Par Rémi Boyer de l’association Aidoprofs
Parcours de profs
Ce mois-ci, nous vous proposons deux parcours bien différents: Evelyne Conchou, après avoir travaillé 15 ans comme orthoptiste, avait choisi l’enseignement comme « seconde carrière », mais, après 5 années, s’est lancée dans la création d’entreprise. Hélène Billiet, elle, a travaillé très tôt dans l’Education nationale, de surveillante à enseignante, avant d’éprouver l’envie, elle aussi, d’être autonome, de construire son projet…
Orthoptiste devenue professeur d’anglais, Evelyne Conchou a développé une activité de soutien scolaire
1. Quel a été le parcours de carrière d’Evelyne ?
Après avoir suivi les enseignements dispensés par la Faculté de médecine de Montpellier, elle devient orthoptiste en 1975 et exerce ce métier qui la passionne pendant 15 ans, en travaillant dans les hôpitaux et les cliniques de Marseille comme aide opératoire.
A l’occasion d’une des mutations de son mari, elle reprend des études de lettres à la Faculté de Troyes, enseigne comme maître auxiliaire, puis termine ses études après un déménagement en région parisienne en 1993, en obtenant sa licence d’anglais en 1997. Dès son arrivée à Paris, elle postule pour l’enseignement catholique et enseigne, malgré 3h 30 de trajets quotidiens, dans un lycée qu’elle qualifie d’exceptionnel : le lycée des Francs-Bourgeois.
Travailleuse, elle obtient en 2002 le Capes d’anglais, qu’elle complète par une certification en Français Langue étrangère (FLE). Nous tenons à souligner que le FLE offre de nombreuses opportunités de carrière, tant en France qu’à l’étranger, aux professeurs qui ont complété ainsi leur formation.
Durant toutes ses années d’enseignement, Evelyne multiplie les projets pédagogiques, toujours en recherche de méthodes efficaces, à l’aide des outils modernes, en utilisant internet dans ses classes, tandis qu’elle suit aussi de nombreux stages pour parfaire sa formation.
Nous ne pouvons que plébisciter ce type de parcours, car c’est en effet en multipliant les projets pédagogiques que le professeur active sa motivation et développe des compétences qui constitueront ses principaux atouts dans le cadre d’une mobilité professionnelle en dehors de l’enseignement. Ne pas anticiper « au cas où », c’est déjà se fermer des portes de sortie de ce métier.
Après un passage en lycée à St Germain des Prés, Evelyne est affectée à mi-temps dans les Yvelines au lycée de Notre Dame les Oiseaux. En parallèle, elle obtient un poste d’enseignement du FLE à l’université de Nanterre comme vacataire, tout en demeurant en lien étroit avec tous les collègues d’anglais des lycées où elle a enseigné.
Evelyne prend très à cœur son enseignement, et, toujours en recherche de solutions, de méthodes pour relever le niveau d’anglais d’un élève arrivant en classe de Terminale de notre système scolaire, l’idée d’une entreprise de soutien scolaire en anglais lui vient en 2006. A cette époque, elle hésite entre la création d’une association et d’une SARL, et c’est cette dernière qui s’impose, la contraignant à démissionner de l’Education nationale fin 2006, tandis que l’université porte ses vacations à 14h hebdomadaires.
Dès la création de « Perfect actions » dont elle dépose la marque, de nombreuses familles de son lycée se sont manifestées, très intéressées par son action.
Cependant, Evelyne regrette de ne pas avoir consacré suffisamment de temps, en amont, à tous les aspects administratifs qui se sont révélés chronophages au fil du temps.
