Rapprocher documentalistes et bibliothécaires ?
Par Blandine Raoul-Réa
Mardi 13 novembre 2007, Médiadix (université de Paris 10, pôle métiers du livre) organisait une journée d’étude ouverte à des documentalistes et aux bibliothécaires. Sous le titre « Documentation en milieu scolaire et bibliothèques publiques, quelles coopérations ? », les intervenants issus des deux milieux ont essayé de faire avancer la compréhension des deux univers afin de permettre une coopération plus efficace. Quelques soixante dix personnes ont assisté à cette journée.
Anne Rabany, Inspectrice d’académie Etablissement et vie scolaire en présente les objectifs.
Pour cette journée au CDDP de Boulogne, c’est le thème du partenariat qui a été retenu faisant ainsi suite à divers travaux de l’ADBDP à Amiens en 2005, à Vannes en 2002. Le sujet reste d’actualité, car la rentrée officielle de la littérature de jeunesse dans les programmes pour l’école, et son intégration au collège et au lycée professionnel ont modifié l’offre de lecture et les actions de médiation.
Le partenariat relève d’une concertation en général mais suppose, en plus une certaine institutionnalisation de sa pratique, un affichage clair par la direction du domaine qui lui est ouvert ainsi qu’une stabilité dans la reconnaissance des partenaires. La notion même de partenariat mérite d’être interrogée ; car la nécessité de ce travail conjoint ou de cette dynamique collective de travail évolue avec la décentralisation, les demandes des institutions.
Le partenariat est aussi à revisiter au moment où la relance des pôles de ressources pour l’éducation artistique (PREAC) s’exerce dans différents domaines culturels et artistiques. Est-ce une nouvelle manière d’inviter les institutions à mettre leurs idées et leurs moyens en commun ?
Les réseaux incluant bibliothèques publiques, scolaires et universitaires, montrent une forte convergence de vue sur l’avenir des services d’information, notamment pour ce qui concerne l’accès aux ressources numériques et le rôle d’éducation à l’information, malgré la diversité des contextes. Les actions sont à développer en cohérence.
Le but de cette journée étaient d’examiner les enjeux d’une collaboration école/lecture publique. Sont-ils clairement identifiés par les pouvoirs publics ? Peuvent-ils être soutenus par une planification coordonnée des actions ? Une collaboration bibliothèque/école est-elle susceptible de réduire plus rapidement la fracture entre les usages personnels et scolaires des adultes et des jeunes ?
AR
Quelles passerelles établir entre l’école et les lieux de culture et de formation ?
On le sait, la formation d’un individu ne se joue pas qu’à l’Ecole… la formation se joue ailleurs aussi, avec d’autres personnes que les enseignants rappelle Jean-Louis Dugret, directeur du CDDP des Hauts-de-Seine, pour introduire cette journée d’étude.
Effectivement, si les professions sont différentes notamment dans leur culture professionnelle (revues, listes de diffusion, concours…), si on se donne les moyens de surmonter ces différences, alors il a possibilité de faire un travail commun pour une cause commune : la formation du citoyen. C’est avec ces mots que Christophe Pavlidès, directeur de Médiadix, ouvre la première conférence de la journée. Environ soixante dix personnes assistent, dans les locaux du CDDP des Hauts-de-Seine, au déroulement de cette journée. Des documentalistes de l’Académie de Versailles et des bibliothécaires (majoritairement de bibliothèques municipales) se retrouvent ainsi dans le même amphithéâtre.
Multiplier les contacts avec les livres
Hélène Mathieu, IGEN reprend la problématique de la journée à travers son parcours professionnel en prenant appui sur trois dates clés : 1982 – 1985 et 2002. Après avoir enseigné en lycée, Hélène Mathieu se retrouve chargée d’enseigner la lecture aux élèves instituteurs. Elle prend alors conscience que les difficultés de lecture « ne vien[nent] pas de la méthode d’apprentissage (globale, mixte, semi-globale, alphabétique…) mais de l’absence de références culturelles et de maîtrise des codes de l’écrit. Ils [les élèves en difficultés de lecture] sont incapables de formuler des hypothèses de compréhension et surtout de réajuster leur hypothèse de départ si elle est inefficace et ne produit pas de sens. Ce qui fait la différence entre les élèves c’est leur capital culturel pour employer un terme cher à Bourdieu. Ca fait non seulement la différence mais même la distinction culturelle et sociale, comme il l’a montré dans ses travaux. » Il faut donc multiplier les contacts avec le livre.
La littérature jeunesse entre dans les programmes
1985 : Alors qu’elle travaille au Ministère de la Culture avec Jean Gattégno à une politique de développement de la lecture publique, le contexte historique se prête au développement des bibliothèques et rapprochement BCD, CDI et BP (bibliothèques publiques) grâce aux programmes de rattrapage en matière de lecture publique et aux plans de lutte contre l’illettrisme. Le Ministère de l’Education nationale publie à cette époque des listes de littérature jeunesse – qui entre dans les programmes- et des dotations pour constituer les fonds des bibliothèques voient le jour. Malheureusement le renouvellement n’en sera pas assuré et la liaison MEN et Ministère de la Culture non plus. Comment mettre en place ce rapprochement ? Certainement en mettant en commun les catalogues, en favorisant des ouvertures qui permette un accueil large.
