Lundi dernier, le Président de la République s’est personnellement engagé sur deux chantiers annoncés depuis plusieurs mois par le Ministre de l’Education nationale : lier ensemble la réforme du lycée et la revalorisation du métier enseignant.
Puisque le président se réfère à la création il y a 200 ans de l’Université impériale et du baccalauréat, acceptons de prendre du recul pour mettre en perspective la place du lycée dans la construction de la politique scolaire. On peut s’intéresser aux dispositions de départ, qui ne touchaient qu’à peine 1% des «jeunes gens » et regarder leurs évolutions pour arriver à une situation où 70% des jeunes d’une classe d’âge y passent, jeunes filles comprises. Ce point de départ est aussi un point de vue, puisque ont été intégrés au lycée des établissements d’origine différente : les écoles professionnelles nationalisées dans les années 50 par exemple. Dans cette évolution, on note que l’ordre du primaire (qui a longtemps préparé ses propres élites au métier d’instituteurs, d’infirmières…) a été intégré au secondaire, notamment à travers la transformation du collège dans les années soixante. Cela se voit aussi dans la formation et le recrutement des enseignants : le CAPES est sur le modèle de l’agrégation, celui des professeurs des écoles ou de lycée professionnel s’en est rapproché. Tous sont recrutés au même niveau (la licence aujourd’hui, le mastère demain).
Si le lycée a amorti le choc de la massification, il n’a pas trouvé les chemins d’une réelle démocratisation, sauf dans certaines niches (où l’on innove, où l’on construit dans la durée et la cohérence éducative, etc.). La tendance au « pilotage par l’aval » finit de diffuser le modèle du lycée jusqu’à l’enseignement primaire : les enseignants doivent préparer les élèves aux niveaux qui les attendent, conçoivent les évaluations en fonction de cette visée et, ce faisant, oublient souvent de partir de ce que les élèves savent. Articuler réforme du lycée et réforme du métier tend donc à renforcer la logique qui prévaut depuis au moins un demi-siècle. Sommes-nous vraiment à la veille d’une rupture historique ?
Mais si l’on regarde séparément la réforme du lycée telle qu’elle nous est proposée, il y a de quoi être surpris. En effet, elle tranche avec l’esprit de la réforme des programmes du primaire. Là où les critiques pointaient – et la Ligue de l’enseignement y souscrit – « une conception mécaniste des apprentissages », on parle ici de « sortir du cloisonnement des filières, d’offrir aux élèves une plus grande autonomie, la possibilité de travailler « à leur rythme », fonder la réforme sur le désir de savoir des élèves, et non les « formater dans un seul dispositif ». Xavier Darcos entend ainsi donner aux élèves « la liberté de construire leur parcours ». On croirait relire le rapport de Philippe Meirieu publié en 1998 « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? » On retrouve ainsi la revanche des travaux personnels encadrés (TPE), accueillis au départ avec scepticisme par la majorité des enseignants et aujourd’hui reconnus par beaucoup comme une voie prometteuse, aussi bien pour remobiliser les élèves sur une démarche d’apprentissage que pour les préparer à l’autonomie requise dans l’enseignement supérieur. Depuis 2002, leur place n’a cessé de reculer au lycée. La place réaffirmée récemment des PPCP dans l’enseignement professionnel montre une inflexion notable.
Il y a pourtant deux points communs entre les deux réformes. Tout d’abord, le manque de consultation des acteurs, que masque mal la convocation à l’Elysée des recteurs, présidents d’université, inspecteurs… Le président de la République décrète une réforme alors qu’une commission du Sénat procède à des consultations qui doivent aboutir courant juin ; de son côté, Jean-Paul Gaudemar devait proposer un premier cadre de travail de la réforme du lycée pour le 10 juillet prochain… Et curieusement, rien n’est dit sur les modalités d’évaluation du baccalauréat, qui seront décisives. En second lieu, la gestion comptable s’applique. D’abord à la réforme du lycée : les suppressions de postes se traduiront par des suppressions d’options, en fonction là encore, plus des configurations des postes existants dans les établissements que des besoins repérés des élèves. Elle s’applique surtout à la réforme du métier : ce sont plusieurs dizaines de milliers de postes de stagiaires qui sont économisés à court terme. A plus long terme, la difficulté de procéder à des recrutements d’enseignants à bac+5 pourra justifier le non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite. Et pour des jeunes de milieu populaire, passer du préalable de la licence à celui du mastère est un seuil supplémentaire, parfois difficile à franchir.
Pour marquer une véritable rupture, il convient de se demander de quels enseignants nous aurons besoin dans vingt ans, quelle part doit être donnée au renforcement de leurs compétences pédagogiques, quels seront les critères et modalités de sélection et d’entrée dans le métier… Nous n’en prenons pas le chemin. Nous nous consolerons avec la revanche des TPE.
Olivier Masson
Chargé de mission à la Ligue de l’enseignement
En perspective : Le lycée du futur, un défi
« A l’âge hyper-numérique, comment penser le lien entre temps scolaire, temps périscolaire, temps familial et temps personnel ?… Le lycée devra t-il plutôt lui-même s’immerger dans une société devenue hyper-numérique, ou plutôt s’imposer comme espace déconnecté ? Comment y enseigner les cultures numériques ? Quel sera son écosystème informationnel, et comment se réinscrira t-il dans son territoire ? Quelles seront les grandes mutations pédagogiques ? Comment améliorer la gouvernance administrative et budgétaire exercée par les exécutifs régionaux, en liaison avec les responsables d’établissements ? » Toutes ces questions , La 27ème région, un laboratoire d’idées soutenu par l’Association des régions de France, la Fing et la Caisse des dépôts, se les pose et nous les pose.
Le défi du lycée du futur
http://www.la27eregion.fr/Defi-no1-Preparer-le-lycee
Sur le Café, Construis-moi un lycée