Evelyne insiste sur le fait « qu’un prof qui a exercé son métier pendant dix ans et qui veut changer de métier accède à un univers complètement différent : c’est un nouveau métier que d’être gérant, ce n’est pas une sinécure, car il faut régulièrement faire des démarches auprès des administrations, des impôts, de l’URSSAF, du CESU (chèque emploi service universel)…
Elle obtient l’agrément ministériel pour exercer une activité de services à la personne, permettant aux familles d’être remboursées de 50% du montant des cours à domicile que sa société propose. Evelyne attire au passage notre attention sur le fait que cet agrément ne peut concerner que des cours de mathématiques, de français, de langues et d’histoire-géographie, encore les matières dites « principales »…
Evelyne aurait voulu pouvoir accueillir des étudiants de master pour leur proposer de réaliser leur mémoire professionnel sur l’un des champs d’activité de Perfect actions, mais le Ministère du Travail a refusé, car son agrément de services à la personne lui interdisait toute autre activité, ce qu’elle n’a découvert qu’après l’avoir obtenu ! Ainsi, pas d’activité de formation possible, ni de coaching…alors qu’avant la Loi Borloo de 2005, toutes les sociétés qui se sont créées dans le domaine du soutien scolaire pouvaient aussi dispenser des stages de formation dans des bureaux, des lycées… « Je trouve cela injuste, car actuellement, la Loi Borloo empêche tout simplement à une entreprise de devenir rentable » indique Evelyne, et nous comprenons sa déception, car sa création d’entreprise ressemble étrangement à un véritable parcours du combattant… alors que la logique voudrait que, dans un pays où le nombre de chômeurs est encore important, les démarches puissent, comme aux Etats-Unis, être simplifiées…
Lors de la demande de son agrément, Evelyne a dû renseigner un formulaire de 40 pages, et a mis deux mois pour réunir toutes les pièces nécessaires au dépôt du dossier, la personne chargée de le réceptionner au Ministère du Travail ayant constamment refusé qu’elle vienne le déposer elle-même…
Après 8 mois d’activité, Evelyne est déçue, car la rentabilité qu’elle escomptait n’est pas au rendez-vous. Pourtant, il lui a fallu beaucoup de talents d’organisation pour fonctionner (deux jours et demi par semaine) tout en étant professeur à temps complet, et les paperasseries (bilans mensuels URSSAF pour rémunérer les professeurs qu’elle emploie) demeurent chronophages. Evelyne a actuellement le sentiment de n’être qu’un « collecteur d’impôts », car « l’Etat se sert d’abord, et je paie mon comptable bien avant de pouvoir me payer ».
Evelyne pense néanmoins poursuivre au moins jusqu’à fin juin 2008 son entreprise, sans la fermer, afin de se donner le temps de réfléchir à autre chose, car cette expérience très professionnalisante lui a apporté de nombreux contacts très enrichissants avec des sociétés de formation, qui recherchaient des formateurs en anglais. Alors, Evelyne va-t-elle se lancer maintenant dans l’out-placement ?
2. Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, ont permis à Evelyne de développer cette activité ?
« La faculté de rebondir est très importante, comme lorsque l’on est devant une classe. Etre en classe, c’est être au spectacle, d’un côté ou de l’autre, c’est pour le professeur être acteur devant un public. Il ne faut pas être ennuyeux plus de deux secondes face à ses élèves. Il faut être actif, interactif, intéressant, car l’attention des élèves, moins aujourd’hui qu’hier, est de courte durée ». Evelyne insiste sur le fait que l’enseignant possède en lui une capacité à rebondir, à improviser, à motiver, et c’est ce qui lui a permis de rebondir sur autre chose dans sa carrière.
« La bienveillance est importante aussi : vouloir une amélioration du niveau de ses élèves, avoir en soi le sentiment d’être utile aux élèves, vouloir permettre aux élèves de progresser ». Evelyne rejoint ici notre sentiment : professeur, c’est un métier où l’on se donne, où l’on consacre sa patience, sa créativité, son énergie au service de la réussite des autres, sans compter son temps, dans une société qui aimerait justement pouvoir le « quantifier »…
3. Comment a-t-elle vécu « ce grand saut » ?
« Je l’ai vécu dans l’euphorie, très motivée, comme une aventure, avec le sentiment d’avoir trouvé ce qui me motivait dans la vie ». « Cette entreprise, c’est l’aboutissement de ces deux métiers que j’ai dédiés aux autres : l’orthoptie et l’enseignement. Cela m’a permis de retrouver pourquoi j’avais mené ces deux professions avec autant de passion. »
Actuellement, gérante d’entreprise est son troisième métier. Ce qui a facilité cette évolution, « c’est le fait d’avoir souvent changé de région, de maison, au gré des mutations de mon conjoint, me permettant de développer une bonne faculté d’adaptation à de nouveaux environnements. »
4. Comment vos anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?
« Cela s’est partagé en deux clans : les amis qui m’ont soutenue, en m’indiquant toutefois que j’étais « courageuse, folle et inconsciente », et les collègues qui n’ont pas compris l’aspect commercial. Pourtant, beaucoup d’enseignants ont le temps de faire autre chose en dehors de leur enseignement, mais une minorité a perçu négativement ma création de société. »
5. Comment Evelyne considère-t-elle l’enseignement maintenant ?
« Si l’enseignement tel qu’il se pratique actuellement avait existé il y a deux ans, je n’aurais pas fait ça. Actuellement, le e-learning se développe, et il est possible d’avoir plus d’initiatives, de mener des échanges, des partenariats. Il y a une récente prise de conscience de l’Education nationale de tout cela pour l’enseignement des langues ».