2002 : A la direction de la Jeunesse en 1999, Hélène Mathieu note la qualité et la quantité des « actions associatives soutenues mais peu connues ». En 1998 le dispositif plan ou contrat éducatif local est relancé et place la lecture en bonne position (en 2004 on comptait 3800 ateliers ou actions répertoriées : un établissement scolaire sur deux seulement établissait une liaison entre le projet d’école ou d’établissement et le contenu du CEL). La relance en 2002 des plans contre l’illettrisme (Ferry – Darcos) et ce « fut un moment rare où les différentes logiques ont pu se croiser. Il s’en est suivi un site Internet commun élaboré avec le CNDP, le goût des mots, et encore aujourd’hui quelques actions communes ».
« L’évaluation du programme d’incitation à la lecture, mis en place par la Direction de la jeunesse dans les centres de vacances et de loisirs de 20 départements en 2002, est parue en 2005. On en déduit clairement les cinq conditions de réussite :
– soutien de l’Etat et des collectivités,
– implication de l’encadrement (le directeur du CLSH ou du CVL),
– animateurs déjà lecteurs eux-mêmes,
– intervenants compétents qui assurent aussi la formation sur place des animateurs, voire des formations qualifiantes,
– lien avec les BM (bibliothèques municipales) ou les BDP (bibliothèques départementales de prêt). »
L’éducation est par nature une mission partagée
Les perspectives et les actions à mettre en œuvre pour réussir ce projet tiennent pour beaucoup du positionnement des acteurs : il faut alors travailler dans la cohérence des actions et pour la continuité des parcours des enfants et des jeunes. L’Ecole le rend possible à travers des dispositifs dans lesquels il convient de s’impliquer (socle commun, PPRE, …)
« Je voudrais insister sur la globalité du projet éducatif. L’Ecole seule ne peut pas tout faire et qu’il convient donc de la recentrer sur ses tâches, une Ecole modeste, déterminée mais consciente que l’éducation est par nature une mission partagée . Or, sur ce dernier point, je vous incite à la vigilance car la redéfinition, ces dernières années, de la mission de l’Education nationale autour de la transmission de savoirs, les disciplines et plus récemment de la discipline ne véhicule pas auprès de nos partenaires une image ouverte de notre mission d’accueil, de suivi et d’accompagnement des élèves que nous serions désireux de partager avec eux ».
Sur le terrain : espoirs et difficultés
K. Benhamouda fait le point sur un dispositif de politiques partenariales passées entre la lecture publique et l’Education nationale. Le projet du département de Seine-saint-Denis est un projet éducatif local suspendu maintenant qui s’appuie sur trois dispositifs existants qui sont les contrats de réussite (Education Nationale), les contrats de ville (au niveau local) et le contrat Ville et Lecture (Ministère de la Culture). K. Benhamouda relève des points importants dans cette coopération bib/cdi. Tout d’abord la bibliothèque n’est pas reconnue comme centre de culture au même titre qu’un théâtre ou qu’une scène nationale ce qui implique une réussite basée fortement sur un volontariat multilatéral. La démarche de projet concourt à la réussite des actions menées ; elle est indispensable. Le parcours de l’enfant, au centre de ces deux institutions et de ces différents parcours définis par le dispositif, n’est pas (jamais) pensé. Du côté des bibliothèques, le rôle des bibliothécaires est pensé comme celui du conseil artistique et il serait souhaitable que soient reconnues par les enseignants leurs compétences en matière de littérature jeunesse. Mener ces projets a eu un effet de levier et a contribué à une cohésion des acteurs locaux, même s’il serait souhaitable de penser à mettre en commun les formations. Ils se poursuivent hors dispositifs lorsqu’il y a un engagement des personnes fort.
Les bibliothécaires invitées à présenter des projets de coopération avec des documentalistes mettent en évidence la difficulté et la lourdeur de tels projets, mais en montrent aussi toutes les satisfactions retenues tant du point de vue des acteurs que du public qui y a participé. Marie-Laure de Capella, professeur documentaliste fait état du travail de son bassin de formation (en liaison avec un autre) sur la littérature adolescente. Une journée de travail commun avec les bibliothécaire a permis de mieux comprendre comment fonctionne l’autre et deux projets sont nés de cette journée : un comité de lecture et une liste de diffusion commune documentalistes et bibliothécaires. Un projet plus local sur le site Les Mureaux est en cours.
