Par François Jarraud
« A quelles conditions l’accompagnement à la scolarité est-il efficace en termes de réussite scolaire ? » C’est sur ce thème que l’APFEE (Association pour favoriser l’égalité des chances à l’école) tenait, le samedi 21 Novembre 2009, à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, son 6ème colloque scientifique. Elle a rassemblé près de 400 personnes venues de toute la France. Parmi les conclusions de ce colloque, la démonstration que l’accompagnement n’est efficace que si les enseignants s’y impliquent.
L’association pour favoriser l’égalité des chances à l’école a largement garni les sièges de l’amphithéâtre de l’ENS Lyon pour proposer une journée de travail dense autour des membres de l’association et du chercheur fondateur de l’action « Coup de Pouce CLE », Gérard Chauveau. Cette journée a été articulée autour de trois temps principaux :
– les dispositifs d’aide et d’accompagnement à la scolarité,
– la place que l’école peut et doit donner à ces dispositifs,
– les conditions de possibilité d’une évaluation efficace de ces dispositifs.
Rappelons ici que les Coups de pouce CLE ont été inventés il y a 20 ans environ pour tenter de répondre aux problèmes posés par le nombre important d’élèves en difficulté dans les domaines de la lecture et l’écriture dès le début des apprentissages scolaires.
Dès le démarrage de la journée, le président de l’APFEE Jean Jacques Moine a rappelé les principes des coups de pouce CLE en insistant sur l’utilisation rigoureuse de « protocoles » c’est-à-dire d’un cadre d’action qui soit stable et transférable au delà des personnes et des lieux. De plus, il a rappelé que les innovations en éducation gagnent à s’appuyer sur la méthode expérimentale (basée sur les écrits de Claude Bernard) et plus généralement sur les acquis de la recherche pour avancer, rappelant que contrairement aux autres domaines scientifiques, en éducation on redémarrait souvent à l’an 1… au lieu d’enrichir les connaissances antérieures.
Ce cadre posé permet de mieux comprendre pourquoi cette journée a fait principalement appel à plusieurs chercheurs « patentés » pour présenter une réflexion à une salle principalement remplie par des acteurs de terrains qui œuvrent localement dans des structures proches ou partenaires, voire par quelques parents.
Quatre dispositifs voisins ont été présentés : outre celui porté par l’association APFEE, coup de pouce CLE, Emmanuelle Canut de Nancy2 a présenté les Coup de Pouce Langage (association AsFoRel) qui s’adressent à des enfants de 3 – 4 ans ayant besoin de développer le langage, inspirés de l’action de l’APFEE. Jean Michel Le Bail, IEN, a présenté les ALEM, Ateliers Lectures Expression Mathématique développés au départ dans la ville de Paris en 2001 par rapport au constat de difficulté des élèves du primaire et aussi de collège dans ce domaine. Enfin Gérard Chauveau a présenté le Coup de Pouce CLA qui s’adresse lui aux acquisitions langagières en maternelle.
La richesse de ces actions tient au fait qu’elles s’effectuent en dehors du temps scolaire, qu’elles agissent en lien avec le monde scolaire, et surtout qu’elles produisent des effets non négligeables sur des enfants considérés comme en difficulté ou en très grande difficulté. L’efficacité de ces dispositifs sera au centre des échanges avec la salle mais aussi entre chercheurs sur la possibilité de l’évaluer. La volonté scientifique expérimentale exprimée tout au long de la journée a été secouée par un débat ouvert au cours de l’après-midi sur les évaluations possibles ou impossibles sur un plan qualitatif et surtout quantitatif. C’est sur cette dimension quantitative que s’appuie l’association pour asseoir sa crédibilité. En effet la présence au cours de l’après-midi du chargé de mission auprès du Haut commissaire à la jeunesse a conforté cette approche en déclarant que l’état souhaitait engager une évaluation large des dispositifs Coup de Pouce.
Au delà des présentations et des échanges, ce sont les propos de l’inspecteur général Philippe Claus et ceux de l’historienne de l’éducation, Anne Marie Chartier qui ont posé la question centrale de la journée : quelle nécessité de ces dispositifs pour réussir à l’école ? Rappelant qu’historiquement il était inconcevable d’envisager une demande de prolongation du travail scolaire en dehors du temps scolaire, Anne Marie Chartier s’est employée à montrer l’émergence progressive de l’accompagnement à la scolarité au cours de l’histoire récente de l’éducation. En montrant d’abord l’abandon de « l’étude » temps consacré à la reprise des leçons, présente jusque dans les années 60 dans certains établissements, ainsi que la transformation des répétiteurs en surveillants de devoirs puis en la suppression de ces temps, elle nous a invité à réfléchir au fait que ces accompagnements périscolaires qui étaient d’abord créés dans des domaines culturels, artistiques ou sportifs ont été abandonnés au profit d’activité de travail scolaire « à la maison ». C’est là que se situe l’une des principales interrogations faites à ces dispositifs : l’école ne se suffit-elle pas à elle-même ? Comment a-t-elle rejeté à l’extérieur ce travail qualifié par Dominique Glasman, en synthèse de cette journée, de travail « d’appropriation » ?