Nous tenons à souligner que cet engouement se vérifie aussi dans l’enseignement à distance, puisque le Centre national d’enseignement à distance a développé aussi fortement l’enseignement des langues grâce à l’utilisation de nouveaux logiciels performants.
6. Que pense-t-elle de ses conditions de travail actuelles ?
« L’organisation est très importante : je cloisonne mes deux activités dans le temps hebdomadaire, entre mes cours à Nanterre et la vie de l’entreprise, et je travaille au total 70 à 80h par semaine. » Evelyne signale que « l’aventure en soi n’es pas une contrainte, mais le côté administratif en est une, et après huit mois d’activité, c’est ce que je supporte le moins ».
7. Quels conseils Evelyne tient-elle à prodiguer à une personne qui souhaite enseigner ?
«Pour un professeur de langues comme pour tout autre professeur, je vous conseille de voyager, de réaliser des échanges avec des pays étrangers, afin d’enrichir vos compétences transversales ».
8. Et que conseille-t-elle, grâce à sa riche expérience, aux professeurs tentés par une mobilité professionnelle en-dehors de la classe ?
« Surtout, et j’insiste sur ce point, il ne faut pas se précipiter. Il faut bien réfléchir à ce que l’on souhaite faire, aller rencontrer des personnes qui puissent vous conseiller par rapport à ce que vous envisagez de faire, afin qu’elles puissent vous montrer les côtés positifs et négatifs de leur fonction. Pour ma part, je me suis trop précipitée. »
Néanmoins, le tempérament d’Evelyne montre qu’elle saura de nouveau rebondir, aller de l’avant, se nourrissant de cette expérience formatrice pour ne pas réitérer ce qu’elle considère comme une erreur.
« Je conseille aussi aux professeurs qui ont des passions, envie de faire quelque chose en plus, d’essayer de les mettre en œuvre, de les vivre à 100%. Dans la vie, il faut suivre ses envies, ses idées, car le temps joue contre nous ».
9. Que pense Evelyne de la création d’une association comme Aidoprofs ?
« C’est une excellente idée : beaucoup de mes amis auraient aimé se réorienter. Mais professeur, c’est un sacerdoce : on a du mal à quitter ce métier pour autre chose, car chaque professeur, au fil des ans, développe une déontologie très forte, avec à cœur la réussite des élèves qui lui sont confiés. »
Pour rebondir sur l’une des réponses d’Evelyne, Aidoprofs, c’est 100% de passion pour l’accompagnement à la mobilité professionnelle des professeurs qui ont un projet, ou qui en émettent l’envie, dès lors qu’ils ont les compétences professionnelles et la formation nécessaires pour le mettre en œuvre. En créant Aidoprofs, nous avons suivi notre envie, nos idées, pour qu’il existe au moins une association en France où l’enseignant qui nous contacte sait qu’il peut être écouté et compris dans son projet de mobilité dans un espace totalement déconnecté de toute relation professionnelle et/ou hiérarchique. Pour offrir un regard neutre au professeur, pour être à ses côtés sans l’influencer, pour le soutenir au fil des étapes d’une reconversion, quelle qu’elle soit, en lui donnant confiance en lui, en le motivant, en lui permettant, de nouveau, comme il a su le faire avec ses élèves en début ou en cours de carrière, de donner le meilleur de lui-même pour cette nouvelle étape de sa vie active.
Hélène Billiet, de l’enseignement de l’anglais à la création d’entreprise
1. Pouvez-vous nous retracer les étapes de votre parcours professionnel jusqu’à ce projet de reconversion que vous réalisez actuellement ?
Après une maîtrise d’anglais, Hélène obtient un CAPLP2 en anglais et français et enseigne deux ans en lycée professionnel, puis décroche le Capes interne d’anglais en 2000, tout en travaillant à plein temps.
