Par François Jarraud
Que disent les écoliers de la violence ? C’est un petit livre qui rend compte d’une grande enquête. Cécile Carra a recueilli et analysé les réponses de près de 2 000 écoliers du Nord et celles de leurs enseignants. Il en sort un tableau très riche et tout à fait unique sur la violence à l’école élémentaire.
Car l’enquête de C Carra donne à voir non plus la violence perçue par les maîtres mais celle qui est vécue par les élèves. Et un premier enseignement c’est que ce n’est pas la même chose. C Carra montre que la violence est un outil de socialisation qui échappe largement au contrôle de l’institution.
Définitive alors la violence ? Son travail montre aussi que, à population défavorisée équivalente, certaines écoles s’en tirent beaucoup mieux que d’autres.
On rangera donc son livre parmi le petit nombre d’ouvrages de référence (avec Y Reuter, S Connac etc.) qui montrent que des solutions existent. Et on ne comprend toujours pas pourquoi ces savoir faire ne circulent pas dans l’institution…
Entretien avec Cécile Carra : « il faut avoir des pratiques cohérentes »
Quand on pense à la violence scolaire c’est l’image du L.P. ou du collège qui s’impose. A l’école on pense à « La guerre des boutons ». Existe-elle vraiment cette violence à l’école ? Quelle forme prend-elle ?
A l’école primaire, on pense de moins en moins à l’image finalement sympathique de « La guerre des boutons » mais de plus en plus à l’enfant violent : de plus en plus violents et de plus en plus jeunes, le manque de repères ou les troubles du comportement expliquant cette violence. L’ouvrage montre l’importance d’une violence physique entre élèves (plus de 40 % des élèves disent avoir subi des violences). Il s’agit essentiellement de bagarres et de coups échangés dans les cours de récréation. Mais loin d’être pathologique et de relever d’un déficit de socialisation, cette violence physique s’inscrit dans une sociabilité enfantine régulant les rapports entre pairs par la confrontation physique. Cette modalité d’action est dénoncée par les enfants mais elle leur apparaît nécessaire, ou plus précisément, tant qu’elle apparaît nécessaire ; c’est-à-dire en particulier tant que les réponses apportées par les enseignants n’obtiennent pas suffisamment de reconnaissance.
Vous dites que les enseignants sont absents de l’univers de violence des enfants. Ils ne la voient pas ?
Les enseignants sont préoccupés par d’autres faits, ceux qui entravent le déroulement de la classe mais surtout les conflits avec les parents d’élèves. Dans deux tiers des cas, les enseignants mettent ainsi en cause les parents dans les violences qu’ils déclarent subir. Les conflits avec les parents portent sur la contestation d’une décision de l’enseignant concernant leur enfant, contestation d’une note ou d’une punition. Les difficultés avec les élèves se jaugent essentiellement à l’aune de la présence d’ « éléments perturbateurs », éléments qui empêchent le déroulement des activités scolaires, en contestant les décisions enseignantes. Si les professeurs éprouvent différemment les situations, celles qui sont qualifiées de violentes apparaissent très majoritairement en réaction à une demande de l’enseignant. Ces situations ne sont pourtant pas toute dénoncées comme violences. Elles le sont quand l’enseignant le vit comme une atteinte à son statut et à son autorité. Cette interprétation est soutenue par le sentiment d’un manque de reconnaissance professionnelle alors que les élèves qu’ils doivent instruire ne seraient pas suffisamment socialisés, voire sans socialisation.
Cette violence a-t-elle une origine sociale ?
