Tapez « accompagnement scolaire » dans Google, vous verrez sortir le loup du bois…Devoirs scolaires : une histoire de temps ?
Comment parler de l’accompagnement scolaire sans remettre sur le tapis l’éternel débat sur les devoirs donnés par les enseignants : “Un jour j’ai rencontré une mère d’élève qui m’a expliqué que sa fille avait mis plus d’une heure pour faire une carte de géographie. Je pensais que le travail sur cette carte devait prendre ¼ d’heure, pas plus (…). Je me suis aperçue que les idées que j’avais sur le temps nécessaire pour faire le travail étaient fausses (…). Il fallait beaucoup plus de temps que je ne l’imaginais”, dit un professeur de collège (Rep Echirolles, 2001, cité par Glasman.)
Au delà de l’anecdote, une véritable question professionnelle pour les enseignants. Nombreux sont ceux (de plus en plus nombreux au cours du cursus scolaire) qui pensent que le temps de « cours », consacré à l’enseignement du « programme », ne peut laisser place suffisante au temps d’exercice, d’entraînement, de reprise ou de mémorisation de la « leçon ». Très logiquement, ils prescrivent donc un volume de travail « raisonnable » destiné à aider le jeune à asseoir les précieux contenus.
La réussite de tous ?
Nous ne reviendrons pas ici sur les recommandations officielles, qui périodiquement recommandent aux enseignants la plus grande prudence sur le travail domestique, voire l’interdiction des devoirs écrits comme c’est toujours le cas en primaire. Mais il est nécessaire de revenir sur une contradiction fondamentale de l’Ecole, largement décrite désormais par nombre de savoirs issus de la recherche, mais toujours criante.
Parmi les plus explicites, les travaux de l’équipe de Paris VIII-Escol, sous la houlette de Charlot et Rocheix, ont prouvé depuis les années 90 que la réussite scolaire des élèves était largement conditionnée par le « sens » qu’il donnent aux activités scolaires, et notamment leur capacité à mettre en route une activité intellectuelle efficace, là où nombre d’élèves, surtout dans les milieux les plus éloignés de l’école, traversaient leur cursus scolaire toujours persuadés que pour apprendre, il fallait surtout « être sage et écouter la maîtresse », comme le montrent remarquablement les enquêtes menées par J. Bernardin.
Sanctionnée par les « notes » et les orientations, la production scolaire évaluée par l’enseignant est bien toujours le produit de deux facteurs : l’élève doit montrer qu’il a incorporé les savoirs à acquérir, mais aussi des savoirs-faire (comprendre les attentes du professeur, décoder ses intentions, articuler un discours oral normé, organiser son propos à l’écrit, utiliser la bonne formule pour la démonstration mathématique…) dont on lui répète qu’ils seront utiles « pour plus tard », mais qui ne lui sont pas forcément et explicitement enseignés.
Lorsque le Bulletin Officiel injoncte la « réussite de tous », il ne dit pas que c’est souvent la maîtrise de ces compétences qui seront essentielles pour réussir, et que si on ne peut compter que sur la famille pour les acquérir, certains partiront avec une bonne longueur d’avance sur les autres.
Dans ce contexte, parler seulement d’aide ou de « remédiation » pour ceux qui sont en retard suffit-il à le rattraper ? Depuis une dizaine d’années, on constate en tout cas l’arrivée massive de ce concept sur le terrain scolaire. Les réponses sont variées (cours privés, édudes dirigées, PPRE ou soutien), mais le diagnostic initial est le même : puisque le champ scolaire prend une telle importance dans la réussite future de l’insertion sociale, il faut « travailler plus »… Les familles favorisées et les classes moyennes font appel au soutien privé (aubaine providentielle pour un marché qui cherche à s’installer sur le terrain éducatif), les collectivités ou les associations caritatives mettent en place des structures pour aider les plus pauvres, parfois avec les moyens du bord, tant en terme de moyens que de compétences.
Comme le dit si bien Glasman, l’école n’est plus le [skolé] grec, ce temps de distance avant la production industrieuse, de loisir consacré à l’étude, durant lequel on peut apprendre, se tromper sans conséquence ; l’Ecole n’est plus l’école si elle n’est plus qu’exigence de performance, de classement, de réussite immédiate, de verdicts précoces, décisifs pour sa vie
On n’apprend pas qu’à l’école…
Personne, dans nos pays, ne peut contester que l’Ecole ne doive à la fois transmettre des connaissances et former à la construction d’une pensée. « Aucune activité sociale, sinon les entreprises de décervelage, n’ont à gagner à une réduction des exigences intellectuelles » écrit encore Glasman. Mais on n’apprend pas qu’à l’école : l’éducation populaire a fait les preuves, pendant des décennies, que des animateurs, des élus locaux, des responsable associatifs étaient des maillons indispensables pour qu’une société apprenne à ses individus à coopérer, à échanger, à tenir ses engagements, à prendre du recul. Certes, le décervelage gagne du terrain, et il n’est pas anodin que la compétition individuelle, le « moi d’abord » et le « tout de suite » gagne du terrain sur des vieilles solidarités. On est d’abord « jeune » (sous entendu consommateur idéal) avant d’être « ouvrier ». Mais sauf à vouloir réduire les structures scolaires et associatives à des rôles de pacification sociale, il n’est pas souhaitable de jouer la confusion des rôles : ce n’est pas parce que les « contrats éducatifs locaux » n’ont pas toujours fait la preuve de leur efficacité qu’il faut renoncer à des lieux de rencontre pour les jeunes, qui ne soient pas l’école, dans lequels puissent être organisés, dit Glasman, des lieux spécifiques et différenciés pour le loisir ou l’accompagnement scolaire, notamment avec de grands étudiants ou des animateurs, à condition qu’ils offrent « rigueur et qualité », soutien individuel quand c’est nécessaire, échappant pour un temps à la pression directe de l’école ou de l’anxiété des familles.
…Mais l’école doit apprendre à apprendre…
Au delà du slogan galvaudé, l’Ecole ne peut rejeter sur sa seule périphérie la question de la manière dont elle peut soutenir ceux qui ont le plus besoin d’elle. En son temps, Bernard Charlot avait montré que les élèves difficiles plébiscitaient les établissements où ils sentaient qu’on travaillait à leur donner les règles du jeu, où on les respectait, où on « travaillait pour eux ». Les assistants d’éducation, malgré leur statut précaire, ont sans doute un rôle positif en la matière, mais c’est bien au cœur de l’acte éducatif que cet engagement est le plus difficile à transcrire. De même que la « vie scolaire » ne se résume pas au bureau du CPE, la « réussite éducative » n’est pas toute entière dans le PPRE ou l’heure d’accompagnement éducatif. Inutile d’en « remettre une couche » à 16h30 si celui qui la subit ne comprend rien à ce qu’il fait dans le collège. Au delà de la « transmission des connaissance », ceux qui s’attaquent aux conditions de la « mobilisation intellectuelle » savent que « l’aide » organisée se transforme parfois en dépendance passive : plus je t’aide, et plus tu attends de moi, dans une attitude passive, que je t’apprenne ce que tu dois conquérir.
Dans un récent atelier organisé par le GFEN, un participant invitait à revenir à quelques distinctions sémantiques : « les mots ont leur importance. Qu’on parle d’étayage ou de soutien, on ne dit pas la même chose. Quand on monte un échafaudage, on pense généralement à la construction qui va rester quand on l’enlève. Par contre, quand on enlève la béquille… on se casse la figure… »