Elle est ensuite amenée à travailler en collège et lycée, mais, comme bon nombre de professeurs, trouve qu’il demeure un très grand fossé entre le contenu des savoirs exigés pour le concours et la réalité de ce que l’on enseigne…De plus, malgré l’investissement qu’elle a consacré à son métier de pédagogue, Hélène estime que le système n’est pas motivant : en effet, quels que soient les concours obtenus, le métier demeure le même, avec les projets pédagogiques que l’on peut diversifier, certes, mais l’obtention de concours d’un plus haut niveau ne permet pas d’accéder, en fait, à des responsabilités plus importantes.
En 2005-2006, pour ne pas avoir à enseigner au-delà de ses 60 ans, Hélène préfère anticiper sa reconversion et, tout en travaillant à plein temps, poursuit et obtient un Master de traduction et de rédaction éditoriale. « Ce fut une année marathon » nous confie-t-elle, et les entreprises contactées pour les stages pratiques s’avèrent compréhensives : « j’ai pu réaliser le stage professionnel sur mes différentes périodes de congés scolaires » indique-t-elle. Ces stages ont porté sur l’édition numérique pour l’Ecole Normale Sup et pour la Société Montesquieu à Lyon. Ces structures ayant des liens étroits avec le milieu enseignant, cela a facilité la mise en œuvre du master lui-même.
Depuis octobre 2006, obtention du diplôme tant convoité, Hélène a mené une réflexion très approfondie sur son projet de reconversion. Dans un premier temps, l’idée de monter une entreprise de traductions la travaille…puis tombe à l’eau. Elle décide de se tourner vers quelque chose de plus vaste, de plus varié, d’inexploité aussi…car tout créateur d’entreprise doit, avant de démarrer, mener une étude de marché, de faisabilité, pour pérenniser dès le départ ses chances de durer dans l’activité envisagée.
Hélène décide de créer une entreprise destinée aux expatriés anglophones affectés dans la région lyonnaise, car ils sont de plus en plus nombreux, et leurs besoins ne sont pas pleinement pris en compte par les services consulaires.
Le projet d’Hélène est long à mettre en place, car, comme elle le souligne « quand on est enseignant, on ne peut pas foncer tête baissée dans la création d’entreprise, car il y a de nouveaux savoirs et savoir-faire à acquérir, et il faut bien se renseigner : Chambre de Commerce par exemple, et glaner des informations à droite et à gauche ».
Hélène est actuellement monopolisée par la conception de son site web, et bénéficie des conseils de son conjoint qui monte lui aussi son entreprise.
Cependant, Helène enseigne toujours à plein temps, hésitante quant au type de statut à choisir pour assurer cette reconversion : prendre une disponibilité ? Comme l’association Aidoprofs, elle est bien consciente que les délais administratifs imposés pour la demande d’une disponibilité ne facilitent pas ce type de projet, puisque, pour une disponibilité à prendre en début d’année scolaire, il faut s’y prendre six mois avant…puisque dans notre profession, toute mobilité n’est bien souvent possible qu’en début ou en fin d’année scolaire, a contrario de tous les autres fonctionnaires qui, eux, ont la chance de pouvoir effectuer une mobilité à tout moment de l’année.
Choisir la démission ? C’est tentant, mais pour cela il faut disposer d’économies suffisantes, ou avoir bien balisé sa création d’entreprise.
Il reste l’option suggérée par la récente loi du 2 février 2007 qui permet, tout en enseignant à mi-temps, de reprendre ou de créer une entreprise, moyennant un accord de l’Etat sur l’activité menée. L’accord est obtenu pour une durée d’une année, et peut être renouvelé une deuxième année : après, il faudra choisir, mais au moins cette loi offre-t-elle enfin la possibilité d’assurer ses arrières tout en démarrant un projet de mobilité professionnelle conforme à ses vœux personnels. Néanmoins, les décrets d’application de cette loi ne sont pas encore parus…
Hélène indique que, depuis toute petite, elle voulait devenir maîtresse, et s’y était de nombreuses fois exercée. « J’apprécie mon métier, je n’ai aucun problème de discipline avec mes classes, mais ce discours là paraît bizarre pour les services des ressources humaines qui estiment que lorsqu’un professeur a envie de quitter le métier, c’est qu’il est forcément en difficulté face à ses élèves, ou démotivé, voire dépressif : des préjugés nous collent à la peau dès que l’on évoque notre souhait de faire autre chose, car pour beaucoup, le « plus beau métier du monde » est un métier où l’on entre pour toute sa vie ». Hélène ne mâche pas ses mots pour décrire ce sentiment d’incompréhension qu’elle ressent de la part des services administratifs de l’Education nationale qui ont du mal à encourager les projets de reconversion des professeurs souhaitant « sortir du système », car ils recherchent avant tout à « savoir pourquoi l’enseignant cherche à quitter son métier, et à expliquer les raisons de cette fuite ». « Etes-vous sûre de partir ? » lui a-t-on répondu, pour accueillir sa demande de reconversion…Des postes d’enseignante au niveau européen lui ont été proposés, ainsi que la voie de l’inspection, ou devenir chef d’établissement…Un bilan de compétences lui a été proposé, puisqu’elle avait dix ans d’ancienneté, mais elle l’a décliné, incertaine d’y trouver son compte, puisqu’elle connaissait alors des professeurs qui avaient été déçus par une analyse qui ne débouche sur rien de concret en dehors des pistes déjà évoquées pour l’Education nationale, malgré l’investissement personnel.