Philippe Claus IGEN a évoqué une étude non publique de l’inspection générale conduite en 2008 à propos de l’accompagnement à la scolarité. Si l’observation du terrain montre que l’aide aux élèves est une nécessité, car le mode d’enseignement l’a exclu progressivement du temps scolaire comme le montre AM Chartier, elle montre aussi que l’une des conditions de réussite de cet accompagnement est l’implication des équipes enseignantes par rapport à ces dispositifs. L’analyse des textes existants montre qu’il y a une grande confusion qui règne en matière de travail à la maison, mais aussi pour toutes les formes d’accompagnement suggérées dans les dispositifs successifs proposés dans et autour de l’éducation nationale. A l’instar d’autres intervenants, l’importance des activités de mémorisation, lecture, révision, entraînement a été fortement rappelée, confortant largement les protocoles des Coup de Pouce CLE.
La nécessité d’évaluer est à la mode, mais c’est aussi un principe de la méthode expérimentale, et Gérard Chauveau s’est à plusieurs reprises appuyé sur des « chiffres » dans ses exposé, mettant en avance des données qu’il tente de faire émerger pour combattre les pratiques floues trop souvent en place non seulement dans l’accompagnement éducatif, mais aussi au sein même de l’enseignement. Cependant les chiffres assénés et les protocoles statistiques discutés par les intervenants ont quelque peu laissé rêveurs quelques acteurs de terrain rencontrés autour d’un déjeuner en commun. L’épaisseur du vécu quotidien ne peut se réduire à ces chiffres, et ces chiffres ne peuvent résumer l’action de terrain. Il a d’ailleurs été convenu qu’au moins si ces chiffres permettaient de poursuivre l’action en la justifiant, ils avaient leur utilité. Cependant l’appel à du travail qualitatif, repris par plusieurs participant, a été perçu, mais pas forcément entendu par tous les chercheurs présents.
L’un des acteurs omniprésents dans la journée, mais absent de la tribune, est constitué par les usagers, parents et enfants. Or les parents ont été, en filigrane au centre des débats, en miroir avec les enseignants. La montée progressive du rejet de responsabilité de la difficulté scolaire des uns sur les autres est sensible. Pour les intervenants qui l’ont évoqué, elle se dépasse par le partenariat. Encore faut-il que ce partenariat soit analysé et non pas simplement d’affichage, comme le souligne Dominique Glasman dans sa conclusion. Le risque d’accabler les parents par l’action à faire imposée dans les dispositifs ou de les culpabiliser est réel. C’est pourquoi D Glasman suggère de s’en tenir à la notion d’encouragement. Le risque aussi d’accabler les enseignants est lui mis de côté car ces dispositifs revendiquent le lien avec ceux-ci. Cependant force est de constater que la reprise par les enseignants des acquis des Coup de Pouce, d’une manière ou d’une autre encore à définir, est nécessaire pour la réussite scolaire des élèves, leur implication est importante.
En conclusion, Dominique Glasman a beaucoup insisté sur la notion de protocole pour favoriser l’appropriation des apprentissages. Il en qualifie ainsi les apports :
« En quoi un protocole est utile et indispensable. C’est un mode de faire fondé en raison sur la recherche. C’est un cadre qui évite des débordements et des glissements. Il offre la possibilité de ritualisation facilitante pour les jeunes enfants. Il précise la place des supports dans et hors séance. Il fournit la base de la formation donnée aux intervenants. Il facilite la présentation du dispositif. Il permet la standardisation et la reproductibilité. Il permet une évaluation limitée au local. Il n’est efficace que s’il est intense (tous les jours). »
En définissant l’appropriation comme mise en pratique de ce qu’on a appris en classe, Dominique Glasman a mis l’accent sur la nécessité de dépasser le seul apprentissage. Car finalement la question est centrale, et si l’on peut discuter du concept d’appropriation (les sciences de l’information et de la communication en font un de leurs concepts centraux), l’usage de ce terme montre bien que l’école s’est progressivement enfermée dans des limites qui rendent les apprentissages scolaires inutilisables par de nombreux enfants et que c’est ce défi que l’APFEE et les initiatives voisines tentent de dépasser.
Bruno Devauchelle
Le site du colloque
http://www.apfee.asso.fr/page/actualites-6eme-colloque-sci[…]
Sur le Café :
Dossier sur l’accompagnement scolaire
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/87_accomp_index.aspx