Même en adoptant le point de vue des écoliers et des enseignants pour définir la violence, les taux obtenus par écoles à partir des déclarations des enquêtés montrent de fortes variations. Le groupe réunissant les écoles obtenant un taux de violence significativement plus élevé que la moyenne concentre aussi les élèves issus des milieux populaires les plus précarisés. La violence apparaît ainsi liée aux inégalités sociales et conduit donc à s’interroger sur la place reconnue à ces populations dans notre société. D’ailleurs, à caractéristiques sociales similaires du public scolarisé, l’expérience de violence des élèves peut différer fortement d’une école à une autre, y compris au sein d’un même réseau d’éducation prioritaire ou au sein d’une même zone de prévention de la violence. Des écoles qui ne font l’objet d’aucun classement institutionnel se distinguent également par des taux de violence fortement différents : elles représentent presque la moitié des écoles que l’on retrouve dans le groupe d’écoles aux taux de violence les plus élevés.
Un des apports les plus importants de votre livre c’est de montrer que la violence est aussi en lien avec l’école. L’école fabrique de la violence ?
Le climat d’école contribue à atténuer ou exacerber l’expérience de violence des écoliers. Trois composantes de ce climat apparaissent essentiels dans la variation de la violence d’une école à l’autre : le climat de travail, le climat éducatif et le climat de justice. Dans les écoles qui apparaissent les plus violentes, le sentiment d’arbitraire et d’injustice des élèves y est aussi le plus développé, les sanctions y sont les plus fréquentes. Les élèves se voient renvoyer l’image de mauvais élève sans perspective de progression et qui ne méritent pas un soutien de l’enseignant. Dans les écoles qui parviennent à mieux se préserver, le climat de travail, le climat éducatif et le climat de justice apparaissent particulièrement bons.
Il y a aussi ce chiffre assez terrible : un prof sur 10 auteur de violence. Peut-on vraiment le généraliser ?
Des enseignants déclarent en effet avoir répondu aux écarts de comportement de leurs élèves par la violence : « J’ai attrapé un élève par les vêtements et je l’ai jeté dehors avec force », « un enfant a fait une crise lors de la cantine. J’ai essayé de le contenir, de le calmer par une attitude ferme et posée mais sans effet. J’ai donc dû le porter de force, dans la classe pour finalement avoir le “dessus” et récupérer la situation ». Ces réactions apparaissent comme des stratégies pour faire face et « sauver la face ». La violence reconnue par les enseignants apparaît comme un dernier recours, affirmé comme nécessité sur fond d’impuissance et de culpabilité.
Ne prenez vous pas le risque de jeter le discrédit sur l’école et de décourager les enseignants ?
La description des violences agies ou subies donne à voir les problèmes rencontrés dans l’exercice quotidien du métier, l’idée de violence polarisant les divergences, cristallisant les problèmes. L’interprétation en terme de violence est soutenue par un sentiment d’impuissance face aux situations rencontrées et celui d’un manque de reconnaissance professionnelle. Ainsi, au delà des chiffres, c’est l’évolution du métier qu’il convient d’interroger dans un contexte de pression de plus en plus grande sur l’école et de critique grandissante via les évaluations nationales et internationales sur le travail enseignant.
Certaines écoles avec un public difficile ont un faible taux de violences. Comment font-elles ?
Le climat participe d’une différenciation entre les écoles, tout particulièrement dans les milieux populaires. Il provient parfois d’une politique éducative réfléchie et volontaire menée par l’équipe enseignante autour d’un projet pédagogique fort à l’instar de l’école étudiée dans mes travaux et se réclamant de la pédagogie Freinet. Plus généralement, les pratiques professionnelles, à partir desquelles s’instaure un bon climat d’école, reposent sur une dimension plus collective du travail enseignant tant au niveau de l’instauration d’un ordre scolaire via le règlement qu’à celui des apprentissages. Ces pratiques se caractérisent par des dispositions générales des enseignants par rapport à leur métier et aux élèves, s’attachant moins à une grandeur perdue du métier qu’à la relation aux enfants, concevant leur tâche comme devant conjuguer socialisation et instruction et croyant qu’ils peuvent faire progresser les élèves tout en s’attachant à le faire.
Du coup peut on donner des conseils aux enseignants et à l’institution ?