Pourtant, Hélène indique que « l’idée du bilan de compétences est très bonne : a-t-on les compétences pour partir ? Cela reste toujours théorique, et le bilan de compétences n’est pas toujours réalisé par des personnes qui ont la connaissance du monde de l’entreprise, c’est là où le bas blesse en fait ».
Hélène aurait aimé être conseillée sur les différentes pistes professionnelles accessibles hors enseignement avec ses compétences, mais les services auxquels elle s’est adressée n’ont pas pu l’aider en ce sens.
Dans le cadre de son projet, Hélène insiste sur un point préoccupant pour notre profession : « le monde de l’entreprise n’a pas tellement envie de nous ouvrir les bras, car l’image que l’on a du prof, ce sont les vacances ». Les professeurs que nous avons interviewés jusqu’ici soulignent aussi cette difficulté : l’image du prof véhicule des congés scolaires très longs, un temps de travail en apparence réduit, et des grèves très médiatisées. Cela ne facilite pas les évolutions professionnelles vers le privé, et pour évoluer, il faut presque oublier que l’on a été enseignant…
Autrefois, Hélène voulait devenir journaliste, mais sa mère faisait des ménages et son père était ouvrier : « je n’ai pas pu bénéficier des moyens financiers nécessaires pour réaliser mon rêve. J’ai dû travailler pour payer mes études à la Fac, et je suis devenue surveillante en 1989. Je ne suis donc jamais sortie de l’école, et je suis devenue prof parce que c‘était aussi le seul modèle de métier que je connaissais en fait ».
Hélène ne souhaite pas dépendre d’un employeur, d’un service : « je recherche un travail où je puisse me sentir autonome, responsable, un travail où je puisse créer et m’épanouir, et je ne veux pas devenir un prof aigri de son métier, un prof démotivé, je ne veux pas attendre de ressentir cette impression là, et j’ai peur de ce que peut être le quotidien d’un prof au-delà de 60 ans, alors que nos carrières vont nous mener au moins jusqu’à 65 ou 70 ans avec le nombre d’annuités nécessaires pour avoir une retraite à taux plein ».
Comme l’association Aidoprofs, Hélène est très dubitative sur les « secondes carrières » des professeurs : « que va-t-on nous proposer ? Surveiller les gamins au CDI ? Faire du soutien scolaire ? Suivre une nouvelle formation à 60 ans ? Je n’attends plus rien de ce côté-là… ».
La « seconde carrière », rappelons-le, a été instituée dans l’article 77 de la Loi Fillon afin de permettre aux professeurs de poursuivre leur carrière autrement…tout en allongeant leur durée de cotisation. Si la seconde est bien effective, le dispositif de « seconde carrière », lui, manque de visibilité, les postes proposés – par une mise en concurrence avec d’autres fonctionnaires qui ont bien plus les compétences que des professeurs pour les occuper- s’étant limités à une cinquantaine fin juin 2007 et à une douzaine fin octobre 2007…
Hélène, actuellement, réfléchit à la forme que prendra son entreprise : SARL ou portage salarial…le projet continue…mais la motive pleinement, car elle est bien consciente de construire pas à pas sa propre mobilité professionnelle, et de rejoindre le métier qu’elle souhaitait faire au départ, puisqu’elle envisage aussi des interviews audio-visuelles sur son site web.