Nadine Déchamps, de la bibliothèque municipale de Beaumont sur Oise rend compte d’un projet avec l’EREA de Beaumont qui a consisté à mettre en action des élèves des classes de 5e, 4e et 3e sur la lecture pour des élèves de maternelle à travers trois projets dont une écriture d’album et lecture des écrits des élèves participants aux enfants de maternelle (avec une exposition). Quant à Yamina Boubeker, bibliothèque municipale de Choisy, elle nous fait part de deux projets réalisés avec un lycée professionnel. L’un avait pour base la comptine (rechercher, apprendre et dire les comptines aux élèves de maternelle) et l’autre consistait en un travail avec un illustratrice pour illustrer un conte. Elle insiste sur deux points : les parents ont toujours été associés aux projets et le travail des élèves doit être valorisé. Pour que les projets soient menés à leur terme, il lui semble nécessaire qu’ils soient construits ensemble, qu’ils soient évalués et financés ensemble.
Les TICE, comme l’a montré Pascal Cotentin, directeur du CRDP de l’académie de Versailles, ont leur rôle à jouer parce qu’elles modifient le rapport de l’Ecole avec la société et qu’il est donc indispensable que l’Ecole forme les élèves et les accompagne dans cette maîtrise. Elles agissent ou peuvent agir dans trois directions : s’investir, s’entraider et se rassurer. Ainsi la clé USB distribuée aux lycéens d’Ile de France, propose-t-elle des ressources, un accompagnement scolaire et des liens avec le monde de la culture.
Liaison collectivités territoriales / Education
Patrick Souchon de la Délégation académique à l’action culturelle (DAAC) sur l’académie de Versailles fait le point sur l’existant aujourd’hui. La DAAC est une interface entre l’école et l’extérieur. Elle a une mission de conseil pour aider à mettre en place des partenariats.
Qu’est-ce qui change aujourd’hui ?
De nouvelles mesures entrent en ligne : l’émergence du projet culturel de l’établissement scolaire est un élément important, il fait partie des textes officiels. Les établissements scolaires, dans leur projet d’établissement, doivent intégrer la dimension culturelle et artistique.
Si la lecture est un domaine partagé avec des problématiques différentes en fonction des acteurs ces distinctions doivent cependant s’effacer. Les dispositifs de l’Education Nationale visent à faire de l’Ecole des lieux de vie littéraire, de création et de rencontres. Les responsables de ces projets doivent veiller à sensibiliser à la pratique, aux savoirs issus de cette pratiques, aux œuvres et doivent favoriser les rencontre avec des professionnels. Or seulement 25% des projets déposés font appel à un partenariat avec le monde des bibliothèques.
Quant aux collectivités territoriales, François Jollivet, directeur de l’éducation et du sport pour le département du Val d’Oise, est un acteur, elles permettent d’éviter un écueil fréquent en ayant une vision exhaustive de tout se qui se passe sur leur territoire. Le rôle du conseil général est bien d’animer le territoire parce qu’il le connaît. Il peut alors proposer des activités éducatives aux acteurs locaux, même si la mission de formation doit restée dévolue à l’Etat.
Liaison secondaire / supérieur
Dans la scolarité de l’élève de l’enseignement secondaire, Didier Bouillon, IA-IPR EVS (Versailles) engage les documentalistes à travailler sur la notion de parcours des élèves afin qu’ils n’aient pas un parcours en pointillé. Pour concrétiser ce parcours l’académie de Versailles a bien-sûr travaillé sur le Portfolio, mais il faut que les documentalistes soient à l’origine de ce travail et s’appuient par exemple sur le conseil pédagogique et les conseils d’enseignement. Les dispositifs tels le B2i, le socle commun ou encore les dispositifs transversaux (TPE, IDD, ECJS…) en sont un support tout comme les programmes disciplinaires dans lesquels des notions d’information documentation apparaissent. La notion de projet documentaire permet de formaliser ce chemin pour l’élève à travers la politique documentaire (quelles ressources sont mises à la disposition des élèves et comment –y compris les horaires) mise en place dans l’établissement scolaire et le projet pédagogique qui pose la question suivante : comment collectivement pouvons-nous assurer une formation à la recherche documentaire qui soit continue, collective et structurée.
Si la cohérence est recherchée dans le secondaire, la marche est difficile avec le supérieur. Isabelle Fructus (bibliothèque inter universitaire Cujas) explique, à la lueur de son expérience, pourquoi. Il y a des différences qui sont dues à la spécialisation dans l’enseignement supérieur, la centration sur des outils de plus en plus spécifiques et l’expertise disciplinaire et technique. Cependant on peut s’appuyer sur des points communs : un cadre à construire pour les apprentissages et des coopérations à développer. La constitution d’un corpus de notion est établie par les chercheurs et fait apparaître une continuité et une progressivité des apprentissages. Dans les deux situations –secondaire et supérieur- les formateurs s’appuient sur des dispositifs qui ont une instabilité récurrente, mais tous ont pour objectif de contribuer à développer l’esprit critique qui permet l’évaluation de l’information et une réflexion sur les outils utilisés. Un point semble essentiel : travailler ensemble implique de bien définir et de bien savoir de quoi parlent et ce que font les uns et les autres.