Si l’on prend au sérieux les déclarations des plus de 2000 élèves et de leurs enseignants, la violence à l’école élémentaire renvoie aux relations entre écoliers, entre élèves et enseignants, et, entre enseignants et parents d’élèves. Il convient donc de ne pas externaliser les problèmes, en les renvoyant à des personnalités violentes ou des milieux familiaux déficients. Les réponses les plus courantes sont des réponses au cas par cas et des punitions au coup par coup, ne permettant pas de stabiliser la situation pédagogique ni la relation professionnelle aux parents. Un travail d’équipe sur le règlement et le projet d’école contribuent à la fois à des pratiques plus cohérentes et donc moins productrices de sentiment d’injustice et recentrées autour des apprentissages des élèves.
Cécile Carra
Cécile Carra, Violences à l’école élémentaire. L’expérience des élèves et des enseignants, PUF, 2009, 170 p.
Commander l’ouvrage :
http://www.puf.com/wiki/Autres_Collections:Violences_%C3%[…]
Sur le Café :
Cécile Carra
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/06/25[…]
Dossier violence
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Documents/pdf/[…]
Debarbieux : Je suis pessimiste
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages[…]
Lutter ensemble
http://cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2[…]
C Lelièvre : changer de paradigme
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/Violencv
L’Assemblée adopte la loi contre les intrusions scolaires
L »Assemblée a adopté le 30 juin la loi « contre les violences de groupe ». Ce faisant elle a créé de nouvelles dispositions qui intéressent les enseignants. Ainsi est créé un « délit d’intrusion dans un établissement scolaire » puni de 75 000 E et 5 ans d’emprisonnement si le coupable a une arme, d’un an et 7 500 dans les autres cas. Les enseignants et leurs proches sont aussi protégés. Par contre le gouvernement a abandonné l’autorisation faite aux chefs d’établissement de fouiller les cartables.
Le texte adopté
http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0309.asp
Le ministère publie une aide au diagnostic de sécurité des établissements
Une check-list pour la sanctuarisation. Le 28 mai 2009, N Sarkozy avait demandé « la sanctuarisation » des établissements scolaire. « 184 établissements parmi les plus sensibles vont faire l’objet d’un diagnostic de sécurité à l’issue duquel seront adoptées toutes les mesures nécessaires à leur protection contre les intrusions » avait-il annoncé. « J’invite les préfets, les recteurs, les procureurs à veiller au bon déroulement de cette démarche ».
Le document reflète cette conception. Il évalue les caméras de surveillance, définit le paysage environnant comme dangereux ou pas, s’intéresse aussi à l’historique des violences dans l’établissement, épluche la disposition des alarmes, du moindre buisson et les contrôles d’accès. Comme si barricader les établissements, en supposant que ce soit possible, suffisait à réduire la violence scolaire.
Le guide
http://eduscol.education.fr/D0203/guide_diagnostic.htm
Une campagne politique ?
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages[…]
Portique et détecteurs pour les collèges des Alpes Maritimes
Selon l’AFP, le département des Alpes maritimes sera le premier à appliquer les propositions Darcos. Le Conseil général a acheté 3 portiques de sécurité et 90 détecteurs de métaux.
Dépêche AFP
http://www.vousnousils.fr/page.php?P=data/autour_de_nous/l_a[…]
Violence scolaire une campagne politique
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2009/104_7.aspx
Les collégiens s’affichent contre la violence
Cinq collèges parisiens ont participé au concours « les collégiens s’affichent contre la violence » organisé par le service de prévention, de police administrative et de documentation (SPPAD) de la police. Invités à réaliser une affiche contre la violence, ils ont été récompensés par le préfet de police.
On pourra comparer cette initiative au projet Je, tu, il, elle… NOUS apprenons à vivre ensemble » de la Ville de Paris qui crée un lien école – parents – enfants.
Les collégiens s’affichent
http://www.prefecture-police-paris.interieur.gouv.fr/docu[…]
Lutter ensemble contre la violence scolaire