2. Quelles compétences Hélène pense-t-elle conserver dans ses futures fonctions ?
« L’adaptabilité : j’ai côtoyé des publics très différents. Des compétences en communication aussi, car être prof, c’est aussi savoir communiquer par le geste, la présence, la manière d’être, pour captiver son public. »
3. Comment Hélène vit-elle « ce grand saut » ?
« Je me suis posé beaucoup de questions, cela a duré au moins 12 mois, mais désormais, je vis cette situation de mieux en mieux, j’ai croisé tous les obstacles, ressenti tous les préjugés et les soupçons qui se projettent sur les profs qui indiquent à leur hiérarchie qu’ils ont envie de faire autre chose, de quitter l’enseignement : j’en ai assez de ceux qui considèrent que si l’on a envie de partir, c’est que, forcément, on est en difficulté ou en train de déprimer. Ce n’est pas mon cas. J’ai tout simplement le sentiment d’être dans un carcan, sans pouvoir m’épanouir. Alors mon projet, plus ça va, moins j’en parle…mais je ne l’abandonne pas pour autant ! ».
4. Comment réagissent les collègues d’Hélène face à ce changement d’orientation ?
« Ils se divisent en deux clans : majoritaire est celui qui ne prend pas mon projet au sérieux, d’autant plus que je n’en parle plus. Il y a une incompréhension de leur part puisque je n’ai aucun souci avec mes élèves : ça les laisse perplexes. Et puis minoritaire est le clan de ceux qui, comme moi, ont eu un jour envie de partir, et sont déçus entre le niveau de connaissances que l’on exige de nous au niveau des concours, et la réalité du terrain…Ceux là souhaitent ma réussite. »
5. Hélène a-t-elle des regrets de quitter l’enseignement ?
« Non, de moins en moins. Transmettre des savoirs, je peux le faire d’une autre façon. Dans l’enseignement, ce qui finit par m’exaspérer, c’est que l’on ne parle que d’enfants, on ne voit que des enfants et des adultes qui ne parlent que d’enfants, qui ont rarement d’autres sujets de conversation, c’est vraiment un cocon, et j’en ai assez. »
6. Que conseille Hélène à ceux qui souhaitent devenir enseignants ?
« Se poser les bonnes questions : pourquoi je veux enseigner ? Est-ce pour tenter un concours par défaut et entrer dans la fonction publique ? Je pense que pour les jeunes qui sont intéressés par le métier de professeur, il serait utile de leur permettre de donner des cours en primaire, en collège, plutôt que de leur faire faire seulement des stages d’observation, car ce n’est que par la pratique que l’on se rend compte de quoi est réellement fait ce métier, et si l’on est capable de l’exercer. Je pense aussi qu’il faut leur dire de continuer leur propre formation en parallèle, pour anticiper le jour où ils souhaiteront faire autre chose. Il faut aussi qu’ils soient bien conscients des conditions de travail des profs. »
7. Hélène a-t-elle des conseils à donner aux enseignants qui souhaitent quitter le métier de professeur ?
« Il faut se demander pourquoi l’on veut partir, bien se renseigner de partout sur les possibilités offertes. La personne doit bouger, sortir du cadre scolaire, se faire aider, mais aussi et surtout chercher par elle-même, affiner ce qu’elle souhaite faire. Deux à trois ans, c’est le minimum pour se reconvertir : la réflexion va durer 6 à 12 mois, puis vient le temps de la mise en œuvre. Je conseille de ne pas aller prendre conseil auprès de son rectorat et de mener sa réflexion seul ou avec des personnes extérieures au système, pour conserver sa motivation et mener son projet personnel à bien. Il ne faut pas se dire que « le privé c’est génial », car travailler en entreprise privée, ce n’est pas toujours marrant, on peut être licencié, c’est difficile à vivre psychologiquement, il faut aussi savoir rebondir rapidement. Il ne faut pas attendre des aides, ni que « tout vous tombe du ciel » : il faut se bouger ». Hélène a les mêmes paroles que Nicole Marquis : « se bouger ». C’est en effet la motivation intrinsèque qui est le paramètre le plus important, et que l’association Aidoprofs analyse dans le discours de ceux qui la consultent dans le cadre de leur propre mobilité. Sans réflexion, sans motivation, sans concessions sur les avantages qui font la spécificité du métier d’enseignant, il n’est guère concevable de mener un projet de reconversion à bien.
8. Que pense Hélène d’une association comme Aidoprofs ?
« C’est très bien, car il faut donner plus de place aux profs, leur permettre de s’exprimer de manière constructive en dehors de l’institution, d’échanger leurs expériences, pour vivre leur enseignement autrement, mais aussi pour savoir construire leur propre projet de reconversion professionnelle. »