est pas pris en compte le fait que les élèves ont d’autres compétences etc… il s’avère que la compétence plurilingue cesse d’être un atout. On a beaucoup d’exemples en Suisse d’élèves suisses alémaniques, venant en Suisse romande, maitrisant le dialecte et l’allemand dans une large mesure mais qui sont parfois moins bons que les élèves francophones en allemand parce qu’ils ont des écarts grammaticaux etc… Ce qui est quand même un peu paradoxal alors que vraisemblablement ils parlent mieux l’allemand que le professeur. Du côté des enfants, si on n’entretient pas leurs compétences plurilingues, celles-ci risquent de se perdre, de devenir négatives, de bloquer les élèves dans leurs apprentissages. Comme dit Cummins, quand on rejette la langue de l’enfant, on rejette l’enfant.
Ce genre d’obstacles aboutit à ce genre de constats qui apparait dans le rapport Bénisti* : Le bilinguisme est un avantage pour un enfant sauf lorsqu’il a des difficultés car alors ça devient une complication supplémentaire. Il faut alors faire en sorte que l’enfant assimile le français avant de lui inculquer une langue étrangère. On est vraiment dans une caricature mais elle est au cœur des réflexions d’aujourd’hui car elle est encore relativement présente dans les représentations. De plus cela correspond à une certaine réalité dans les constats. Il suffit de rappeler l’enquête PISA qui, sur la question de la lecture, dit des choses sur le plurilinguisme et les enfants migrants. La variable « lieu de naissance » est très distinctive, très discriminante : il y a de grandes différences entre les autochtones*, les premières générations et les allochtones*. La variable « langue parlée à la maison » qui dit que les élèves qui ne parlent pas la langue de l’école à la maison ont beaucoup plus de risques de se trouver dans le quartile inférieur de performances en lectures. Ces indicateurs permettent le constat indiscutable qu’il y a des difficultés.
Pour Jean-François de Pietro, les conditions pour une éducation au plurilinguisme sont d’ordre institutionnel et didactique. Le défi pour les éducateurs et pour ceux qui définissent la politique est d’inventer une évolution de l’identité nationale où les droits de tous les citoyens, y compris les élèves des écoles, sont respectés, où les ressources culturelles, linguistiques et économiques de la Nation sont utilisées le mieux possible. Du côté des classes, pourquoi un enseignant de français, même quand il fait du français, ne prendrait pas de temps en temps un document dans une autre langue qu’on peut aborder par l’intercompréhension entre langues voisines*, ou parce qu’on est en train d’étudier l’anglais en se basant sur des connaissances même intermédiaires même partielles en anglais… ?
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